Capus, Alex « Léon et Louise » (09/2012)
Auteur : Alex Capus est né en Normandie en 1961, d’un père français et d’une mère suisse. Il vit jusqu’à l’âge de cinq ans à Paris, puis part s’installer en Suisse avec sa mère. A Bâle, il étudie la philosophie, l’histoire et l’ethnologie. Alex Capus est l’auteur d’une dizaine d’ouvrages dont deux sont disponibles en français: « Un avant-goût de printemps » (Autrement, 2007) et « Le roi d’Olten » (Bernard Campiche, Suisse 2011). Traduite dans de nombreuses langues, son oeuvre a été récompensée par le grand prix de Pro Helvetia. Le Prix du public de la RTS 2013 lui est attribué pour « Léon et Louise », paru aux éditions Actes Sud.
Résumé : Le jour des obsèques du grand-père, la famille est en train d’attendre le prêtre dans la cathédrâle Notre-Dame-de-Paris, lorsqu’une petite dame énergique, portant un foulard rouge, s’approche du cercueil, pose un baiser d’adieu sur le front du défunt et, en souriant malicieusement en direction de l’assistance, actionne une vieille sonnette de vélo. Dans les premières rangées, on chuchote. Est-ce vraiment cette Louise ? Elle a donc osé ?
Léon et Louise n’ont pas vingt ans lorsqu’ils se rencontrent dans un petit village français vers la fin de la Première guerre mondiale. Connus, reconnus, perdus de vue, séparés par les hasards de l’Histoire, les deux jeunes gens ne s’oublieront jamais.
Avec un sens délicat du détail et un souffle narratif puissant et élégant, Alex Capus explore les ressorts complexes de deux existences. Surgissent alors le décor et l’ambiance des différentes époques durant lesquelles nous suivons les péripéties des deux héros : la Normandie pendant la Première guerre ; Paris sous l’Occupation ; le Quai des Orfèvres et la Banque de France ; l’action du préfet de police pour cacher les archives relatives à l’immigration ; l’opération de sauvetage de l’or de la République…
En réinventant la vie secrète de son propre grand-père sur plus de quarante ans, Alex Capus signe le roman d’un amour plus fort que le tourbillon de la vie, une irrésistible épopée qui a déjà séduit un grand nombre de lecteurs à travers le monde.
Petite explication : L’auteur passait ses vacances d’été, enfant, dans un petit village de Normandie (la capitale du boudin) ou il est né. Il en garde le souvenir des vaches, du boudin et du Calva. Toute la famille connaissait ce secret de polichinelle, l’existence de Louise, mais tout le monde gardait le secret. L’auteur n’a vu Louise qu’une fois, le jour de l’enterrement de son grand-père; par contre, quand il allait voir son grand père à Paris, il savait que le mardi et le jeudi étaient des jours « réservé » à Louise. Toute la famille savait, mais personne ne disait. Il a écrit ce livre quand il est arrivé au cap de la cinquantaine, il a plongé dans le récit de la vie de son grand père, et en a profité pour revoir le fil de sa vie. Toujours des descriptions détaillées, toujours une pointe d’humour. Il aime les écrivains russes, les américains ( Tchekhov, Hemingway )
Le grand père n’a pas « fréquenté » Louise tant qu’il a été marié, même si il a gardé le contact tout au long de sa vie; pas de mensonges ni de cachotteries, ni de ménage à trois. Ils se sont perdus, retrouvés, mais jamais de tromperie. Il y a toujours de l’ironie et de la distance, dans le regard qu’il porte sur le monde et les êtres; il ne faut pas se prendre au sérieux, même si le sujet est grave. Avec l’ironie, on avoue une certaine sorte de « défaite » ; l’auteur essaie toujours de travailler à partir de faits historiques, de se baser sur des faits avérés et saupoudre d’un peu d’ironie pour faire passer l’acidité de la vie. Les relations décrites sont fortes; nous avons tous besoin de croire que la vie a un sens, que se soit dans une petite ville de province ou ailleurs et que les relations humaines sont le fondement de la vie. Il aime les petites gens, a une grande tendresse pour eux. Il trouve très important de connaître les petites histoires de la vie de chacun.
