Shiga, Izumi «Quand le ciel pleut d’indifférence» (2019)

Shiga, Izumi «Quand le ciel pleut d’indifférence» (2019)

Auteur : SHIGA Izumi est né en 1960 à Minamisôma, une ville proche de Fukushima. Lauréat du prix Dazai Osamu avec un premier roman, il réalise des films et publie ensuite à partir de 2011 articles et romans marqués par la catastrophe de Fukushima dont « Quand le ciel pleut d’indifférence« .

Editeur : Philippe Piquier07/03/2019 – 128 pages

Résumé : Un homme parcourt les rues désertes et les jardins vides d’une petite ville proche de Fukushima, les poches remplies de nourriture pour les chats et les chiens livrés à eux-mêmes. Ce promeneur solitaire est revenu dans son pays natal pour prendre soin de sa mère, à la recherche de souvenirs éparpillés autour d’un amour d’enfance. Pour lui, la catastrophe a déjà eu lieu, il y a trente ans. Au coeur du roman surgit l’image magnifique d’un paon dont la beauté recèle un effroi mystérieux car il est associé à un drame dont l’homme porte la responsabilité — un secret de famille bouleversant.
Le moment est venu pour lui de cesser de fuir pour tenter de réparer le passé et se réconcilier avec soi-même.

Mon avis : Si j’ai eu envie de lire ce livre, c’est que j’ai été attirée par le titre et par la couverture :  je n’ai pas regretté la lecture de ce petit roman.
Le roman d’une solitude…  Deux semaines après la catastrophe de Fukushima, dans une ville désertée, un homme va pénétrer dans la maison d’une de ses amies d’enfance, disparue il y a 30 ans. Et les souvenirs vont remonter… A l’époque, il y avait une fillette dont il était amoureux et dans une volière, un paon magnifique. Maintenant, il n’y a plus personne mis à part un chien abandonné et affamé. Cet homme est resté pour prendre soin de sa mère qui vit ses derniers jours et qui n’aurait pas survécu à un déplacement. Il va rencontrer une dame qui s’occupe des chats abandonnés et nouer une relation amicale avec elle.
Son histoire est liée à celle du paon : le paon, c’est comme le nucléaire… c’est le roi des oiseaux, la beauté et la perfection pour laquelle on donnerait tout : on le poursuit avec avidité, on a peur de le laisser s’échapper et on en meurt. Il en va de même pour le nucléaire qui est l’avenir et qui finit par tuer…  Une belle histoire humaine que nous conte Izumi Shiga, tout en finesse et en douceur. Un voyage en arrière qui lui permettra de comprendre son passé, qui lui permettra aussi de faire la paix avec sa mère morte en apprenant qui elle était vraiment et ce qu’elle ressentait au plus profond d’elle- même. Une fois encore l’écriture japonaise charme par sa délicatesse ; et une fois de plus j’en ai appris sur les traditions des pays : au Japon, il est de tradition de poser un petit triangle de tissu blanc sur le front du défunt pour le purifier avant le grand voyage et de lui confier une pièce de monnaie pour payer le passeur qui lui fera traverser la rivière de l’au-delà au septième jour après sa mort.

Extraits :

THREE MILE ISLAND, TCHERNOBYL, FUKUSHIMA. Ou bien encore HIROSHIMA, NAGASAKI, FUKUSHIMA. Le monde entier a été bouleversé, comme si des trous s’étaient ouverts dans la terre.

J’ai secoué la terre qui me collait aux mains. Sans pouvoir m’empêcher de penser que ça n’éliminerait pas les substances radioactives.

Au moment où le soleil s’est couché, la ville s’est retrouvée nettoyée de ses habitants, comme si on avait balayé les rues. L’obscurité l’a enveloppée, tout était noir. Il m’a semblé que ma vie était finie.

le souffle de la vie est toujours là, même s’il est aussi ténu et fragile que la flamme d’une bougie que vient effleurer le vent.

Avec l’explosion de la centrale nucléaire, la colère a envahi tout le monde, sous prétexte que la vie avait été chamboulée. La colère naît de l’inquiétude. C’est pour ne pas se laisser étouffer par l’angoisse qu’on cède la place à l’indignation.

Ça ne suffit pas de s’indigner contre l’énergie nucléaire, si on considère que la société que les hommes ont créée pour les hommes est également la cause de la souffrance des animaux, il me semble que chaque individu doit porter la responsabilité de cette faute.

En Inde, tu sais, c’est un oiseau divin, parce qu’il mange les cobras et les scorpions. Mon grand-père l’a adopté en tant que divinité protectrice de la clinique. Il paraît que les paons sont des oiseaux qui empêchent le mal parce qu’ils absorbent le venin. Sûrement, la beauté des paons provient de la substance même du venin qu’ils avalent !

Sur le moment, on ne se rend jamais compte qu’on vient de franchir une étape majeure de son existence, la prise de conscience vient toujours plus tard.

Vous n’avez pas l’impression qu’une maison inhabitée, même s’il n’y a plus personne dedans, c’est comme une boîte où on peut laisser enfermés ses souvenirs ?

Chaque endroit me rappelait des souvenirs. Chaque chose me rappelait des gens. La mémoire n’était pas dans ma tête, elle était au bord de la route, elle était au détour d’une rue. Les souvenirs affluaient à ma mémoire. De même qu’on se souvient d’une ville, de même la ville se souvient de nous. Je pense que je fais partie de la ville, tout comme la ville est une partie de moi-même.

On prône les progrès de la technique, et on a beau en connaître les dangers, on continue, sous prétexte de développer l’économie ou je ne sais quoi, on multiplie les risques, tant et si bien qu’à force tout finit par exploser.

Si on veut sauver la vie sous toutes ses formes, c’est parce qu’on croit à l’avenir, non ? Par ailleurs, si on ne croyait pas à l’avenir, prier pour les morts n’aurait aucun sens ! »

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