Sereny, Gitta «Une si jolie petite fille» – (2016)
Auteur : Gitta Sereny (Vienne, 1921-Cambridge, 2012), journaliste et écrivain, a collaboré, entre autres, au Times, au Sunday Times, au New York Times, à la New York Review of Books et au Zeit. Le philosophe George Steiner écrivait d’elle : « C’est, sans conteste, la plus brillante de nos journalistes d’investigation. » Elle est l’auteur de deux classiques de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale, Au fond des ténèbres. Un bourreau parle : Franz Stangl, commandant de Treblinka (Denoël, 1975), et Albert Speer. Son combat avec la vérité (Le Seuil, 1997).
Points – 07/01/2016 – 497 pages Géraldine Barbe (Traducteur)
Une si jolie petite fille » – Les crimes de Mary Bell (2016)
Résumé : En 1968 à Newcastle, deux petits garçons de 3 et 4 ans sont retrouvés sans vie, étranglés. La ville est sous le choc. Rapidement, les soupçons se tournent vers Mary Bell, une fillette de 11 ans, turbulente et particulièrement intelligente. Comment une enfant a-t-elle pu se laisser aller à cette folie meurtrière ? Perçue comme l’incarnation du mal absolu, Mary Bell est condamnée à la prison à perpétuité.
Devenue adulte, elle se prête à une série d’entretiens durant lesquels elle se livre et s’interroge. Est-il possible d’expliquer de tels gestes ? Comment affronter sa propre monstruosité ? La rédemption est-elle possible ?
Mon avis : Attention ! il ne s’agit pas d’un polar mais d’une enquête menée par une journaliste, un document donc et non de la fiction. Un document sur le milieu carcéral pour la jeunesse britannique dans la deuxième moitié du XXème siècle.
Le livre nous fait partager les souvenirs et la vie de Mary, une petite de 11 ans qui a tué deux petits enfants. Une fillette qui ne réalise pas que quand on tue, quand on meurt, c’est pour toujours. Qui a inventé une jumelle qui fait une partie des choses à sa place. Et qui de part son attitude bravache va se mettre tout le monde à dos. Un monde ou on considère les enfants non pas comme des enfants mais comme des mini-adultes et une justice qui ne fait pas de différence entre un esprit d’enfant et de grand. Une mère qui lui a fait vivre l’enfer en cachette depuis sa naissance et qui va continuer ensuite jusqu’à sa mort ; une mère qui était malheureuse non pour sa fille mais pour elle-même, une mère qui a toujours rendu la fillette responsable de tous ses maux.
Le parcours carcéral d’une fillette, puis d’une adolescente, enfin d’une jeune femme entre 11 et 23 ans. Transférée d’un lieu à un autre : Red Bank, Styal, Moor Court (un manoir du XVIIème siècle), Risley la Macabre, retour à Styal, Askham Grange. On vivra ses amitiés, ses expériences, ses frustrations, ses espoirs et ses angoisses. Intelligente, elle ira même jusqu’à suivre des cours à l’Université du West Yorshire, mais abandonnera en cours de route car elle apprendra que du fait de son passé, elle n’aura pas de débouchés professionnels. Au final deux êtres cohabitent en Mary : la mère qu’elle va devenir et la fille/femme qui a dû survivre en environnement difficile.
Elle y prendra des drogues, mais principalement des drogues « légales », médicales mais à long terme, on finit par devenir addict aussi… Son pire ennemi : sa mère et par ricochet la presse que cette dernière à toujours pris soin d’alimenter pour se remplir le portemonnaie. La presse qui la poursuivra même quand elle sera sortie, qui la retrouvera malgré son changement d’identité.
Au final plusieurs coupables : la fillette, sa mère, son environnement mais aussi la société, la fa4on dont est rendue la justice, les institutions qui brisent plus qu’elles ne soignent. Bien sûr il y a des personnes qui font tout pour essayer de faire évoluer le système, qui se décarcassent pour sortir les jeunes du marasme, mais le système les broie de la même manière que ceux qu’ils tentent d’aider.
Mais espérons que les choses ont un peu évolué depuis la fin des années 60… Les droits des enfants semblent mieux reconnus et la psychologie semble comprendre que les enfants ne comprennent pas les choses comme s’ils étaient adultes..
Un document sur le milieu carcéral pour la jeunesse britannique dans la deuxième moitié du XXème siècle.
