Rahimi Atiq «La ballade du calame» (2015)

Rahimi Atiq «La ballade du calame» (2015)

L’auteur :

Atiq Rahimi vit la guerre d’Afghanistan de 1979 à 1984, puis il se réfugie au Pakistan.
Après avoir demandé l’asile politique à la France, accordé en 1984, il obtient son doctorat en audiovisuel à la Sorbonne.
En 1989, son frère, communiste, resté en Afghanistan, est assassiné, mais Atiq Rahimi n’apprend sa mort qu’un an plus tard.
Son premier long-métrage, Terre et cendres, présenté dans la section « Un certain regard » au Festival de Cannes 2004, a obtenu le prix Regard vers l’avenir.
Contrairement à ses trois premiers romans écrits en persan, « Syngué sabour : Pierre de patience » est directement écrit en français : «Il me fallait une autre langue que la mienne pour parler des tabous » Il est récompensé par le prix Goncourt 2008.

Il a publié  :  Terre et Cendres  (2000) Les Mille Maisons du rêve et de la terreur  (2002) Le Retour imaginaire (2005) – Syngué sabour. Pierre de patience, ( Maudit soit Dostoïevski (2011) La Ballade du calame. Portrait intime. (2015) – Les Porteurs d’eau (2019)  –  » L’invité du miroir (2020)

Résumé :

« L’exil ne s’écrit pas. Il se vit.
Alors j’ai pris le calame, ce fin roseau taillé en pointe dont je me servais enfant, et je me suis mis à tracer des lettres calligraphiées, implorant les mots de ma langue maternelle.
Pour les sublimer, les vénérer.
Pour qu’ils reviennent en moi.
Pour qu’ils décrivent mon exil. »
Ainsi a pris forme cette ballade intime, métissage de mots, de signes, puis de corps.
Celui qui se dit « né en Inde, incarné en Afghanistan et réincarné en France » invente une langue puissante, singulière et libre.
Une méditation sur ce qui reste de nos vies quand on perd sa terre d’enfance.

Mon avis : Gros gros coup de cœur. J’avais déjà beaucoup aimé « Syngué sabour, pierre de patience », monologue d’une femme afghane, qui avait obtenu le Goncourt en 2008. Ce livre est un portrait intime si on en croit le descriptif de la maison d’édition. Une invitation au voyage à travers l’écriture, le rêve, le corps, les arts.. de toute beauté. cela m’a fait ressortir un livre acheté il y a des années, « les mystères de l’alphabet » de Marc-Alain Ouaknin qui parlait de l’origine des lettres. A noter aussi les très belles illustrations de l’auteur.

Analyse étayée par l’écoute d’une interview de l’auteur :

Evocation par l’auteur de son pays de naissance ; il évoque ici sa double culture, afghane et française. Il écrit en français et nous parle d’écriture, de l’alphabet et de la formation des mots. Le calame, un stylet dont se servent les enfants pour écrire sur des tablettes en bois. On explore les secrets de l’écriture arabe et persane ; on y parle aussi d’exil, derrière l’importance de l’écriture. Ce livre est ià la fois un texte littéraire sur l’écriture et un livre artistique si je puis m’exprimer ainsi ; une « confession », des calligraphies, des dessins, des mouvements « callimorphiques » L’auteur nous parle aussi de sa difficulté d’écrire sur l’exil, l’angoisse de la page blanche, le rapport entre exil et création. En Afghanistan, petit, il a appris à écrire avec un roseau qui est un instrument difficile à appréhender, à tailler, à utiliser ; c’était déjà une épreuve de préparer le matériel avant même de commencer à tracer les lettres. Il parle de l’angoisse de l’apprentissage de l’écriture. Il nous apprend en interview qu’aujourd’hui encore il a des plumes de calligraphie sur son bureau qui lui permettent de tracer des lignes quand il doit se concentrer. Pour lui, l’ «Aleph» est sa madeleine de Proust et la calligraphie est considérée comme le lien sacré entre élève et religion.  Tout commence par le verbe ; les lettres ont une importance ésotérique, ce sont des talismans et elles revêtent une grande importance dans la construction de la pensée.

La calligraphie le ramène à son enfance, à la religion, aux voyages qu’il a effectués ; il va nous parler de l’importance de l’Inde dans son développement personnel. Dans ce livre, le personnage est l’ «Aleph» (la première lettre du nom d’Allah) , la naissance et l’histoire de la pensée et de l’écriture, le rapport entre exil et création ; de l’importance de l’exil dans sa vie, dans la création mais ne parle pas de l’exil en tant que tel. Il évoque des souvenirs mais sans nostalgie. Au début du livre, il nous parle un peu de sa vie, puis il entame une sorte de méditation sur l’écriture, l’exil, les religions. L’exil est source de création et notre culture est issue de l’exil d’Adam et Eve. . Il va nous parler de la création du point de vue d’Eve. A méditer… L’exil commence quand on se sent étranger à sa vie, à sa famille, à son pays, à sa culture, avant même le départ. Il explique que l’intimité n’existe pas dans sa culture d’origine et qu’il ne voit pas l’intérêt de se raconter ; il évoque des évènements mais pas son ressenti, il garde pour lui ses impressions qui sont son jardin secret et il ne veut pas se dévoiler, exposer avec une certaine indécence ses failles et ses faiblesses. L’exil ne s’écrit pas, il se vit. On perd les clés de sa vie dans l’obscurantisme que l’on fuit ; c’est en exil que l’on va rechercher une nouvelle lumière, la clé d’une vie nouvelle et d’une renaissance. Il va falloir trouver de nouvelles clés, mais ces clés ouvriront une nouvelle porte et n’ouvriront plus la porte de la maison de son enfance. Quand il décrit l’arrestation de son père, il explique que par manque de lectures, il ne disposait pas de mots pour s’exprimer. Pour lui, les choses ont besoin d’être racontées pour avoir une existence. Tout existe par le récit qui donne une vérité à ce qui arrive.

