Boris, Hugo «Police» (2016)
Auteur : Hugo Boris est l’auteur de quatre romans très remarqués aux éditions Belfond, « Le Baiser dans la nuque » (2005), « La Délégation norvégienne » (2007), « Je n’ai pas dansé depuis longtemps » (2010) et « Trois grands fauves » (2013). Tous sont disponibles chez Pocket. En 2016 il publie « Police« . Il a été assistant réalisateur sur plusieurs documentaires à la télévision, travaille dans une école de cinéma le jour et écrit la nuit.
Grasset – 24/08/2016 – 198 pages – Prix Eugène Dabit du roman populiste
Résumé : Un soir d’été caniculaire, au commissariat du XIIème, après une journée harassante, trois policiers, Virginie, Erik et Aristide, acceptent de faire équipage pour la soirée. Le centre de rétention voisin est en feu, on tente d’y contenir les étrangers sans-papiers, les services sont débordés. Alors on les charge, eux, d’une mission inhabituelle. Eux, ce sont trois flics en tenue, des flics de base, ceux dont on ne parle jamais, les bons à tout faire de la police.
Ce soir, la mission consiste à reconduire à la frontière un étranger dont la demande d’asile a été rejetée. L’homme, un Tadjik, ne sortira pas d’un silence inquiétant mais son dossier indique qu’un retour au pays est synonyme d’une mort certaine. Le temps d’un trajet de 25 km, le trio va vivre un dilemme déchirant, mené par Virginie, pour qui ces heures sont également cruciales : le lendemain à la première heure, elle va avorter de l’enfant qu’elle porte de sa relation adultère avec Aristide.
Lui s’y refuse, tente de la dissuader encore, lui lance des allusions et des regards insistants dans le rétroviseur. Elle s’arc-boute pour ne pas fléchir, ne pas douter, oublier cet amour insensé. Mais le drame de cet inconnu atone, tétanisé, fait exploser toutes les évidences, toutes les certitudes, jusqu’à la confrontation finale, sur le tarmac brûlant de Roissy-Charles-de-Gaulle, où ces quatre vies s’apprêtent à basculer.
Comment être soi, chaque jour, chaque seconde, dans le monde tel qu’il va ? Comment exercer un métier impossible, faire respecter l’ordre sans se renier soi-même ? Dans ce roman d’une formidable efficacité dramatique, Hugo Boris condense en quelques heures d’un huis clos tendu à l’extrême une histoire qui embrasse les choix personnels les plus profonds et la responsabilité collective la plus vaste.
Mon avis : Comme je viens d’avoir un coup de coeur pour le livre d’Olivier Norek « Entre deux mondes » et qu’il recommande ce livre dans la postface… je lui ai fait confiance et je ne l’ai pas regretté.
Huis clos dans une voiture de police : trois policiers du 17 (et une fois n’est pas coutume pas du 36 !) et un ressortissant Tadjik que l’on reconduit à l’aéroport pour le faire expulser. Un roman… mais surtout un bel hommage aux gardiens de la paix qui réhabilite la fonction de ces hommes et de ces femmes qui doivent faire face aux drames quotidiens tout en faisant respecter l’ordre, doivent suivre les directives de leur hiérarchie, sont confrontés à la douleur des autres et doivent faire abstraction de leurs sentiments et de leur ressenti pour assumer leur tâche. Ces trois policiers (1 femme et 2 hommes) sont tous les trois dans une phase difficile de leur vie personnelle ; le plus âgé n’en peut plus, après 15 ans dans la police, la femme va se faire avorter le lendemain et le beau flic, boute-en-train de service est mal dans sa peau et n’arrive plus à faire face non plus à sa vie faite de faux-semblants. Quand ils sont appelés pour faire le transfert d’un homme qui va être expulsé vers son pays d’origine et qu’ils se rendent compte qu’ils envoient purement et simplement le pauvre homme à la mort, ils sont face à un dilemme : obéir et fermer les yeux ou décider de faillir à leur mission et ouvrir la « cage » pour que l’oiseau s’envole et disparaisse dans la nature…
L’auteur s’est inspiré du livre de la Lieutenant Benedicte Desforges (Chroniques de la police ordinaire) et a eu la possibilité de suivre la vie des flics de commissariat de quartier. Il ressort de ce livre une grande humanité et cela nous permet de voir à quel point il faut que ces policiers se blindent pour pouvoir obéir aux ordres … Livre court mais très intense, humain…
Extraits :
elle se demande toujours comment elle n’a pas les yeux sales, stupéfaite qu’ils n’aient pas conservé, dans leur profondeur, le pâle reflet de la misère.
