Garat, Anne-Marie «La Première Fois» (11.2013)

Garat, Anne-Marie «La Première Fois» (11.2013)

Auteur : Anne-Marie Garat est née en 1946 à Bordeaux. Après des études de Lettres, elle poursuit un DEA de Cinéma à l’université de Paris I. S’intéressant à l’expérimentation de la pédagogie de l’image, elle a enseigné le cinéma et la photographie à Périgueux, puis à Paris et dans sa banlieue. Elle fut également chargée de mission, auprès de Jack Lang, pour l’enseignement du cinéma à l’école.

Anne-Marie Garat a publié de nombreux articles relatifs à l’image dans plusieurs revues (Trafic, La Recherche photographique, Les Cahiers du cinéma) et dans plusieurs catalogues d’exposition. Elle participe régulièrement à des colloques universitaires, et donne des conférences en France et à l’étranger.

Anne-Marie Garat a publié de nombreux titres chez Actes Sud, parmi lesquels Les Mal Famées (2000), Nous nous connaissons déjà (2003) ainsi qu’une trilogie en forme d’hommage aux plus belles heures du roman feuilleton qui a déjà conquis un large public : Un tout petit cœur ( Junior 2004) Une faim de loup. Lecture du Petit Chaperon rouge (2004) Trilogie Une traversée du siècle : Dans la main du diable (2006), L’Enfant des ténèbres (2008), Pense à demain (2010), Photos de familles (2011), Programme sensible et La Première fois (2013), la Source (2015), Le Grand Nord-Ouest (2018), La Nuit atlantique (2020), Humeur noire (2021)

 

Paru dans La Collection « Essences » d’Actes Sud – Novembre 2013 – 56 pages

Romancière singulière, amoureuse de l’image, chez qui la mémoire passe par le cadrage, l’ombre et la lumière, Anne-Marie Garat se prête au jeu de la collection Essences. Les champs s’ouvrent, les réminiscences olfactives précèdent le développement de son imaginaire comme autant de solvants et autres sels d’argent au parfum entêtant qui soudain révèlent un lieu, une histoire relégués aux confins d’une mémoire oublieuse.

Résumé : Alors l’instant enfui se visite à loisir. nous l’effleurons et le manquons, le retrouvons, son revenu d’absence émeut infiniment plus que ce que nous vivons dans le temps bref si vite confisqué. maintenant durable et compact, comprimé qu’il est dans le mince feuilleté du papier argentique, une durée qui ne demande qu’à se développer, à déployer ses plis atmosphériques et s’épanouir en rose vivante du souvenir. Pour Essences, Anne-Marie Garat revisite l’alchimie de la photographie. Dans une chambre noire, le temps de la mémoire est arbitraire, les images révélées parfois inattendues. Et les odeurs inoubliables.

Mon avis : Ah … difficile de noter des extraits.. je vais recopier le petit livre.. Comme je me retrouve dans ce petit fascicule. On rentre dans une ancienne demeure, on la relooke, elle devient fonctionnelle, pratique, elle ressemble à un magazine de décoration et se trouve rhabillée de teintes sobres et élégantes : elle perd sa personnalité, son charme, son âme et l’âme de ceux qui l’ont habitée… On fait du neuf avec de l’ancien et on ripoline tout ça pour enterrer les amours anciennes… J’ai aimé cette nostalgie des êtres, des odeurs, ces souvenirs qui remontent à la vue de vieilles photos prises pour ce souvenir de l’instant présent et non de l’instant passé… Ces moments intemporels de la vie ancienne ; l’évocation du banc sur lequel les habitants du village venaient se poser le soir au lieu de s’enfermer maintenant devant la télévision… Toute l’émotion du développement des photos prises en argentique ; les images qui sortent des bacs, qui se révèlent dans l’obscurité de la cave ou de la chambre noire … l’angoisse de la prise de vue ratée…

Tous ceux qui ont un jour tenté l’expérience du développement photo vont se délecter de cette plongée dans le passé, à l’époque où il fallait savoir attendre et s’émerveiller, où la photo était un art. La « révélation » argentique, avec toutes les odeurs, les étapes et éléments qui y sont liés forment un monde de sentiments, de frissons, de souvenirs… Anne-Marie Garat nous fait passer de la cuisine de la grand-mère à la cuisine de l’apprenti sorcier qui révèle par magie des images… une époque où on ne pouvait pas cliquer, regarder, effacer et recommencer… à l’époque des confitures mitonnés et non achetées au supermarché… à l’époque du savoir-faire…

A me relire, j’ai tout de la vieille qui n’aime pas le progrès. Mais je dois dire que bien souvent artisanat et patience me ravissent bien davantage que le fonctionnel uniformisé…

 Extraits :

[…] un bouquet baroque de neuves senteurs anciennes qui migrent d’une région à l’autre au gré des heures, des saisons, des générations, je les respire dans le sillage imaginaire des êtres disparus.