Extraits :
J’ai souvent été tentée de voir cet être humain comme si elle n’était pas une seule, mais deux personnes : l’enfant et l’adulte. Or, bien sûr, ce n’est pas le cas. Elle est une, comme nous tous, du moment où nous venons à la vie jusqu’au moment où nous la quittons.
Les habitants parlent « geordie », un dialecte régional totalement incompréhensible pour les étrangers. Home (maison) devient par exemple hyem ; my wife (ma femme) se transforme en wor lass (drôlesse) ; pretty (joli) se dit canny, mot qui peut également signifier many (beaucoup).
C’est une chose que je devais remarquer au fil des mois : pendant nos discussions, sa voix et son vocabulaire devenaient enfantins chaque fois qu’elle évoquait son enfance, dont elle parlait quelquefois avec volubilité, comme font les enfants à l’imaginaire développé, souvent avec intelligence, de temps en temps avec humour, mais surtout avec désespoir.
N’ayant en réalité pas eu d’enfance, elle parlait, je crois, comme l’aurait fait l’enfant qu’elle n’avait jamais été, qui existait malgré tout en elle, ou en tout cas avait besoin d’exister.
Des enfants qui, avant ce qu’on pourrait appeler leur “explosion” dans ces actes de violence, portaient un poids inconnu ou ignoré par tous les adultes responsables. »
Ne pas entendre leurs appels au secours, comme on l’a fait dans le cas de Mary, aboutit nécessairement à des conséquences tragiques.
En 1968, les enfants perturbés n’étaient pas encore un sujet à la mode. On préférait ignorer le mal, de crainte d’être contaminé.
— En y repensant, est-ce que vous diriez que vous étiez une enfant rebelle ?
— J’étais du genre “t’es pas cap” », répondit-elle.
Tel que notre système fonctionne, ce n’est pas l’affaire de la police de chercher à comprendre pourquoi les crimes sont commis. Mais comme ce cas l’a montré, lorsque les assassins sont des enfants, il semble que ce ne soit l’affaire de personne. »
Mary, incapable de faire le lien entre son besoin compulsif « d’agir contre » et la conséquence de ses actes, ne pouvait tout simplement pas admettre que chaque action a un résultat ; il lui faudrait des années pour parvenir à le comprendre.
Tuer n’est pas si grave. On finit tous par mourir de toute façon.
Je n’ai même pas envie d’aller me promener. Si je marche, je pense. Tout ce que je veux c’est dormir. Alors finalement, c’est ce que je fais, je dors.
le système pénitentiaire, en tant que tel, n’est pas fait pour s’intéresser aux individus.
ils veulent que les prisonniers restent en bonne santé, mais ils ont aussi besoin de garder le contrôle sur eux. En fin de compte, donner des pilules devient autre chose qu’une simple question d’ordre médical.
notre mémoire est imparfaite et que, mélangée à nos souhaits, nos rêves et notre imagination, elle peut parfois être trompeuse.
En prison, le onzième commandement est : “Tu ne te feras pas choper.” Désormais, c’est à ça que je voulais me conformer. »
La vie tout entière de Mary prouve le besoin criant de thérapie chez ces enfants, oui, mais plus encore le besoin de sentir qu’il y a une volonté de croire en eux, la volonté de croire…
Le langage affecte le comportement davantage que l’inverse. Je le vois chez les gens qui ont maintenant l’âge que j’avais alors, dans les films, dans la rue. Ils ne parlent pas selon la façon dont ils agissent, ils agissent comme ils parlent.
Être envoyé dans une prison ouverte c’est comme être envoyé en prison quand on est libre, parce que, voyez-vous, vous êtes encore plus en prison lorsque c’est ouvert.
Les moments qui précèdent la remise en liberté des condamnés à perpétuité font l’objet d’un soin particulier. Pendant les neuf derniers mois environ, qu’ils passent dans une prison ouverte, ils commencent à travailler à l’extérieur.
Même si, au cours de ces onze années, je n’avais apparemment rien appris de concret, de vraiment utile pour le reste de ma vie, une chose au moins était sûre : personne ne pourrait plus m’embêter, je ne me laisserais plus faire.
Le transfert de la prison proprement dite aux annexes qu’on appelle les auberges dépend du comportement des prisonniers et des places disponibles.
Une fille qui a été détenue depuis ses 11 ans, ils la lâchent dans un monde d’étrangers, pas de formation, pas d’éducation, avec juste l’aumône pour survivre ? Elle a raison, ce n’est pas étonnant que tant de personnes récidivent.
Image : Scotswood Road ( Elswick, Newcastle)