Chiche, Sarah « Aimer » (RL2025) 377 pages

Chiche, Sarah « Aimer » (RL2025) 377 pages

Autrice: née à Boulogne-Billancourt le 21 mai 1976, est une écrivaine française. Enfance à Paris et en Suisse. Psychologue et psychanalyste.

Romans : l’inachevée (2008) – L’emprise (2009) – Les enténébrés (2019) – Saturne (2020) – Les alchimies (2023) – Aimer (2025)

Julliard – 21.08.2025 – 377 pages 

Paru à la rentrée littéraire de l’automne 2025, « Aimer », une histoire d’amour qui se déroule sur toute une vie, est sélectionné pour le prix Femina,  le prix Femina des lycéens, le Grand Prix du Roman de l’Académie française et le Prix Giono.

Résumé:
Suisse, 1984. Margaux, neuf ans, se jette dans les eaux glacées du lac Léman. Pétrifié, Alexis, son camarade de classe, assiste à son sauvetage. Entre les deux enfants naît alors une complicité vibrante. Mais bientôt, Margaux disparaît mystérieusement. Quarante ans plus tard, tous deux se retrouvent par hasard. Lui, ancien consultant, a tout quitté, rongé par la culpabilité du scandale lié au Duroxil, un opioïde qui a ravagé l’Amérique. 

Elle, après une enfance dramatique, est devenue écrivain, célibataire et heureuse de l’être, mais ses romans sont peuplés de fantômes. Entre eux, l’amour est intact, aussi brûlant qu’au premier jour. Mais aimer à cinquante ans, est-ce encore possible, quand un père se meurt, quand les enfants grandissent loin, quand le monde lui-même semble s’effondrer ? De l’enfance à l’âge mûr, de la Suisse de la fin du siècle dernier à la France des années 2020, en passant par les Etats-Unis où s’annonce déjà le retour de Donald Trump, Aimer dessine une fresque éblouissante sur ces instants où tout peut encore basculer. 

Un souffle de vie inouï traverse ce roman lumineux, sur la grâce des secondes chances.

Mon avis:  pastedGraphic.pngpastedGraphic.pngpastedGraphic.pngpastedGraphic.png
Je découvre cette autrice avec son sixième roman. J’ai frôlé le coup de coeur, il s’en est fallu d’un rien. C’est une très belle plume que j’ai découverte mais malheureusement je n’ai ressenti de l’empathie pour les personnages qu’à la toute fin… Peut-être trop emmurés sur eux-mêmes pour laisser filtrer de l’émotion… et pourtant…
Comme souvent, je suis tentée par les livres qui se passent autour du Lac Léman… même si on ne reste pas longtemps en Suisse… On est à Bellevue , près de Genève, dans les années 80. C’est un trait autobiographique du roman, l’autrice et sa mère ayant séjourné en en Suisse pendant son enfance et l’autrice, comme la petite Margaux, ayant toujours souhaité écrire.

L’histoire entre Alexis et Margaux commence quand ils ont 9 ans. Elle vient d’arriver en Suisse, sa mère, Eve, ayant quitté Paris pour s’installer  au bord du Léman avec son amant, rencontré après le décès de son mari.  C’est une enfant solitaire, qui regarde le monde mais ne s’y intègre pas. Alexis est un petit garçon qui se réfugie dans les livres pour vivre des aventures extraordinaires. C’est un petit garçon calme, qui aime la tranquillité, la rigueur et la routine et ne se lâche que pendant les vacances, au bord de l’océan, en Bretagne. Alexis a un ami, le petit Martin Milshtein, surnommé  K-Way » qui aime la musique.
Dès le début de leur relation tout oppose les deux enfants : la vie, les parents, les centres d’intérêt (écriture contre mathématiques) 

Un jour, Margaux se jette à l’eau… pourquoi ? Que cache-t-elle derrière ce geste ? Des interdits, des failles, un deuil, de la solitude, de la maltraitance? Oui, elle se jette à l’eau et seul Alexis le comprend : les autres – et les adultes en particulier – pensent – c’est plus confortable – que la fillette est tombée à l’eau.
Dans le roman il y a aussi une grande importance donnée aux mères : leur rôle, la manière d’être mère, et aussi l’évolution de la mère jeune à la mère divorcée et les liens parents/enfants. 

Aimer.. aimer d’amitié, aimer d’amour.. oui faut le dire vite…. Là c’est quand même plutôt la fuite… ou le ne pas savoir quoi faire de ses sentiments…  Pour moi une des phrases vers la fin du livre résume parfaitement le roman : « Comment t’y prends-tu pour exister? »