[…] une chimie d’émotions, pure essence de leur absence.

Jamais envisagé sous l’angle de la ruine la maison des Calinottes, imaginé d’attenter à son ordre pour en tirer avantage, même en pensée, en rêve de m’en emparer pour la convertir en une autre. En son état idéal elle devait éternellement rester comme enfant j’y voyais mes grands-parents éternellement y demeurer, et moi ne jamais quitter cet âge des étés d’enfance même en grandissant, même en m’éloignant, parce qu’ils en étaient dépositaires et garants.

Visitant cette maison méconnaissable, m’est alors apparu qu’ils étaient vraiment morts, gisaient vraiment sous la tombe au cimetière, la mort avait passé ratifiant l’effacement de leur existence, ainsi marchons-nous sur les morts, foulons-nous leur terre du pied pour mieux la tasser et enfouir leur mémoire

Également quelques cuivres astiqués, si bien mis en valeur qu’ils semblaient des curiosités de brocante

C’est bien plus tard, si tard, que j’ai repensé, et seulement de temps en temps, par accès, au buffet de jadis d’où s’évadaient les arômes combinés de chicorée, de laurier, de poivre et de girofle, et de cannelle, des petits Lu du goûter, du chocolat Suchard fondu dans son papier, et celui du sirop pour la toux, car s’y rangeaient aussi les remèdes, le liniment Sloan qui soigne rhume et lumbago, sciatique, maux de nerfs, la Jouvence de l’Abbé Souris les jambes lourdes, d’autres élixirs concoctés suivant les recettes fameuses.

Bien plus tard, j’ai rouvert en pensée l’armoire en noyer qui, du temps de […]

Bien plus tard, si tard, j’ai recensé de mémoire ce qui avait disparu, commencé à me ressouvenir l’un après l’autre des objets d’abord, puis des gestes, des lumières, des voix, des bruits, des odeurs, […]

Seule la photo s’empare de ce qui est tandis que nous y sommes. Longtemps gardée hors de nos yeux, elle a la propriété de le rendre visible.

Alors l’instant enfui se visite à loisir, nous l’effleurons et le manquons, le retrouvons, son revenu d’absence émeut infiniment plus que ce que nous vivions dans le temps bref si vite confisqué […]

Leur intensité sans pareille tient à ce que je ne les ai pas faites en pensant à une dernière fois mais à une première, […]

[…]   j’enregistrais ce que la photo jamais n’enregistre des bruits, fracas ni silence, des odeurs et du goût des choses dedans et dehors, ici et loin d’ici dans le temps et dans l’espace,  […]

[…]   semblable au signet glissé dans un vieux livre qui étonne de rendre à la lecture la page oubliée, restitue le sentiment de la première fois où elle a été lue en sa nouveauté, avec celle-ci tout ce que nous étions alors et qui a disparu dans la parenthèse de cet instant, si vite ouverte et fermée.

Je n’étais pas fatiguée du voyage, plutôt de ce qui sans fatiguer rend las, l’ennui, le sentiment de n’avoir rien à quoi se prendre, qui ne donne pas sommeil pour autant.

Je me suis endormie baignée dans la naphtaline des souvenirs qui, à force d’oubli, semblent les rêves de l’ensommeillement.

La couleur a rendu le noir & blanc obsolète, davantage encore le bleu du ferrotype, le virage à l’or ou le sépia, dont l’effet passéiste se simule par jeu à l’écran de l’ordinateur.

 […]   le souvenir a les propriétés du rêve. De même que l’écriture par la lumière, il passe contrat avec l’empire des ombres, se développe dans le ventre noir de la mémoire comme dans celui de l’appareil mécanique. Saurais-je encore me servir du mien maintenant que le numérique a supplanté les boîtiers de jadis ?

Tout à leur cuisine de sorciers, ont-ils humé jusqu’à l’ébriété l’odeur photographique d’où naissent les images, leurs nuages d’image, leur vase et leur brume, leur brouillard de sable dont le magnétisme enchante, estompage vaporeux d’éponge marine, exquis flocon minéral épars dans les gélatines, […]

 

 

La Collection « Essences » d’Actes Sud (voir page sur le blog)

 

2 Replies to “Garat, Anne-Marie «La Première Fois» (11.2013)”

    1. dans cette magnifique petite collection « Essences » le top est pour le moment « Baumes » de Valentine Goby (une romancière que j’aime) suivi de celui-ci qui me fait découvrir l’écriture de Anne-Marie Garat qui me séduit bien 😉

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