Goby, Valentine « Le palmier » (RL2025) 336 pages

Goby, Valentine « Le palmier » (RL2025) 336 pages

Autrice : Écrivaine française née à Grasse en 1974. Elle vit en région parisienne. Ses thèmes de prédilection sont: La place des femmes, leur corps, les yeux des femmes à cause de leur corps, de leur sexe, comment une femme regarde et change le monde, par amour, par envie, par orgueil, par ennui, par vengeance, en tant que sœur, mère, fille, amante. Comment l’Histoire les affecte, comme elles l’affectent, du Paris contemporain à la Provence atemporelle, à l’Afrique de l’après-guerre, à la Bretagne des années 1940. Les lieux, comment les lieux nous traversent, comment nous les traversons, comme l’espace nous façonne et comment nous le transformons. L’enfance, comment elle nous survit et s’acharne à nous habiter, dans chaque moment de la vie, dans chaque âge et en toutes circonstances, comment chaque geste est porteur d’une histoire toujours ancrée dans l’enfance. Ce qui est valable pour un homme est valable pour une nation, alors l’Histoire, la grande, me passionne aussi, c’est en elle que je cherche et trouve les racines de toutes les blessures présentes, je l’explore, la dissèque, comme les origines individuelles.

Ses romans : ( je ne les cite pas tous) :  La note sensible, 2002 – Sept Jours, 2003 – L’Antilope blanche, 2005 – Petit éloge des grandes villes, recueil de textes, 2007 – L’échappée, 2007  – Qui touche à mon corps je le tue , 2008 – Des corps en silence, 2010 – Banquises, 2011 – Kinderzimmer, 2013 – Méduses, 2013 – Baumes (Collection Essences- Actes Sud), 2014 – Un paquebot dans les arbres, 2016 – Tu seras mon arbre (2018) – Murène (2019) – L’Île haute (2023) – Le palmier (2025)

Actes Sud – 20.08.2025 – 336 pages

Résumé:
À la manière des imagiers de notre enfance, Valentine Goby offre un roman d’initiation à la fois grave et lumineux : le portrait kaléidoscopique d’une petite fille qui cherche à guérir de ses blessures grâce à ses liens sensibles au langage et à la nature.
Vive est une enfant dont la jeunesse se déploie à l’ombre des grands arbres du jardin familial, dans l’attente des essences exotiques que son parfumeur de père rapporte de ses lointains voyages, et en écho aux mots nouveaux qu’elle consigne dans son carnet pour apprivoiser le monde qui l’entoure. Un univers merveilleux peu à peu teinté d’angoisses dont Vive va tenter de saisir l’origine en archéologue de sa propre existence. Afin de comprendre la signification de l’image obsédante qui ouvre le livre et signe la fin de l’innocence – le palmier mort –, elle va défroisser les plis de sa mémoire et reconstituer le puzzle des souvenirs.
« Le palmier » est le roman vrai d’une héroïne qui, comme l’autrice elle-même, fut très tôt confrontée à l’enchantement et à l’effroi. Il est aussi une fascinante enquête, intime et poétique, sur l’univers de la parfumerie, le territoire de l’enfance, les pouvoirs de l’imaginaire et l’aventure de l’écriture.

Mon avis: ❤️❤️❤️❤️❤️
J’ai retrouvé avec bonheur la somptueuse écriture de Valentine Goby et infiniment aimé ce livre même si j’ai trouvé les personnages moins attachants que dans ses précédents écrits et le récit beaucoup plus sombre. Il faut dire qu’une petite fille en vrac, c’est difficile comme sujet… et ça prend aux tripes et au coeur..

Au début il y a le palmier mort dont il ne reste plus que le stipe après élagage, les larves de charançons… Nous allons suivre une petite fille, Vive, qui va être de plus en plus mal dans sa peau à partir du moment où il ne sera plus au milieu du jardin… Comment est-ce possible que le déclin de l’arbre ait généré un tel changement dans le comportement de la fillette et ait enclenché un  tel mécanisme d’angoisse dans sa vie ?  Etait-elle à ce point reliée à cet arbre? Mystère…
Ce livre parle de mots, de merveilleux, d’enchantement, de souvenirs, d’enfance, de parfums et de senteurs, de phéromones, d’arbres, de fleurs, d’imaginaire, d’écriture, de sons… Ce livre parle de noms exotiques, d’odeurs et d’images qui font voyager, de la signification des prénoms …
Coté sombre il parle d’angoisse, de peur de la solitude et de la nuit …et je dois dire que j’ai très fortement ressenti ce malaise …

