Norek, Olivier «Entre deux mondes» (2017)

Norek, Olivier «Entre deux mondes» (2017)

Auteur : Engagé dans l’humanitaire pendant la guerre en ex-Yougoslavie, puis lieutenant à la section Enquête et Recherche de la police judiciaire du 93 depuis dix-huit ans, Olivier Norek est l’auteur de trois romans largement salués par la critique et traduits dans plusieurs pays, ainsi que le lauréat de nombreux prix littéraires. Après Code 93, Territoires et Surtensions, Il publie « Entre deux mondes » en 2017et il nous invite dans un monde que nul ne peut imaginer, où se rencontrent deux inspecteurs que tout semble opposer et qui devront unir leurs forces pour sauver un enfant. « Surface » parait en 2019 .

Michel Lafon. 5.10.2017 – 413 pages

Résumé : Fuyant un régime sanguinaire et un pays en guerre, Adam a envoyé sa femme Nora et sa fille Maya à six mille kilomètres de là, dans un endroit où elles devraient l’attendre en sécurité. Il les rejoindra bientôt, et ils organiseront leur avenir.

Mais arrivé là-bas, il ne les trouve pas. Ce qu’il découvre, en revanche, c’est un monde entre deux mondes pour damnés de la Terre entre deux vies. Dans cet univers sans loi, aucune police n’ose mettre les pieds.

Un assassin va profiter de cette situation.

Dès le premier crime, Adam décide d’intervenir. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’il est flic, et que face à l’espoir qui s’amenuise de revoir un jour Nora et Maya, cette enquête est le seul moyen pour lui de ne pas devenir fou.

Bastien est un policier français. Il connaît cette zone de non-droit et les terreurs qu’elle engendre. Mais lorsque Adam, ce flic étranger, lui demande son aide, le temps est venu pour lui d’ouvrir les yeux sur la réalité et de faire un choix, quitte à se mettre en danger.

Mon avis : Dans la lignée de lectures comme « Les échoués » de Pascal Manoukian et «Les Passeurs de livres de Daraya – Une bibliothèque secrète en Syrie» de Delphine Minoui,  ces livres entre le Roman et le reportage, qui vous prennent au cœur et individualisent les drames individuels et humains. De ces livres que tout le monde devrait lire pour vous ouvrir les yeux et le cœur. Des personnages qui vous font vibrer, que ce soit coté « migrants » ou coté « flics ». Et aussi une explication de ce qui se passe derrière les murs. Un livre qui humanise les deux partis en présence, mais qui montre aussi les horreurs perpétrées par les passeurs, ceux qui se font du fric sur le dos des désespérés. Qui expose la différence entre les forces de l’ordre sur le terrain et autres responsables qui donnent leurs ordres de loin, ne se mouillent pas et veulent solutionner le problème d’un point de vue politique et non humain, en ne respectant pas leur parole…  Qui montre la droiture, la solidarité, la culture, l’organisation des personnes qui vivent dans la jungle, la difficulté de faire confiance, la peur et les règlements de compte… plongée dans les drames humains… Superbe témoignage que cette enquête de police dans le seul endroit en France où, justement, on ne peut pas enquêter : un camp de réfugiés. Un livre qui selon une interview de l’auteur a nécessité une année d’enquête et de six mois d’écriture et qui précise qu’il n’a rien inventé.
Alors un conseil : essayer de vous mettre à la place des migrants qui essaient de rallier Yuké (UK), des flics qui essaient de protéger Calais et son tissu social et économique… et n’oubliez pas que ceux qui ont fui leur pays sont des êtres humains qui auraient préféré pouvoir rester chez eux plutôt que de risquer leur vie et celles des autres pour essayer de survivre et se retrouvent dans des camps, dans des conditions de vie inacceptables au terme de voyages dantesques… Et posons-nous aussi des questions sur leur situation entre deux mondes, et sans aide car ils n’ont aucun statut …

Extraits :

Il ne restait plus rien sur cette lande de ce que l’espoir y avait construit.

Quelques années auparavant, une déchetterie et un cimetière se partageaient l’endroit. Puis l’État y parqua les migrants aux rêves d’Angleterre. Ce matin, la déchetterie avait repris forme. Mais lorsque les dents puissantes de la pelle mécanique s’enfoncèrent dans la terre, c’est le cimetière qui ressuscita.

Muhajirin. Ceux qui voyagent. Les migrants.

L’État a fait place nette à coups de bulldozer et on a invité les migrants à s’y installer il y a un an de ça. Au début, ils sont arrivés discrètement, une petite centaine de curieux tout au plus, puis l’info a traversé la planète et ils sont venus par milliers. La Jungle était née.

Quand ils sont arrivés sur place, ils ont vu un morceau de forêt, alors ils ont appelé l’endroit « la Forêt ». En langue perse, jangal. Ici, on a entendu « jungle », prononcé à l’anglaise.