11 ans, 8 mois et 23 jours… le temps de la séparation entre Léon et Louise. Une double vie pour Léon, marié en réalité et amoureux en rêve.. Une fresque qui nous mène d’une guerre mondiale à l’autre.. tout y est le béret, la baguette de pain, le vélo. Le contexte historique et les circonstances de vie sont importantes, c’est ce qui tient le récit. Il veut que sa fiction soit « vraie ». Les lettres écrites par Louise sont écrites par l’auteur et ne sont pas véridiques. L’héroïne secrète du roman c’est l’épouse, Yvonne. Elle le pousse à aller rejoindre Louise quand elle apprend qu’elle est vivante; elle est intelligente, elle sait qu’elle n’aura aucune chance de gagner contre un fantôme.. alors elle le pousse à la revoir. Grandeur d’âme et résignation pour Yvonne; c’est le portrait de la vraie grand mère de l’auteur telle qu’il l’imagine car elle est morte quand il avait 3 ans. Elle n’est pas la victime habituelle du ménage à trois.. pas de bassesse, pas de trahison, mais le respect mutuel, un accord tacite entre les trois personnages. Il voit le film de la vie de ses personnages, et de ce fait, les personnages sont réels. Il décrit et montre les choses, mais n’explique pas trop car c’est le lecteur qui doit s’expliquer le livre. C’est un livre d’atmosphère. Léon est un « héros » de la résistance passive, il a trouvé sa petite façon de ne pas risquer trop mais il a fait des fautes exprès dans le contexte administratif. Il fait en sorte de ne pas profiter des choses qu’il est obligé d’accepter mais d’en faire profiter les autres. On est à Paris, il y a des mendiants et des clochards, et cela fait partie de la vie… Les métiers de Léon et Louise sont vrais, comme le reste dans le récit. C’est l’important des relations à long terme; les amitiés d’enfance, les souvenirs et les vies qui se croisent et se recroisent.
Mon avis : Vrai coup de cœur pour ce livre. Plein de tendresse, d’amour, de finesse et de subtilité. Mais sans mièvrerie sans sentimentalisme. Une belle histoire d’amour dont le cours logique sera détourné par la guerre mais qui perdurera envers et contre tout. Mais qui ne ravagera pas tout autour d’elle. Un amour contrarié qui respecte la vie et les autres. Un roman sur la persistance des sentiments, sur « le grand Amour ». L’écriture est fluide. Le décor est l’entre-deux guerres en France, l’envers du décor, la vie des gens normaux dans la France occupée : en Normandie, à Paris ; on tournera aussi des pages d’histoire.. le sauvetage de l’or par la Banque de France, la destruction des archives par la police… De plus Capus réussit à rendre tous les personnages intéressants et attachants.
Extraits :
« Nous sentons exactement pareil. — Nos odeurs se sont mélangées. — Je voudrais que ça reste comme ça. — À jamais. »
« La nuit, avant de s’endormir, Léon ne cessait de revivre en pensée le trajet en Torpédo, les moments passés avec Louise au Relais du Midi et les dernières heures, jusqu’à l’aube, en lisière de cette forêt d’où l’on apercevait la tour Eiffel. Il eut la surprise de constater que ses souvenirs ne s’estompaient pas au fil des semaines, des mois et des années ; au contraire, ils devenaient de plus en plus puissants, de plus en plus vivants. »
« La journée, il allait consciencieusement travailler, et le soir il plaisantait avec sa femme et se montrait auprès de ses enfants un père plein de tendresse ; mais au fond, les moments où il était le plus vivant étaient ceux où, tel un vieillard, il s’abandonnait totalement à ses souvenirs. »
« Debout devant la fosse ouverte, Léon s’étonna de ce rituel qui s’accomplissait sans aspérités – elle était presque offensante, la simplicité avec laquelle un être pouvait être enterré comme si de rien n’était, comme si cet être n’avait pas, après tout, aimé et haï durant une vie ou n’avait pas été, au moins, utile à ses proches d’une manière ou d’une autre ; un dossier classé qu’on expurgeait sans façon du quotidien. »
« Je vis bien, tu ne me manques pas, comprends-tu ? Tu es seulement un de ces points vides parmi tant d’autres, de ces blancs que je transporte à travers ma vie ; après tout, je ne suis pas devenue pilote de course automobile ni ballerine, je ne dessine pas et je ne chante pas aussi bien que je le désirais, et je ne lirai jamais Tchekhov en russe.«
« On s’y fait, à ces blancs, on vit avec, ils font partie de vous et on ne voudrait pas se priver d’eux ; si je devais me décrire, la première chose qui me viendrait à l’esprit, c’est que je ne parle pas russe et que je ne sais pas faire de pirouettes. »
« Et avec le temps, je me suis aperçue que je m’ennuie moins avec moi-même qu’en compagnie d’un monsieur qui ne me plaît pas complètement.»
