Juhel, Fabienne «La verticale de la Lune» (2005)

Juhel, Fabienne «La verticale de la Lune» (2005)

Auteur : Née à Saint-Brieuc, Fabienne Juhel est professeur de lettres dans les Côtes-d’Armor. Son premier roman, La Verticale de la lune, a été publié en 2005 par Zulma, les suivants au Rouergue, dans « la brune » : Les bois dormants (2007), À l’Angle du Renard (2009) pour lequel elle a obtenu le Prix Ouest France / Étonnants Voyageurs, Les Hommes Sirènes (2011), Les Oubliés de la Lande (2012) Julius aux alouettes (2014), La Chaise numéro 14 (2015) et La femme murée (2018).

Zulma 2005 /Actes Sud –  20.08.2014 – 145 pages

Résumé : Fabienne Juhel met en scène une étrange fillette, mythomane et cruelle, reine d’une vaste propriété bretonne, dont le monde imaginaire est soudain perturbé par l’arrivée de “L’Indien”, engagé pour s’occuper du parc. Un étonnant jeu de miroirs porté par un personnage inventif et audacieux.

Dans une maison bretonne, entourée d’un immense parc boisé, habitent trois femmes. La narratrice est une enfant rêveuse et menteuse que sa mère abandonne souvent à Teresa, la bonne mexicaine. L’enfant compte pour amis la poupée Nadine qu’elle aime surtout martyriser, Teresa dont elle apprécie les rondeurs et la cuisine gourmande et puis les arbres, auxquels elle est liée presque charnellement. Parmi ces arbres, il y a le grand hêtre, son arbre à rêves, son confident.
Elle dont l’esprit fourmille de fables et qui comprend peu à peu qu’elle est une enfant du mensonge, à qui on cache un secret, a noué avec la nature qui l’environne un lien vrai, sincère. Aussi, quand un bûcheron est engagé pour nettoyer le parc, c’est tout son royaume qui est menacé. Comme elle, il connaît les arbres, mais il les tue. Incapable de rester inerte face au massacre de ses compagnons, gardienne jalouse de son petit temple de femmes, elle va faire de celui qu’elle surnomme « l’Indien » l’ennemi à abattre.
Est-elle une sorcière toute-puissante ou une enfant fantasque et innocente, jouet de ses propres illusions ? Porté par la voix inquiétante et cruelle d’un personnage aussi inventif qu’audacieux, le premier roman de Fabienne Juhel aborde le passage à l’âge adulte dans ce qu’il a de plus troublant.

Mon avis :

C’est l’histoire d’une petite fille seule, qui se sent abandonnée par Marie, qui n’a de mère que le qualificatif et en aucun cas le comportement. Pour Marie, la vie se résume à ses amours féminines et elle est entièrement focalisée sur son amante du moment, Florence.

Dans ce livre, les personnages sont principalement féminins. Le personnage principal est une petite fille d’un caractère assez sauvage, qui passe sa vie avec la domestique mexicaine et avec sa forêt. Autres protagonistes, la mère et son amante. Le seul personnage masculin vivant est l’Indien ; elle le ressent comment une agression, un danger pour ses amis arbres avec qui elle vit et communie, mais petit à petit le sentiment va évoluer : l’Indien communie aussi avec les arbres, il a de l’amour pour eux, il les aime, leur fait de la place pour qu’ils puissent vivre et rayonner.  La petite fille est peut-être seule, mais je l’ai ressentie comme méchante, et manipulatrice, ayant envie de faire du mal autour d’elle. Les autres personnages masculins sont absents physiquement du récit, souvent parce qu’ils sont morts.

Les symboles sont très nombreux dans ce livre :  j’ai beaucoup aimé l’explication des objets qui sont contenus dans les attrape-rêves. L’Indien réorganise la forêt, éliminant les arbres malades, élaguant les autres pour permettre à la lumière de passer. Beaucoup aimé ce court roman, qui commence par le meurtre symbolique de la relation mère-fille, le meurtre de la poupée. C’est aussi un roman initiatique… la transmission passant des arbres via l’Indien vers la fillette, à ce que j’ai compris…  D’ailleurs je serais ravie d’avoir un autre avis sur ce livre…

Extraits :

J’aime à penser que je suis née un jour de tempête, comme Chateaubriand, et que, comme lui, je vais traîner une existence mélancolique et secrète.