On est plus sur la solitude, le deuil, la tristesse, l’insécurité, la difficulté relationnelle dans la première partie du roman et c’est dans la deuxième partie du roman que les sentiments et les émotions se sont dévoilés pour moi. C’est qu’il aura fallu une longue traversée de la vie – 40 ans – la première partie du roman, pour que les deux aboutissent au croisement la deuxième chance ( après quelques occasions manquées…)  La première partie nous expose la vie des deux enfants séparés. Alexis fait Polytechnique, se marie, déménage à New-York, vit sa vie pour l’argent et les mathématiques. Margaux optera pour la carrière dans le journalisme, puis deviendra écrivaine. Tous les deux sont à la dérive, mal dans leur peau et dans leur vie : ils vivent certes, mais on ne peut pas dire qu’ils vivent bien, malgré le fait d’avoir réussi dans la vie, mais en ne vivant pas ce qu’ils auraient voulu vivre/faire. Pendant cette période tout les aura opposé aussi mais les deux auront vécu à l’abri des sentiments.. en les fuyant. Lui aura vécu en partenariat et elle aura été couvée par une sorte de mentor. Tous deux auront eu des enfants, mais pas d’amour.
Pendant la première partie j’ai lu un roman sur la dérive de notre société, les valeurs qui changent et se perdent, la solitude, la soif de pouvoir, la culpabilité, la politique et la société.

Heureusement le hasard fait bien les choses et ils vont se recroiser, se retrouver.  On retrouve un Alexis qui vit en retrait, dans une sorte de renoncement avec pour chemin de vie une phrase « je préférerais ne pas… » et pourtant… on retrouve la relation des enfants d’il y a 40 ans avec des étincelles de joie et de complicité, et la lumière qui revient dans leur vie.  Qui a dit que la vie est finie à cinquante ans ? Non, justement, elle commence! Et nous montre que la vie c’est l’espoir et au final le bonheur au bout de la route… Qu’il faut toujours y croire … et que cela va durer… au moins jusqu’à 80 ans…
Un très beau moment de lecture que je recommande vivement.

Extraits:  ( je peux recopier tout le livre ???) 

Le monde des émotions, les gestes trop vifs, les regards trop appuyés lui semblaient indécents, une rupture dans l’harmonie de la vie telle qu’il la concevait – claire, mélodique. 

Le petit garçon martelait les touches avec une détermination qui frôlait l’insolence. Chaque note était une proclamation, chaque accord une déclaration de guerre, une pluie de cailloux jetés dans la mécanique bien huilée de sa performance, que les invités trouvèrent pourtant impeccable.

« T’as sauté, je t’ai vue. »
La vérité tomba entre eux comme une pierre dans l’eau, formant des cercles de silence de plus en plus larges.

Neuf ans, et déjà trop vieille pour pleurer, trop jeune pour comprendre

Une conviction implacable se forme en elle : il faut que quelqu’un meure pour que tout s’arrête. C’est ainsi que les histoires se terminent, lui a-t-on appris, par un sacrifice, par l’agneau immolé. Et si Dieu est sourd, si papa ne revient pas, si le diable attend encore dans l’ombre, alors ce sera elle qui mettra un terme à tout cela. Elle seule. Mue par cette certitude, elle finit par se jeter dans le lac.

La justice d’une douleur partagée, même tacitement, apaise bien des trahisons.

« La première fois qu’on perd quelqu’un d’important, c’est comme un rêve qui se brise. On ne comprend pas pourquoi, et ça fait mal. Mais cette douleur, elle va t’apprendre quelque chose. »

Chopin disait que ses nocturnes étaient des poèmes de la nuit. Des moments où l’on n’entend que ce qu’on tente de ne pas dire.

C’était le piano qui, en vérité, les unissait, cette langue secrète qu’ils partageaient avec la même dévotion. Quand la parole se dérobait ou que les silences devenaient trop lourds, la musique pouvait toujours les aider à dire ce qu’ils ne parvenaient pas à exprimer. Aujourd’hui, il ressentait encore cette connexion, même si son embarras brouillait les harmonies.

La vie était déjà amère à souhait sans qu’il soit nécessaire d’y ajouter le goût de la vérité, une saveur que l’on préfère souvent laisser sur le bord de l’assiette.

Mais déjà, l’amour des livres avait surgi sans prévenir, s’était glissé dans sa tête, entre les fissures de l’ennui, de la solitude et de la folie. La littérature perce de sa lumière une pièce que l’on croyait fermée à jamais. On entend des voix perdues. On entre dans une grande conversation secrète. On trouve des mots pour ce qu’on ne pouvait dire, des histoires pour ce que l’on ressentait sans pouvoir l’exprimer. 

Chaque détail était une clé, chaque mot un code à briser. Les livres n’étaient pas des refuges mais des manuels de survie, des guides pratiques pour une ascension sociale qu’elle planifiait déjà avec la précision d’une opération militaire.

C’était peut-être une des premières leçons qu’elle avait apprises : si vous faites semblant assez longtemps, les autres finissent par vous croire.

Cette rigidité, il la reconnaissait. C’était celle des êtres qui se sont construits pièce par pièce, algorithme par algorithme, comme on bâtit un abri antiatomique.

Le temps avait creusé ses sillons sur le visage de sa mère, mais n’avait pas réussi à effacer cet art qu’elle avait de porter la beauté comme un secret qu’elle aurait oublié de révéler. 