Ils se sont déshabitués l’un de l’autre, comme s’ils ne savaient plus les gestes.
Son humour parapluie le protégeait moins, il avait baissé sa garde. Quelque chose sonnait faux, faisait moins rire. Il continuait de lancer des vannes par inertie, mais avec une gaieté sans joie. On aurait voulu empoigner la clef dans son dos et lui donner trois tours pour remonter le mécanisme.
Elle ne savait plus quoi lui répondre tant c’était stupide, sans remède. Elle l’avait regardé comme on peut avoir envie de se pencher au-dessus du vide.
Les mots ne sont plus que des cadavres de sons, des signifiants dégagés de leur signification. Ils débriefent, ils checkent, voilà, en fait, c’est énorme, c’est la double peine, ils gèrent, c’est bon ça, ils sont opé, en mode boulot, ils sont preneurs, ou pas, point barre, j’ai envie de dire, grave, ça le fait, ça coûte un bras, un œil, le prix d’un rein, faut faire de l’essence, faire du bruit surtout, jointoyer les silences avec des mots fourre-tout, des mots béquilles, combler les interstices pour créer un fond sonore où rien ne se dit.
Son lieu de vie ouvrait entre eux un fossé béant, aussi sûrement que l’auraient fait des convictions politiques antagonistes ou une différence d’âge trop marquée.
— Dis pas du mal d’une journée qu’est pas finie.
Ils ont pour principe de ne pas se quitter fâchés. Parce qu’un jour, ce n’est peut-être pas lui qui l’appellera. C’est qu’il a épousé son travail d’abord, comme tous les flics du monde.
C’est qu’il a épousé son travail d’abord, comme tous les flics du monde. De l’extérieur, il paraît si concentré. On pourrait croire qu’il s’est mithridatisé contre les coups jour après jour, immunisé contre la violence du monde par l’accoutumance, à doses progressives. Il s’est juste désensibilisé. Il n’est pas. Il s’est juste désensibilisé. Il n’est pas plus résistant, ni plus fort, ni plus professionnel que les autres, juste plus détaché. Sur son visage, un masque se fige d’année en année. Mais à l’intérieur, l’hémorragie a commencé.
Il a le regard vide des torturés auxquels on a ravi à jamais la possibilité de faire confiance. Il a les yeux dépolis des rescapés dont on a inhibé les mécanismes de défense, brisé la volonté, tué l’imagination.
elle prend ce que la vie lui donne, et elle sourit tout à coup, son visage s’éclaire, parce qu’elle se souvient qu’elle doit fermer les yeux et penser à la France.
(livre choisi pour le « challenge j’ai lu 2018 » ) : Un livre mentionné dans un autre livre
One Reply to “Boris, Hugo «Police» (2016)”
Comme toi je n’ai pas manqué, à la fin de « Entre deux mondes » de Olivier Norek, son « Message subliminal » et j’ai lu « Police » de Hugo Boris ! Très belle découverte.
Contrairement à ce qu’on pourrait croire, ce roman n’est pas un roman policier. « Police » raconte une tranche de vie, quelques heures du quotidien de trois policiers, leurs problèmes familiaux, leurs sentiments et états d’âmes . Nous sommes à mille lieues des superflics ou des personnages déjantés auxquels le polar nous a habitués. Ici, ce sont des hommes et des femmes ordinaires qui, lors d’une mission en principe banale, vont être confrontés à un difficile cas de conscience. Ils vont remettre en question leurs convictions, ébranlant le fragile équilibre de leur vie.
Un livre magnifique mais, hélas, très court.