Vallejo, François «Hôtel Waldheim» (RL2018)
Auteur : Passionné par Claudel, puis par Louis-Ferdinand Céline, François Vallejo fait des études de lettres. Il devient professeur de lettres classiques au Havre et se met à la fin des années 1990 à écrire des romans.
En 2001, Madame Angeloso fait partie de la seconde sélection du prix Goncourt et est également retenu pour les prix Femina et Renaudot. En 2006, est publié Ouest, son sixième roman. Unanimement salué par la critique, il est sélectionné dans la liste finale du prix Goncourt et pour le prix Renaudot. Il sera lauréat du prix Jean-Giono et du prix du Livre Inter.
Editions Viviane Hamy – 30.08.2018 – 304 pages ( En lice pour le Prix Goncourt 2018)
Résumé : À l’entendre, j’étais très fort, à seize ans, pour tout effacer, et ça continue. Pourtant, à force de déblatérer sans réfléchir, j’ai commencé à lui prouver et à me prouver que je me suis fourré dans de drôles de situations. Si quelqu’un m’avait dit hier : tu t’es comporté comme le pire voyeur, pour surprendre un couple dans son lit, je ne l’aurais pas cru. C’est revenu tout seul, devant cette fille dans son fauteuil. Je sentais son souffle sur ma peau, incroyable ce qu’elle m’insuffle. Presque malgré moi, j’ai reconstitué la scène oubliée. Et d’autres. Elle va finir par me convaincre que je lui cache quelque chose. Que je me cache quelque chose ? Comme l’impression de rencontrer un inconnu qui s’appellerait Jeff Valdera. Et dans le genre inconnu, elle se pose là aussi, avec ses questions insistantes…
Lors de ses séjours avec sa tante à Davos, à l’hôtel Waldheim, l’adolescent Jeff Valdera n’aurait-il été qu’un pion sur un échiquier où s’affrontaient l’Est et l’Ouest au temps de la guerre froide ?
Inventer sa mémoire ou inventer sa vie ? C’est la question à laquelle tente de répondre François Vallejo avec Hôtel Waldheim, son roman le plus intime. Mais n’est-ce pas cette même quête qui traverse son œuvre depuis vingt ans, que ce soit dans Madame Angeloso (prix France Télévisions), Ouest (prix du Livre Inter) ou encore Un dangereux plaisir ?
Mon avis : J’ai entendu une interview de l’auteur et cela m’a donnée envie de lire le livre. Un livre qui se déroule partiellement en Suisse, qui est ancré dans la réalité historique, sur fond de Stasi et d’intellectuels de l’ex-RDA, de réseaux de passeurs. C’est un livre sur l’espionnage, sur une période qui se situe avant la chute du Mur de Berlin. On y découvrira un réseau de fuite spécialement conçu pour des intellectuels – des historiens – qui implique entre autres personnes un Directeur d’Hôtel , un cirque ambulant ( fondé sur un réseau qui a véritablement existé à Zurich), un historien, un chirurgien…
Le jeune narrateur reçoit des cartes postales représentant un lieu, un hôtel où il a passé ses vacances quand il avait 16 ans. Mais qui peut bien vouloir faire ressurgir cette période de sa vie ?et pourquoi? En plus les cartes ne sont pas signées… Il va se retrouver rapidement face à la personne qui lui a envoyé ces clichés du passé : une jeune suisse-allemande, caricature de la brave « suisse-toto », blonde, grande, massive, brusque, limite bulldozer… qui est le parfait opposé du petit français hautain et arrogant qu’il était lors de son adolescence (a-t-il beaucoup changé ???). La jeune femme est à la recherche de son père, de son passé et toutes les méthodes sont bonnes pour arriver à ses fins. Sa vie semble s’être arrêtée dans les années 70, date de la disparition du père. Elle y est tellement ancrée qu’elle travaille dans une galerie d’art qui présente les peintres de l’époque…
Elle surgit dans la vie de Jeff ( le narrateur) et va l’obliger à se replonger dans son passé, à se remémorer des choses qu’il avait totalement oubliées ; elle va aussi le forcer à se remettre en question, le confronter à une réalité qui et loin d’avoir été la sienne. Elle va aussi l’amener à se demander si lui qui se croyait si intelligent et irrésistible ne s’est pas fait manipuler par les adultes qui gravitaient autour de lui. Il va se faire happer par des personnes qui sont loin d’être ce qu’elles semblent être. Ces personnes jouent à des jeux qui privilégient l’encerclement et qui amènent petit à petit leur victime là où elles veulent l’amener ; les jeux d’échecs et de go. Il va se faire manipuler comme un petit jeune prétentieux qu’il est, dans un monde d’adultes dans lequel il ne fait pas le poids.
C’est non seulement un récit sur la manipulation mais aussi un livre sur la mémoire : la chasse aux souvenirs, les souvenirs qui remontent mais ne semblent pas coller à la réalité que les autres nous présentent. Comme quand deux personnes vous racontent leurs vacances et que vous avez l’impressions qu’elles n’ont pas vécu la même chose, pas été au même endroit… Qu’est-ce qui est vrai et qu’est-ce qui est inventé, détourné, enjolivé, truqué ? On finit par se poser plein de question sur soi-même ; et le narrateur va finir par se demander qui il est (était) vraiment et quel était son rôle dans toute cette histoire. D’ailleurs a-t-il joué un rôle ? Lui a-t-on fait jouer un rôle ? A-t-il influencé les événements ? Consciemment ? inconsciemment ? et lui qui est-il au final ? un gentil ou un méchant ? La petit histoire se mèle à la Grande Histoire
Les souvenirs de jeunesse… les trains dans lesquels on se levait pour que les sièges se transforment en couchettes pour s’étendre la nuit…, les jeunes écoutaient Patti Smith, la viande des Grisons. L’évocation d’un monde décalé qui fait partie du passé : des personnes avec de gros moyens qui vont passer plusieurs mois dans des hôtels de luxe, des habitués qui se retrouvent chaque année, le charme désuet de ces habitudes que j’associais aussi aux anglais qui allaient passer des mois en Egypte… Ce qui m’a amusé c’est que l’auteur écrit en français et nous parle de la ville de Chur (Coire en français) J’ai aussi beaucoup apprécié l’importance de la littérature dans le déroulement de l’affaire… Comment Thomas Mann et sa montagne magique ont pu être le petit caillou qui fait dérailler tout l’engrenage…
Le livre est toujours en lice pour le Goncourt et je lui souhaite une belle réussite.