Entre elles s’était installé un de ces silences qui sont la forme la plus achevée de la conversation entre une mère et sa fille, comme si tout ce qu’elles auraient pu dire, tout ce qu’elles n’avaient jamais osé dire, tout ce qu’elles ne diraient jamais, s’était enfin cristallisé dans cette paix nocturne. N’était-ce pas, après tout, ce qu’elles avaient toujours cherché l’une et l’autre : non pas les explications (qui expliquent si peu), non pas les justifications (qui justifient si mal), mais cette manière d’être ensemble où l’absence de mots elle-même devient une forme de tendresse ?

Non, je ne m’en souviens pas. Tu sais, moi, quand les choses sont trop laides, je les oublie.

Pour Hagauer, écrire n’était pas un acte de création mais de destruction contrôlée. Chaque livre commençait par une colère – contre le monde, contre lui-même, contre cette époque qui se délitait sous ses yeux. Il écrivait comme on fait la guerre : par campagnes successives, avec des offensives et des replis stratégiques. Sa méthode de travail matérialisait les dispositifs de sa lutte symbolique : accumulation stratifiée de capital documentaire annoté, incorporation graphique de données empiriques, ouvrages balisés par des marqueurs chromatiques signalant les positions antagonistes à déconstruire dans le champ.

« La sociologie aussi doit choisir : dire la mort sociale ou mentir dans les colloques. »

Ce qu’il n’avait pas prévu, c’est que les écrivains sont des monstres d’égoïsme et qu’il y a une chose plus redoutable qu’une femme au bord de la folie, c’est une femme qui transforme sa folie en littérature.

Le problème, c’était sa présence même, cette obligation de lui adresser la parole, car pour un écrivain, chaque mot accordé aux vivants est un mot volé aux fantômes.

Ils savaient, mais continuèrent, non seulement par appât du gain, mais par cette sorte de voracité qui pousse certains hommes à se dire que puisque le monde court à sa perte, autant profiter de la manière la plus radicale et la plus totale du temps qu’il leur reste à vivre, dans une sorte « d’après moi le déluge », afin d’en tirer les jouissances les plus raffinées, les plus démentes, les plus excessives.

« Une belle robe cache toujours ses coutures. » Sa mère parlait de son métier, mais peut-être aussi d’autre chose. De l’art délicat du remaniement biographique, de ces vies qu’on rembourre, de ces gens qu’on abandonne, de ces histoires qu’on retaille jusqu’à ce qu’elles paraissent présentables.

La gentillesse des étrangers a quelque chose d’insupportable : elle nous rappelle tout ce que nos proches n’ont pas su nous donner.

Elle vivait selon les lois du strict nécessaire : le sommeil quand il s’imposait, la nourriture quand le corps l’exigeait, les amis quand ils avaient besoin d’elle. Une fois qu’on a goûté à ce genre de liberté, il devient ardu d’y renoncer.

Et si la vie est une farce, autant jouer le dernier acte en choisissant soi-même sa porte de sortie, pour s’éjecter du jeu avec élégance. Il est bon d’avoir de l’expérience. Mais l’excès d’expérience nous tue. On verra bien quand.

Derrière la porte attend le chat. Il ne miaule pas, il toise, s’approche – pas en hôte, mais en huissier. 

Pour la première fois depuis l’enfance, son corps n’est plus une forteresse à défendre, mais un pays à habiter.

C’est étrange, la renaissance. On ne la voit pas venir. Un matin, on se réveille et les continents ont changé de place. La joie, ça n’est pas l’absence de douleur. C’est sa transmutation.

« La façon dont nous normalisons l’horreur. »
Les mots sortent plus clairement maintenant, comme s’il avait rassemblé ses forces.
« Comme le corps qui… s’habitue à fonctionner avec moins de neurones. On s’adapte. »
Sa voix grésille, mais le flot de pensées semble lui donner de l’énergie.
« On apprend à vivre avec moins de… démocratie, moins d’empathie… moins d’humanité. »
Il s’arrête, cherche son souffle.
« Jusqu’à ce qu’il ne reste que ça… respirer, manger, haïr. Et le plus terrible… – il tousse légèrement – c’est la lucidité. »

La perfection a ses avantages : elle ne vous demande jamais d’être vrai, juste d’être à la hauteur.

Un matin, elle se surprend à traverser deux rues pour aller parler à la tombe de son père au cimetière du Montparnasse. L’ironie ne lui échappe pas : discuter avec un mort de l’absence d’un vivant. La pierre reste muette – au moins, elle, ne fait pas semblant d’être occupée ailleurs. 

Les doigts s’animent sur le clavier, et dans la pénombre, impossible de distinguer le bourreau de sa victime heureuse, nul ne saurait dire qui, de l’écriture ou de l’écrivain, est en train de dévorer l’autre.

Nous ne mourrons pas, mon amour. Nous redeviendrons ce que nous avons toujours été : un éclat, une écriture. Nous serons une ligne sans terme, une phrase sans fin, de glace et de feu. Aimer est le plus beau paradoxe. Une force obstinée qui hurle contre le temps dans des corps voués à la ruine. 

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