Oster, Christian «Le cœur du problème» (2015)
Auteur : Christian Oster est né en 1949. Outre de nombreux livres destinés aux enfants (l’Ecole des loisirs), il a publié une vingtaine de romans. Prix Médicis 1999 pour Mon grand appartement, adapté au cinéma par Claude Berri, il est l’auteur de 14 livres aux éditions de Minuit, dont Loin d’Odile (1998), Une femme de ménage (2001), Trois hommes seuls (2008), Dans la cathédrale (2010). Aux Éditions de l’Olivier, ont paru En ville (Prix Landerneau 2013), Le Cœur du problème (2015) et La Vie automatique (2017). Dans Massif central (2018) , on retrouve le « surprenant dosage de suspense et d’hilarité » qui lui est propre.
Editions de l’Olivier – RL2015 – 192 pages / Points – 15.9.2016 – 192 pages
Résumé : En rentrant chez lui, Simon découvre un homme mort au milieu du salon. Diane, sa femme, qui, selon toute vraisemblance, a poussé l’homme par-dessus la balustrade, lui annonce qu’elle s’en va.
Elle ne donnera plus de nouvelles. Simon, resté seul avec le corps, va devoir prendre les décisions qui s’imposent. C’est lors de sa visite à la gendarmerie que Simon rencontre Henri, un gendarme à la retraite amateur de tennis. Une relation amicale se noue. Mais Simon est sur la réserve ; chaque mot, chaque geste risque d’être sévèrement interprété. S’engage alors entre les deux hommes une surprenante partie d’échecs.
Mon avis : Un bel exemple de littérature blanche avec problématique policière. Tout part d’un cadavre mais on se fiche un peu (beaucoup) de savoir pourquoi ce cadavre est tombé dans le salon… Meurtre ? Accident ? là n’est pas le problème. Un type a passé par-dessus la balustrade et se retrouve mort dans le salon. Pas cool. On en fait quoi ? C’est une situation dramatique certes mais cela a tout du théâtre de boulevard par moments… Le mari, la femme, l’amant… pas dans le placard mais dans le salon… Et le vrai problème est le débarrassage du cadavre… Sauf qu’en plus de la situation et de l’humour qui perle dans le récit, il y a aussi la disparition de la femme et de l’amant…
Une écriture très descriptive, très factuelle qui donne l’impression qu’il y a toujours une distance entre le protagoniste et ce qui se passe.
On pourrait dire qu’il y a 4 personnages principaux et des secondaires. Dans les 4 principaux il y a deux présents (Simon et Henri) et deux pour ainsi dire absents (Diane et le cadavre) … Les autres personnes qu’il côtoie sont plus présentés comme des ennuis, des gêneurs, des obstacles, des dangers potentiels. (même son ami Paul). La relation entre Simon et le personnage d’Henri, gendarme à la retraite est très ambiguë ; elle est a double-sens, toujours sur la corde raide. à la fois il y a une amitié naissante et une menace. La discussion lors de la partie de tennis est un chef d’œuvre de double-sens. Que veut Het henry en fin de compte ? Est-ce une menace ?
Pendant tout le récit on est dans la tête de Simon et on se demande avec lui ce qu’on va faire… Au cœur de son itinéraire : les déplacements (de lui, du cadavre, de ses sentiments) … Mais chose étrange, si on suit sa démarche intellectuelle, qu’on voit ce qu’il fait et ce qu’il dit, on n’entre pas dans sa démarche psychologique et le pourquoi de ses agissements est très peu – voire pas – abordé.
Bien aimé ce petit roman très particulier.
Extraits :
J’ai regardé alors autour de moi, en pure perte, puisqu’il n’y avait rien autour de moi qui ressemblât à une idée.
Regarde-moi, ai-je dit. Il existe une façon de regarder sans voir, et c’est ce dont elle s’est contentée.
Et la sensation de m’être trompé, ou de l’avoir été, venait poser sur toutes les scènes, sur toutes les images que je convoquais, une sorte de vernis qui les glaçait, avec de surcroît la conscience d’une phénoménale absurdité et, malheureusement, d’une tout aussi phénoménale banalité.
Je sais ce qu’il va me dire, ai-je pensé, et je n’ai pas envie d’entendre ça. Et donc je ne l’appelle pas.
A partir de ce moment, j’ai eu peur de poser le regard où que ce soit ailleurs dans la pièce, j’ai eu peur de ne plus pouvoir rien faire les yeux ouverts, de sorte que je les ai fermés.
Je l’occupais mal, mon temps. Je m’efforçais surtout de le retenir. Je lisais, sans doute. J’étais passionné, comme on dit.
Nous prenions donc à l’occasion, le dimanche, la liberté de regarder filer la journée sans nous soucier de la remplir. Ce matin-là, je me suis senti bénéficiaire de cette même liberté, et j’ai décidé d’en faire usage. J’ai commencé par ne pas réfléchir. Encore une fois, j’avais vraiment beaucoup donné de moi-même la veille, et il m’a semblé que je méritais, au moins autant qu’un autre, de m’octroyer ce genre de pause. C’est en tout cas ce que je me suis dit. Mais c’était déjà beaucoup d’être parvenu à me le dire. On a compris que ça n’a pas duré. J’ai eu quand même cinq grandes minutes de répit. Ensuite, ma volonté de ne pas réfléchir s’est muée en la décision de n’en prendre aucune. Ça, ça a marché.
Mes pas m’ont évidemment conduit vers le salon, puisque chez nous on ne décide pas d’y aller, on y passe.
Le mort était partout. Il s’était à tout le moins dédoublé. Son absence produisait le contraire d’un effacement.
Je n’aurais pas cru ça de moi, cette aigreur. Or l’aigreur, je l’ai noté également, n’est pas de l’amour.
D’abord en lutte contre le manque, je me sentais maintenant aux prises avec le vide. Le passé me désertait, le présent n’avait pas de sens. Quant à la suite, le moins que je puisse dire est que je ne formais pas de projets.
l’absurdité d’être encore là à attendre alors que derrière soi, dans le passé immédiat, rien ne fait écho.
Comme il était tôt encore, j’ai lu. Histoire, toujours. Je me suis aperçu que ça faisait un moment, déjà, que j’avais commencé à cohabiter avec les morts. Enorme différence, bien sûr. Ceux-là ne pesaient pas, c’était au contraire de leur vie qu’il s’agissait.
Je n’en pouvais plus d’être chez moi. On est beaucoup chez soi de toute façon à la campagne. Et j’en avais assez d’être à la campagne. […] Je suis sorti mais, quand on sort de chez soi à la campagne, on est toujours à la campagne. En ville aussi, bien sûr, on reste en ville. Ce que je cherche plutôt à dire, c’est qu’à la campagne les différences se voient moins. Ou que peut-être, d’une centaine de mètres à l’autre, les choses changent moins vite. D’un kilomètre à l’autre, même. On ne peut pas se raccrocher indéfiniment aux variations de couleur. L’œil se lasse d’alterner entre jaune et vert. Et, quand une silhouette se profile au bord d’un chemin, elle est ombreuse.
Avec elle en tout cas je partagerais volontiers mes silences
j’ai senti descendre sur moi, de nouveau, quelque chose comme la vieillesse ou sa fragilité, quoique tout ça ressemblât aussi à la peur, mais ce n’était pas la peur, c’était plutôt un écroulement interne, avec une composante douce.