J’ai adoré le cahier de mots nouveaux, des questions que Vive se pose en entendant des expressions telles que : il a d’autres chats à fouetter , faire chou blanc, parler anglais comme une vache espagnole, ça coûte un bras, brûler des cartouches, des culs de bouteilles, des cadavres exquis…

« L’eau vive » la chanson de Guy Béart, va nous accompagner tout au long du roman en la personne de la petite jeune fille qui lui doit son prénom. Je suis allée relire les paroles de la chanson et le prénom colle parfaitement à l’enfant…

Enfin je suis ravie d’avoir découvert que Jeanne Benameur – une autrice que j’aime infiniment – a publié des poèmes.

 

Extraits:

Avant, il y avait un palmier au milieu du jardin. Maintenant il y a un jardin autour d’un palmier mort.

Elle se souvient que certaines plantes sont appelées “muettes”, des fleurs, des fruits qui libèrent un parfum dans l’air mais ne se laissent pas extraire, rétifs à la vapeur d’eau aussi bien qu’aux solvants.

Les cernes dans le tronc de l’arbre sont des archives dit madame Meyer, et elle brandit un livre où apparaît un chêne en coupe, elle passe dans les rangs, vous les voyez, les cernes minces, les cernes épais ? Ils font le récit de sa croissance et des changements du climat. Les glaces sont des archives, qui emprisonnent des bactéries, des cendres issues d’éruptions volcaniques, des végétaux et des bulles d’air droit venus de mondes évanouis, grand congélateur de l’histoire. Les strates de roches sont des archives, elles parlent des mouvements de la terre, et les couches de sédiments au fond des lacs.

La cannelle, l’ingrédient d’une des plus anciennes formules de parfum connues au monde, dit Marco, le kyphi d’Égypte.

Il dit qu’on rééduque l’anosmie, la perte de l’odorat, en invitant les gens à imaginer la forme et les couleurs des ingrédients qu’ils respirent. Sentir de l’eau de rose et visualiser une rose. Respirer du poivre et visualiser du poivre. Et le cerveau, tout doucement, recommence à établir le lien, à reconnaître les odeurs perdues. Il dit que les apprentis parfumeurs notent les images que leur évoque chaque essence dans un cahier spécial pour les mémoriser.

La légitime difficulté à nommer une odeur, même banale, faute d’image. L’image qui vient à la place du mot, qui appelle le mot.

Chou blanc, dirait son père. Pourquoi du chou, pourquoi blanc, mystère. Ça veut dire échouer. Dans échouer il y a chou, d’où le chou peut-être.

Elle ne s’était pas représenté l’encens comme des caillots. C’est des caillots en fait. Des caillots de sang d’arbre.
— Les petits cailloux, là, on les appelle des larmes.

C’est fou, tu enlèves les palmes et dans l’instant l’image de paradis vire à l’apocalypse. Sans palmes ça change tout.

Apocalypse, Vive connaît le mot. Elle ne sait plus où elle l’a entendu. Apocalypse signifie fin du monde. On a changé de monde. C’est bien ce qu’elle perçoit aussi depuis le jour de l’élagueur. Une sensation vague mais tenace. Elle cherche les signes tangibles, maintenant. Les preuves que tout est changé, réellement.

Elle est psychologue, mot nouveau. Psychologue : chasseuse de peur.

Le son c’est de l’image.

une odeur sans image est orpheline.
Il explique: ce qu’on ne voit pas, on a du mal à le reconnaître. Nous sommes si habitués aux images que sans image, même les odeurs les plus évidentes nous échappent.

Comment savoir ? On ne peut pas savoir. On ne peut pas. Choisir est impossible, donc il faut décider.

Vous connaissez Albert Camus ? Il a écrit cette phrase, là, je ne suis pas un grand lecteur, je ne sais plus le contexte et sans doute je la cite de travers… mais elle m’a accompagné toute ma carrière : mal nommer, c’est ajouter au malheur de ce monde.
Comme Vive l’entend. Mal nommer, et mal voir elle, voudrait compléter. On ne peut nommer que ce qu’on voit. Ce qu’on accepte de voir. 

 

 

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