Les fenêtres de la maison étaient calmes sous leurs paupières de verre.

J’ai fait l’amour à tout ce que la Terre porte d’arbres.

Je ne raconte mes rêves à personne. Sauf aux arbres. Une petite blessure à fleur d’écorce. Les mots se déversent entre mes lèvres et coulent dans la bouche de l’arbre.

Il ne faut rien demander. C’est facile. Il ne faut rien montrer non plus de notre demande intérieure. Ça c’est plus dur. Il faut être patient comme un chat, discret comme lui, proche et lointain à la fois.

La nuit s’ancrait dans la campagne, paquebot monstrueux où clignotaient les yeux des maisons entre les branches des arbres.

Au début, j’ai essayé de ne penser à rien. J’ai fermé les yeux, mais les images étaient bien plus fortes que la volonté de m’accrocher au néant.

J’ai baissé la tête et me suis recroquevillée en souhaitant très fort devenir une huître pour lui offrir ma carapace vieille de toutes les sédimentations haineuses que j’aurais fomentées, couche après couche, à l’encontre de mes ennemis.

Elle n’a pas quitté la chambre sans avoir débordé mon lit, tiré les rideaux. Le soleil a pénétré comme un invité sûr d’être bien reçu.

si on met sous son oreiller un livre ouvert à la page correspondant au moment, ou à l’événement dans l’histoire, que l’on préfère, on se trouve projeté dans le décor avec ses personnages favoris.

les arbres morts attendent l’hiver pour passer inaperçus.

Et puis la gomme, l’image d’une renaissance toujours possible. L’image d’une mémoire qui oubliait, et le crayon, l’image d’une mémoire qui inventait, qui s’inventait.

Nous étions comme deux crayons balisant dans la nuit un territoire encore à investir.

Je ne voulais pas de sa tendresse au rabais. C’était trop facile : ses caresses, elle devait me les offrir comme des fruits mûrs, quand j’aurais soif, que je serais affamée, mendiante, à l’agonie.

Elle avait le regard fixe de quelqu’un qui s’est arrêté sur le trottoir brutalement, ou sur les marches d’un escalier après avoir refermé la porte de son appartement, et qui ne sait plus qui elle est, où elle va et à quoi cela sert. Elle habitait ses vieilles mémoires.

Des albums photo que j’avais exhumés de la bibliothèque du salon m’avaient emmenée dans leur voyage sépia.

J’avais compris qu’il fallait entretenir la forêt si on voulait voir de nouveaux arbres croître, les jeunes semis encore grêles étirer leur tête vers la lumière, qu’il fallait dégager les chablis, éclaircir la futaie et opérer sur les arbres malades avant qu’ils ne contaminent les autres.

4 Replies to “Juhel, Fabienne «La verticale de la Lune» (2005)”

  1. J’en ai lu que 30 % et cela est bien assez pour moi. Rien ne me plaît dans le bouquin. Dès le départ, l’auteure nous dit que la petite fille a jeté Nadine dans le puits, on comprend quelques pages plus loin que c’est de la poupée qu’il s’agit. Je pressens la manipulation de l’auteure qui veut susciter notre curiosité dès le départ pour mieux nous happer et pour moi, c’est tout le contraire qui se produit, elle me lâche, elle me perd entre réalité et imagination, on se sent trimballer, presque manipuler et d’une façon malsaine avec une petite fille qui semble cruelle (avec le chat, avec sa poupée ) pour laquelle l’auteure nous raconte ses élans sexuelles envers les arbres. Ces quelques éléments me rebutent définitivement, je n’ai pas l’envie ni la curiosité d’aller plus loin.

  2. Merci d’avoir pris le temps.. je suis ressortie de ce livre avec une drôle d’impression, même si je l’ai bien aimé… et je suis contente de voir que je ne suis pas la seule à avoir ressenti un malaise même si je suis moins tranchée que toi.

  3. C’est exactement ça : ressentir un malaise, c’est le mot parfait.
    N’était-ce pas sa première volonté de vouloir créer ce malaise ?!? Et dans quel but ? Toi qui l’as lu jusqu’au bout, ce malaise sert-il le livre ?

    1. Je ne trouve pas qu’il serve le livre… Non… Je suis toujours aussi empêtrée dans un drôle de sentiment. La petite déverse sa haine sur la poupée qui est une personne pour elle; elle manipule l’amante. Mis à part l’indien qui la guide, tout est glauque …

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