Résumé : « Je suis parti en courant, tout à coup. Juste le temps d’entendre ma mère dire Qu’est-ce qui fait le débile là ? Je ne voulais pas rester à leur côté, je refusais de partager ce moment avec eux. J’étais déjà loin, je n’appartenais plus à leur monde désormais, la lettre le disait. Je suis allé dans les champs et j’ai marché une bonne partie de la nuit, la fraîcheur du Nord, les chemins de terre, l’odeur de colza, très forte à ce moment de l’année. Toute la nuit fut consacrée à l’élaboration de ma nouvelle vie loin d’ici. »
En vérité, l’insurrection contre mes parents, contre la pauvreté, contre ma classe sociale, son racisme, sa violence, ses habitudes, n’a été que seconde. Car avant de m’insurger contre le monde de mon enfance, c’est le monde de mon enfance qui s’est insurgé contre moi. Très vite j’ai été pour ma famille et les autres une source de honte, et même de dégoût. Je n’ai pas eu d’autre choix que de prendre la fuite. Ce livre est une tentative pour comprendre.
Concentré de l’émission Vertigo du 12.2.2014 (RTS)
J’ai écouté une émission où Edouard Louis parlait de son livre. Voici en gros le résumé de l’émission : « Au commencement était l’injure ». Ce livre est une invitation à être ce que l’on est, ce que l’on veut être et non pas ce que l’on veut faire de nous. Le roman de sa vie (il a souhaité en faire un roman pour moins blesser ses proches entre autres raisons) est de fait le récit de son enfance et adolescence, un « récit littéraire sur la violence» C’est une histoire universelle, l’expérience de la différence, de l’exclusion, de la domination, des préjugés. L’injure se faufile par les fissures de l’être (que l’on soit gay, étranger, moche, différent) tt génère la honte avant qu’on soit capable de se construire, et de changer ce sentiment de honte en fierté et l’assumer. Ce livre est un livre sur la violence physique, verbale et morale. Tout est moche dans la violence. Le livre parle de la honte de ne pas correspondre à l’attente des autres ; il est constitué de scènes. Le jeune garçon va se « vider » de sa violence et devenant homophobe et en se déchargeant avec violence sur les autres, pour montrer aux siens qu’il est un homme et déteste les « pédés »..
C’est un roman sur la domination. Les pauvres sont dominés par la société, et ils dominent plus « méprisables » qu’eux pour ne pas être au plus bas.
Dans ce village, on le traite de « Pédé » avant même qu’il en soit conscient. On le marginalise en le considérant comme anormal, différent et on induit en lui des comportements.
Le livre est un appel politique à la révolte des dominés ; la colère est omniprésente (chez le père, la mère). Seul Eddy n’est pas révolté. Lui il rêve de conformité ; il finira par fuir « par défaut ». Il se construit « contre sa famille », toujours par défaut. Le livre est en quelque sorte un éloge de la fuite. Il faut fuir non par lâcheté mais pour mieux se constituer. Il faut laisser l’insupportable derrière soi et partir pour vivre et être soi-même. Les différences deviennent une force mais il faut se façonner des armes pour les affronter et les accepter, pour ensuite comprendre les autres et les excuser. Les actes des individus sont induits par le système, les discours entendus parlent par la bouche des miséreux. Le danger est dans les mécanismes collectifs de la haine. L’exclusion conditionne toute la vision du monde ; ce livre est une mise en lumière d’une réalité sociale que tout le monde – politique et social – réfute ; Le « petit noir », le gros, le moche, le « pédé ».. tout ce qui est différent canalise la violence.. et il convient de dénoncer la participation du dominé à sa propre domination (la femme battue qui rentre chez elle pour se faire battre)…
Mon avis : L’histoire se passe dans le petit village d’Hallencourt, dans la Somme (petit village de Picardie). Ce livre est très violent, il met très mal à l’aise. Surtout car il est tellement hallucinant que je me suis mise à douter de la véracité du récit. Comment à la fin du XXème siècle vit-on comme il y a plusieurs siècles ? Trop de sordide tue le récit. Je n’ai pas pu rentrer dans le récit. Tellement crispée à la lecture que je suis restée spectatrice incrédule et que je n’ai même pas éprouvé d’empathie. Je me disais « quelle horreur » et au fur et à mesure je me suis blindée et détachée en me réfugiant derrière un « trop c’est trop ». De plus il le dit bien il a construit son livre comme un projet politique et cela nuit à la sensibilité. Tout sent l’analyse de ce jeune homme qui a suivi des études de sociologie et qui nous donne à lire un récit sociologique sur la violence plutôt qu’un roman sur l’enfance détruite.. Il sort de la fange, de la misère, et dans son récit si bien écrit, il se distancie tellement de son passé que j’ai eu l’impression de lire un reportage sur des gamins du quart monde.. et non pas sa propre histoire.. Trop de distance entre lui petit et lui maintenant…
Extraits :
Au collège :
J’errais sans laisser transparaître l’errance, marchant d’un pas assuré, donnant toujours l’impression de poursuivre un but précis, de me diriger quelque part, si bien qu’il était impossible pour qui que ce soit de s’apercevoir de la mise à l’écart dont j’étais l’objet.
