Faye, Gaël «Petit pays» (2016)
Auteur : Franco-rwandais, Gaël Faye est auteur compositeur interprète de rap. Aussi influencé par les littératures créoles que par la culture hip hop, il sort un album en 2010 avec le groupe Milk Coffee & Sugar (révélation Printemps de Bourges). En 2013 paraît son premier album solo, Pili Pili sur un Croissant au Beurre. Enregistré entre Bujumbura et Paris, il se nourrit d’influences musicales plurielles : du rap teinté de soul et de jazz, du semba, de la rumba congolaise, du sébène.
Petit pays est son premier roman.
Grasset – 24.08.2016 – 224 pages / Livre de poche – 23.08.2017 – 218 pages
En musique : https://www.youtube.com/watch?v=XTF2pwr8lYk
Résumé : En 1992, Gabriel, dix ans, vit au Burundi avec son père français, entrepreneur, sa mère rwandaise et sa petite soeur, Ana, dans un confortable quartier d’expatriés. Gabriel passe le plus clair de son temps avec ses copains, une joyeuse bande occupée à faire les quatre cents coups. Un quotidien paisible, une enfance douce qui vont se disloquer en même temps que ce « petit pays » d’Afrique brutalement malmené par l’Histoire.
Gabriel voit avec inquiétude ses parents se séparer, puis la guerre civile se profiler, suivie du drame rwandais. Le quartier est bouleversé. Par vagues successives, la violence l’envahit, l’imprègne, et tout bascule. Gabriel se croyait un enfant, il va se découvrir métis, Tutsi, Français… « J’ai écrit ce roman pour faire surgir un monde oublié, pour dire nos instants joyeux, discrets comme des filles de bonnes familles : le parfum de citronnelle dans les rues, les promenades le soir le long des bougainvilliers, les siestes l’après-midi derrière les moustiquaires trouées, les conversations futiles, assis sur un casier de bières, les termites les jours d’orages…
J’ai écrit ce roman pour crier à l’univers que nous avons existé, avec nos vies simples, notre train-train, notre ennui, que nous avions des bonheurs qui ne cherchaient qu’à le rester avant d’être expédiés aux quatre coins du monde et de devenir une bande d’exilés, de réfugiés, d’immigrés, de migrants. » Avec un rare sens du romanesque, Gaël Faye évoque les tourments et les interrogations d’un enfant pris dans une Histoire qui le fait grandir plus vite que prévu.
Nourri d’un drame que l’auteur connaît bien, un premier roman d’une ampleur exceptionnelle, parcouru d’ombres et de lumière, de tragique et d’humour, de personnages qui, tous à leur manière, tentent désespérément de survivre à la tragédie.
Prix Goncourt des Lyceens / Prix du Roman Fnac / Prix du Premier Roman
Mon avis : Le petit pays, c’est le Burundi, tout à côté du Rwanda, un pays lointain qui a vu naître l’auteur qui n’est pas très connu. Un paradis de l’enfance qui disparait au fils des pages… la famille se sépare, la guerre, le génocide … Ce livre parle du génocide mais parle surtout d’un monde qui n’est plus, un pays où l’on vivait heureux avant ce drame. C’est un livre sur la solitude, la perte de repères, sur l’exil aussi. C’est aussi le roman d’un métis dans un pays déchiré. Il est français sur passeport mais également Ruandais dans sa chair. Peut-t-on retrouver l’innocence perdue ? les cicatrices peuvent-elles s’estomper ? Gabriel peut il continuer à aller de l’avant ou est-il toujours tiré en arrière vers son pays ? Comment vivre avec l’exil en soi ? Comment changer de peau, et ne pas se laisser envahir par sa vie d’avant. Les livres vont aider le petit à s’échapper de ce monde qui s’assombrit, à se tourner vers le monde imaginaire. Les livres ont soigné sa solitude, entre ses 11 ans et ses 13 ans. Et les livres permettent de vivre, de s’évader, de se raccrocher à l’espoir, de ne pas sombrer, d’avancer. Et à la fin du roman, le narrateur se rend compte que le pays est toujours là mais pas son enfance… C’est un livre sur la naïveté, l’enfance, l’innocence car le monde des adultes va mettre un terme à son enfance, à sa liberté, à sa joie …
Mais pourquoi je n’avais pas encore lu ce petit bijou de sensibilité ?
Extraits :
Pendant la projection de Cyrano de Bergerac, on a même entendu un élève dire : « Regardez, c’est un Tutsi, avec son nez. »
Je n’habite plus nulle part. Habiter signifie se fondre charnellement dans la topographie d’un lieu, l’anfractuosité de l’environnement.
Ma peau caramel est souvent sommée de montrer patte blanche en déclinant son pedigree. « Je suis un être humain. » Ma réponse les agace.
Ils n’avaient pas partagé leurs rêves, simplement leurs illusions. Un rêve, ils en avaient eu un chacun, à soi, égoïste, et ils n’étaient pas prêts à combler les attentes de l’autre.