Pour lui toute existence est « entrelacement » : c’est l’entrelacement qui fait exister l’art arabo-musulman (il suffit de regarder les mosquées) ; lui-même est un personnage « tissé et métissé » de toutes les cultures et des différents arts. Il en découle cet art de la « callimorphie », mélange de la lettre et du corps humain. Tout comme dans son livre « Syngué sabour », mots et corps sont liés : la prise de parole est liée à la découverte du corps, de l’invisible, de l’absence dans l’espace-temps, de l’imaginaire, du temps passé ; tout ce qui n’est pas concret est invisible. Ces « callimorphies » sont un retour vers les origines au travers de la langue, un art qui crée un lien entre l’enfance et le présent.

A la fin de l’ouvrage, douze mouvements résument le livre : le désir, le vide, la nudité, le délestage, le vertige, la délivrance, l’intimité, la sagesse, l’infini, la légèreté, l’ailleurs et l’errance. Il cite Ovide qui disait « L’exil, c’est laisser son corps derrière soi » ; quand le corps est menacé, il doit partir, mais en partant, il laisse une trace derrière lui. Il y a deux personnes dans un exilé : la partie qui est restée Là-bas et celle qui est partie.

Extraits :

L’exil c’est laisser son corps derrière soi, disait Ovide. Et avec son corps, ses mots, ses secrets, ses gestes, son regard, sa joie…

Une fois à la frontière, le passeur me dit de jeter un dernier regard sur ma terre natale. Je m’arrêtai et regardai en arrière : tout ce que je vis n’était qu’une étendue de neige avec les empreintes de mes pas. Et de l’autre côté de la frontière, un désert semblable à une feuille de papier vierge. Sans trace aucune. Je me suis dit que l’exil serait ça, une page blanche qu’il faudrait remplir

je composais des traits avec des nuances de gris qui reliaient magiquement le noir et le blanc, l’encre et le papier, le plein et le vide

Lorsque Dieu créa le Calame, Il lui ordonna : « Écris ! » et la plume demanda « Que dois-je écrire ? »

C’est ça, elle avait peur des mots. Elle en avait peur parce qu’elle y croyait. Trop. Elle croyait à leurs magies, à leurs secrets insondables, à leur pouvoir maléfique ou archangélique

Oui, c’est le désir qui crée l’absence, nullement l’inverse

Jeune, j’étais déjà ailleurs. Sans patrie, sans terre. En exil, dans l’écriture.

la trinité indienne : la naissance (dieu créateur Brahma), la vie (dieu Vishnou) et la mort (dieu destructeur Shiva

Enfants, nous sommes tous des Shéhérazade. Nous inventons des contes non pas pour passer le temps, mais pour survivre

Mais qui serais-je sans mes errances ? Personne, me répondrait l’« étonnant voyageur » Nicolas Bouvier : On croit que l’on va faire un voyage, mais bientôt c’est le voyage qui vous fait, ou vous défait

Chez les Indiens, « ce que pense l’homme, il le devient ». Il n’y a plus de « donc » cartésien. Je suis ce que je pense. Je suis ce que je sens. Je suis ce que je désire. Je suis ce que je perçois

L’amour est la cause des causes, nous diraient les mystiques tel Iqbal, le poète pakistanais, qui répond à Shakespeare : Être ou ne pas être, la question est là C’est l’amour qui m’a appris que j’existe

Je suis bouddhiste, parce que je croie en ma faiblesse. Je suis chrétien, parce que j’avoue ma faiblesse. Je suis juif, parce que je ris de ma faiblesse. Je suis musulman, parce que je combats ma faiblesse. Et je suis athée, si Dieu est tout puissant

Car quoi que je fasse, où que j’aille, quoi que je devienne, je suis ce que j’écris, ce que je lis, ce que je vois

Mes clefs imaginaires, créées en exil, n’ouvraient plus la porte de la maison de mon enfance. En avait-on changé les serrures ?

L’exil ne s’écrit pas. Il se vit.

Il y a une légende arabe selon laquelle Dieu, en lançant une poignée de sable dans le vent du désert, créa le cheval ; et le cheval y traça une calligraphie en caractères arabes

L’entrelacement, le voilement, la dentelle, nous sommes toujours dans une conception formelle très ambiguë de l’art islamique à l’égard des thèmes et des personnages sacrés. Les voiler, les cacher, les abstraire… est-ce pour les protéger ou les rendre invisibles comme l’insaisissable Vérité divine

Le corps callimorphique, comme le livre, est la terre promise des lettres errantes

Dans mon pays, on a peur de la nudité, comme on a peur de la liberté. Parce que l’une exige l’autre

One Reply to “Rahimi Atiq «La ballade du calame» (2015)”

  1. Pour ma part, j’ai beaucoup aimé le début mais la seconde partie du livre m’a parue un peu répétitive, redondante, un peu trop intimiste…
    Mais je n’ai aucun regret de l’avoir lu jusqu’au bout

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