C’est à la fois une zone de non-droit et un bidonville.

Le poids du récent décès de son père la retenait de vivre, comme une ancre retient un navire.

En gros, avec ce statut bâtard, on ne peut pas les interpeller. Logique, si on refuse de les intégrer à la France ce n’est pas pour les faire rentrer dans le système judiciaire. Mais on ne leur donne pas non plus la qualité complète de réfugiés, sinon, il faudrait s’en occuper.

Coincés entre la vie terrestre et la vie céleste. Comme bloqués entre deux mondes.

Mais l’habitude ne fait pas le cuir plus épais.

Des gamins, des jeunes, des adultes. Uniquement des hommes. De la pauvreté. De la misère. De la dignité pourtant. Pas de tristesse.

Venant des pays les plus éloignés et les plus violents, ils échouaient ici, comme l’écume des conflits de l’Afrique et du Moyen-Orient.

Mais je suis soudanais, noir comme la nuit, tous nos visages se ressemblent, c’est vrai ?
– Et moi arabe, marron comme la terre, ça doit être la même chose.

Mais le matin cueille les hommes sans protection, sans bouclier ni barrière. Impossible de se mentir.

Nous sommes tellement de personnes différentes dans une même vie. Père, assassin, ami.

Et comme l’espoir tue autant qu’il occupe, il lui en injecta une bonne dose, directement dans le cœur.

Certains souvenirs sont des brûlures et ces cauchemars n’épargnent personne.

Abandonner serait si reposant. Arrêter de se débattre et se laisser couler, tout au fond de soi-même…

(livre choisi pour le « challenge j’ai lu 2018 » ) : Un livre que vous aviez prévu de lire en 2017

12 Replies to “Norek, Olivier «Entre deux mondes» (2017)”

  1. Je vais lire sans trop tarder ce livre .C’est que ces livres entre roman et reportage sont vraiment passionnants. Merci Catherine !!

  2. Merci pour ce magnifique résumé et ressenti ! Je n’aurais pas pu mieux dire… j’ai adoré ce texte et tu m’as donné envie de lire les deux titres dont tu fais mention

  3. Lu il y a duex mois, ce fut un gros gros coup de cœur !

    Adam est un policier qui a fui son pays, la Syrie, et qui recherche désespérément sa fille et son épouse dans la jungle de Calais. Bastien est un policier français fraîchement muté dans la ville. Les deux hommes vont unir leurs forces pour tenter de mettre fin aux agissements d’un assassin.

    « Entre Deux Mondes » est d’abord un bon polar où le lecteur est tenu en haleine jusqu’au dernier rebondissement.
    Mais ce roman est surtout un reportage sans concession sur la misère humaine subie dans un camp de réfugiés, en France.

    Olivier Norek sait de quoi il parle, il s’est rendu sur place avant d’écrire son roman. Il nous raconte Calais et ses habitants, ceux qui ont beaucoup perdu à cause de la présence des migrants, ceux qui restent indifférents… ou du moins qui essaient, ceux qui veulent aider, quitte à se mettre hors la loi.
    Il nous fait pénétrer en enfer, dans la zone de non-droit qu’est la jungle de Calais. Et ce que l’auteur nous décrit n’est pas de la fiction.

    Comme Pascal Manoukian l’avait fait avec « Les Échoués », Olivier Norek nous sensibilise au sort de ces hommes, ces femmes et ces enfants qui n’ont eu qu’un seul choix s’ils voulaient survivre : fuir. Et au final, malheureusement, comme aves « Les Échoués », j’ai refermé le roman avec le même sentiment d’impuissance et de culpabilité.

    À lire, absolument !

  4. Merci Catherine pour cette belle lecture. Il est vrai que le regard change complètement sur cette misère dont on ne dit rien.
    Avec les passeurs de livre … plongée dans ces mondes, ces cultures, ces attentes et déchirures.
    J en veux d autres …..

    1. je te prête les livres de Pascal Manoukian . Je les ai commentés ici et c’est également des livres coup de poing que tout le monde devrait lire 😉

  5. Je viens de le finir. C’est un terrible récit où tous les aspects de ces migrations sont abordés , la violence, le désespoir, l’impuissance mais aussi la grande responsabilité politique . Je ne peux pas mieux en parler que tu ne l’as fait . J’ai failli l’abandonner après l’épisode dans le bateau tant j’étais bouleversée. Effectivement de la même veine que les Echoués .

  6. Je viens de le terminer
    Plus qu’un polar, c’est un récit bouleversant sur la dure vie des migrants dans la « jungle » de Calais
    Un livre choc
    Merci Olivier Norek

  7. Par contre, j’ai lu une centaine pages de « Code 93 » et j’ai laissé tombé. Je sais, je suis un grand pénible en matière de polars ou de thrillers.

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