Le bonheur, ça t’évite de réfléchir.
Justice populaire, c’est le nom que l’on donne au lynchage, ça a l’avantage de sonner civilisé.
– Tu crois en Dieu ?
– Quoi ?
– Tu crois en Dieu ?
– Non, je suis communiste. Je crois au peuple.
Armand avait deux personnalités. Celle à la maison et celle dans la rue. Un côté pile, un côté face.
Peur parce que je ne voulais pas mettre de pagaille dans mon ordre des choses. Peur parce qu’il s’agissait de la guerre et que, dans mon esprit, ça ne pouvait être que du malheur et de la tristesse.
L’obscurité nous plongeait dans des ténèbres d’où seule la parole émergeait, ici ou là, au hasard, et s’éteignait aussitôt comme une étoile filante. Entre chaque intervention, les pauses duraient des éternités. Et puis une nouvelle voix surgissait du néant, affleurait et repartait s’éteindre dans un fondu au silence.
Ne remuons pas le passé, l’avenir est une marche en avant. À mort l’ethnisme, le tribalisme, le régionalisme, les antagonismes !
– Et l’alcoolisme !
L’Afrique a la forme d’un revolver. Rien à faire contre cette évidence. Tirons-nous. Dessus ou ailleurs, mais tirons-nous !
À ces heures pâles de la nuit, les hommes disparaissent, il ne reste que le pays, qui se parle à lui-même.
je profitais de cette minute avant la pluie, de ce moment de bonheur suspendu où la musique accouplait nos cœurs, comblait le vide entre nous, célébrait l’existence, l’instant, l’éternité de mes onze ans,[…]
Nous étions tristes d’être privés de ces choses dont nous nous étions passés jusque-là. Et ce sentiment nous changeait de l’intérieur. Nous détestions en silence ceux qui les possédaient.
On vivait sur l’axe du grand rift, à l’endroit même où l’Afrique se fracture.
Les hommes de cette région étaient pareils à cette terre. Sous le calme apparent, derrière la façade des sourires et des grands discours d’optimisme, des forces souterraines, obscures, travaillaient en continu, fomentant des projets de violences et de destruction qui revenaient par périodes successives comme des vents mauvais
La colère me disait de braver ma peur pour qu’elle arrête de grandir. Cette peur qui me faisait renoncer à trop de choses.
Ce camp, tel un prénom qu’on attribue à un enfant, on naissait avec, et il nous poursuivait à jamais. Hutu ou tutsi. C’était soit l’un soit l’autre. Pile ou face.
La guerre, sans qu’on lui demande, se charge toujours de nous trouver un ennemi. Moi qui souhaitais rester neutre, je n’ai pas pu. J’étais né avec cette histoire. Elle coulait en moi. Je lui appartenais.
La souffrance est un joker dans le jeu de la discussion, elle couche tous les autres arguments sur son passage. En un sens, elle est injuste.
– Un livre peut nous changer ?
– Bien sûr, un livre peut te changer ! Et même changer ta vie. Comme un coup de foudre. Et on ne peut pas savoir quand la rencontre aura lieu. Il faut se méfier des livres, ce sont des génies endormis.
Grâce à mes lectures, j’avais aboli les limites de l’impasse, je respirais à nouveau, le monde s’étendait plus loin, au-delà des clôtures qui nous recroquevillaient sur nous-mêmes et sur nos peurs.
On vivait dans cette atmosphère étrange, ni paix ni guerre. Les valeurs auxquelles nous étions habitués n’avaient plus cours. L’insécurité était devenue une sensation aussi banale que la faim, la soif ou la chaleur. La fureur et le sang côtoyaient nos gestes quotidiens.
Le génocide est une marée noire, ceux qui ne s’y sont pas noyés sont mazoutés à vie.
Je ne voulais pas savoir. Je ne voulais rien entendre. Je voulais me lover dans un trou de souris, me réfugier dans une tanière, me protéger du monde au bout de mon impasse, me perdre parmi les beaux souvenirs, habiter de doux romans, vivre au fond des livres.
Je tangue entre deux rives, mon âme a cette maladie-là. Des milliers de kilomètres me séparent de ma vie d’autrefois. Ce n’est pas la distance terrestre qui rend le voyage long, mais le temps qui s’est écoulé.
(livre choisi pour le « challenge j’ai lu 2018 » ) : Un livre comportant une allitération dans le titre
One Reply to “Faye, Gaël «Petit pays» (2016)”
J’ai eu un gros coup de cœur pour ce roman qui raconte l’enfance d’un enfant dans un petit pays, le Burundi, que les haines ethniques vont faire voler en éclat.
Toutes les critiques étant élogieuses, je ne vois pas ce que je pourrais y ajouter si ce n’est qu’il faut absolument lire «Petit Pays», premier roman d’un auteur à suivre.