Le rôle d’homme :
Au village les hommes ne disaient jamais ce mot, il n’existait pas dans leur bouche. Pour un homme la violence était quelque chose de naturel, d’évident.
Portrait de ma mère à travers ses histoires :
Elle me parlait beaucoup, de longs monologues ; j’aurais pu mettre quelqu’un d’autre à ma place, elle aurait continué son histoire. Elle ne cherchait que des oreilles pour l’écouter et ignorait toutes mes remarques
…qu’il n’existe d’incohérences que pour celui qui est incapable de reconstruire les logiques qui produisent les discours et les pratiques. Qu’une multitude de discours la traversaient, que ces discours parlaient à travers elle, qu’elle était constamment tiraillée entre la honte de n’avoir pas fait d’études et la fierté de tout de même, comme elle disait, s’en être sortie et avoir fait de beaux enfants, que ces deux discours n’existaient que l’un par rapport à l’autre. La honte de vivre dans une maison qui semblait s’écrouler un peu plus chaque jour C’est pas une baraque c’est une ruine. Bref, peut-être que ce qu’elle voulait dire, c’est Je ne peux pas être une madame, même si je le souhaitais.
La chambre de mes parents :
L’impossibilité de le faire empêchait la possibilité de le vouloir, qui à son tour fermait les possibles
J’ignorais la genèse de ma différence et cette ignorance me blessait
Les histoires du village :
Une volonté, un effort désespéré, sans cesse recommencé, pour mettre d’autres gens au-dessous de soi, ne pas être au plus bas de l’échelle sociale
La bonne éducation :
Sa question, ce n’était pas lui qui la posait mais un rôle qui le dépassait, parfois, contre sa volonté, l’acceptation ou plutôt l’intériorisation du fait qu’il valait mieux, qu’il était plus légitime de bien faire ses devoirs pour un enfant.
Je m’appliquais à me rapprocher le plus possible des garçons pour apaiser mes parents. En vérité, je m’ennuyais beaucoup en leur compagnie
J’éprouvais ce besoin de les rasséréner, de faire en sorte qu’ils cessent de se poser des questions que je voulais voir disparaître
Le hangar :
J’utilisais les mots pédé, tantouze, pédale pour les mettre à distance de moi-même. Les dire aux autres pour qu’ils cessent d’envahir tout l’espace de mon corps.
Après le hangar :
Le crime n’est pas de faire, mais d’être. Et surtout d’avoir l’air.
Devenir :
Mais d’abord, on ne pense pas spontanément à la fuite parce qu’on ignore qu’il existe un ailleurs. On ne sait pas que la fuite est une possibilité. On essaye dans un premier temps d’être comme les autres, et j’ai essayé d’être comme tout le monde
Chaque jour était une déchirure ; on ne change pas si facilement. Je n’étais pas le dur que je voulais être. J’avais compris néanmoins que le mensonge était la seule possibilité de faire advenir une vérité nouvelle. Devenir quelqu’un d’autre signifiait me prendre pour quelqu’un d’autre, croire être ce que je n’étais pas pour progressivement, pas à pas, le devenir
Révolte du corps :
Je n’avais pas envisagé qu’il ne suffisait pas de vouloir changer, de mentir sur soi, pour que le mensonge devienne vérité.
2 Replies to “Louis, Edouard : ” En finir avec Eddy Bellegueule” (2014)”
Livre très dur ,tellement réaliste (malheureusement) sujet de « discorde » avec mon gendre « nordiste « …………..
Ouvrage percutant. J’ai eu le même sentiment : « Comment cela peut-il encore exister au 21ème siècle… » Néanmoins, c’est une écriture franche, sans détours, ni pincettes.
La vraie claque que j’ai reçue, c’est avec son second roman « Histoire de la violence ». Dans celui-ci, j’ai manqué d’empathie et l’écriture se perd dans de nombreux détails.
Son troisième bouquin « Qui a tué mon père » est, quant à lui, davantage agréable à lire. Il dénonce les responsables de la dégradation du corps de son père qui se tue au travail. 90 pages efficaces qui dénoncent les conditions de vie des plus démuni-e-s en milieu rural. Glaçant.