5 Replies to “Capus, Alex « Léon et Louise » (09/2012)”
Léon et Louise – Alex Capus rafraîchissante lecture estivale, un petit bonbon doucement acidulé qu’on a plaisir à déguster dont on a pas envie d’arriver au bout tout en voulant connaître la fin… Douce torture que de ralentir l’allure et s’obliger à le faire durer un tout petit peu plus !
« …et moi, je continue de me sentir de plus en plus proche de toi, plus je suis loin de toi.
J’aimerais tant savoir pourquoi cela n’a pas changé au fil des ans – car après tout, tu n’es pas à ce point extraordinaire ni unique, soyons honnêtes. En tout cas, je suis contente de la permanente petite douleur que j’ai à l’âme à cause de toi; parce que la douleur à quelque chose de réconfortant, elle n’atteint que les vivants, et puis je suis sûre que tu ressens la même chose que moi.
Ainsi, il ne passe pas de jour ni d’heure sans que j’aie envie de te raconter ceci ou cela et que je souhaite que tu sois ici, que tu puisses voir ce que je vois et que je puisse entendre tout ce que tu aurais à en dire…. « .
« Bien sûr, au fil des ans, j’ai eu quelques amourettes et aventures, car après tout, on ne veut pas s’ennuyer dans la vie; malheureusement, elles se sont toujours bien vite éventées et affadies. Et avec le temps, je ne me suis aperçue que je m’ennuie moins avec moi-même qu’en compagnie d’un monsieur qui ne me plaît pas complètement.
Me voici donc, comme on dit, toujours célibataire (…).
Et puis, je ne sais pas, mon cher Léon, mais il n’y a jamais que toi qui m’aies plu. Comprends-tu cela? Moi non. Et qu’en penses-tu: crois-tu que cela aurait marché entre nous si nous avions eu plus de temps ensemble? Ma tête répond que non, mon coeur dit que oui. Tu sens les choses de la même façon, non? Je le sais. »
» Quand le vent souffle dans les arbres, j’entends ta voix qui me chuchote de belles choses et quand le rhinocéros baille dans le fleuve Sénégal, je vois les coins de ta bouche, toujours gentiment plissés vers le haut même quand tu ne veux pas sourire; le ciel a le bleu de tes yeux et l’herbe sèche la blondeur de tes cheveux – mais voilà que je deviens lyrique.
L’amour, quelle prétention, quand même, non? Surtout quand il dure depuis un quart de siècle. J’aimerais tant savoir ce que c’est. Un dysfonctionnement hormonal à des fins de reproduction, comme l’affirment les biologistes ? Un réconfort pour les jeunes filles qui ne peuvent pas épouser leur papa ? Un but dans l’existence pour lesquelles incroyants ? Tout cela à la fois, peut-être. C’est aussi bien davantage, je le sais. «
merci Flo. très beaux extraits que tu as choisis.
Je le rajoute à ma liste de livres à lire.
Le sujet me plaît et ta chronique m’a convaincue d’aller l’acheter.
Merci Cathy.
Oh super Laurence. Je pense que tu ne vas pas le regretter! Je me rejouis de lire ce que tu en auras pensé 😉