Extraits :
Un étranger, oui, pas seulement au sens d’une personne que je connais mal ou pas du tout, plutôt quelqu’un de nationalité étrangère, maîtrisant mal le français écrit, confondant un nom et un verbe, rappel, rappelle, ne manquant pas, pourtant, d’une pratique relativement spontanée de l’oral, comme le révèlent le « ça » du début de la phrase et le « queqchose » relâché et presque phonétique de la fin.
je m’aperçois que la sollicitation de mes souvenirs ne me conduit qu’à des détails particulièrement insignifiants.
J’étais plongé dans une enclave temporelle désuète, la Belle Époque transportée et préservée à l’extrémité orientale de la Confédération helvétique.
Alors la puissance d’un lieu, drôle de chose, oui. Hôtel Waldheim, le nom signifiait, comme Herr Meili me l’avait expliqué la première année, « Maison de la forêt » et ce n’était pas qu’une métaphore hôtelière. De la maison, l’hôtel tenait son humanité protectrice et son caractère familial, son image de monde propre, bien tenu, tout ce que je détestais.
Il se trouve en villégiature à Davos et il n’a pas lu La Montagne magique de Thomas Mann ?
elle ne descendait plus guère au salon ou au restaurant, parce qu’elle n’y rencontrait que des ânes, des aliborons, comme elle disait, satisfaite de vérifier que je connaissais le mot et la fable de La Fontaine où il figurait.
Sortir du temps présent et entrer dans un espace clos comme l’hôtel Waldheim, grâce à des originaux comme Frau Finkel et Herr Meili, je suis arrivé à me convaincre que ce n’était pas donné à tout le monde, en tout cas pas à mes petits camarades restés bêtement sur les plages françaises
les signes de reconnaissance, quand deux inconnus se cherchent, ne sont pas nécessaires. Chacun est pour l’autre celui qui le guette, cela suffit à le rendre repérable. Ce léger écart des corps, ce mouvement balayant de la tête, c’est toi, c’est moi, avançons-nous l’un vers l’autre, légèrement en biais, pour sauver la face, en cas de méprise. Ce contournement mutuel constitue la preuve ultime, je m’immobilise.
Vous dites faire le prétentieux adolescent, alors, mais faire le prétentieux, c’est toujours le vrai, plus vieux.
la montagne ne met pas en concurrence ceux qui tentent de la gravir. Il ne s’agit pas d’arriver le premier au sommet et de laisser les autres le plus loin derrière soi, c’est même tout le contraire.
Ce n’est pas parce que je me sens déstabilisé que je dois m’en sortir par de petites saloperies.
Vous ne vous rendez pas compte que tout ce que vous me faites ressortir depuis quelques minutes, je l’ignorais complètement ou je ne savais pas que je le savais. Vous n’imaginez pas les efforts que vous me demandez.
Dangereux de se laisser aller au piège de la curiosité. Autant que de la stratégie de l’évitement, j’ai le goût de l’inconnu.
Elle ne savait plus, ou pas encore, ce qu’elle attendait, le retour d’un éblouissement, sûrement. Du moins elle savait qu’elle attendait.
Ça ne dort pas toujours, les archives, celles de la Stasi ont connu du mouvement.
Aujourd’hui on est entré dans le cycle de l’islamisme radical, on en est obsédé parce que c’est la phase initiale, l’équivalent des années cinquante pour la guerre froide. On en a encore pour trente ans, on y fera moins attention, à la fin, ce sera toujours là, mais l’intensité baissera.
Un mot ancien, le spleen, daté, mais encore usuel, me semble-t-il, à la fin des années 1970.
La vérité factuelle vaut moins que l’analogie romanesque.
une femme à l’aise dans son monde social et corsetée dans un temps immobile que je serais le seul à pouvoir remettre en mouvement.
Si on n’est pas gourmand à quatre-vingt-cinq ans, ça ne vaut pas la peine de durer. Et si on ne l’est pas à seize ans, on ne le sera jamais, ça ne vaut pas la peine de commencer.
Ce n’est pas rien de ne plus maîtriser qui on est, au moins qui on a été, ce qu’on a fait ou pas fait, ce que d’autres ont fait de soi. Nous avons vécu la même histoire et une autre, comment est-ce possible ? Ou alors c’est toute notre vie qui est comme ça, on se goure jour après jour sur ce qu’on croit vivre, la plupart du temps sans s’en apercevoir. Quelquefois, ça bascule, comme aujourd’hui.
Les wagons-couchettes, c’est aussi démodé que les cartes postales.
Nous avons raison, le malheur pour nous, entre nous, c’est l’ignorance, mais il se demande s’il n’y a pas pire encore que l’ignorance. La connaissance peut-être ?
Livres cultes : Trois raisons de (re)lire “La Montagne magique” de Thomas Mann :