Orange, Tommy « Ici n’est plus ici » (RL2019)

Orange, Tommy « Ici n’est plus ici » (RL2019)

Auteur : Né en 1982, Tommy Orange a grandi à Oakland, en Californie, mais ses racines sont en Oklahoma. Il appartient à la tribu des Cheyennes du Sud (D’origine cheyenne et arapaho) , de mère blanche et père natif.  Diplômé de l’Institute of American Indian Arts, où il a eu comme professeurs Sherman Alexie et Joseph Boyden, il a fait sensation sur la scène littéraire américaine avec ce premier roman.

Albin Michel – 21.08.2019 – 352 pages – Stéphane Roques (Traducteur)

Résumé : A Oakland, dans la baie de San Francisco, les Indiens ne vivent pas sur une réserve mais dans un univers façonné par la rue et par la pauvreté, où chacun porte les traces d’une histoire douloureuse. Pourtant, tous les membres de cette communauté disparate tiennent à célébrer la beauté d’une culture que l’Amérique a bien failli engloutir. A l’occasion d’un grand pow-wow, douze personnages, hommes et femmes, jeunes et moins jeunes, vont voir leurs destins se lier.
Ensemble, ils vont faire l’expérience de la violence et de la destruction, comme leurs ancêtres tant de fois avant eux. Débordant de rage et de poésie, ce premier roman, en cours de traduction dans plus d’une vingtaine de langues, impose une nouvelle voix saisissante, véritable révélation littéraire aux Etats-Unis. Macadam Indian a été consacré « Meilleur roman de l’année » par l’ensemble de la presse américaine.
Finaliste du prix Pulitzer et du National Book Award, il a reçu plusieurs récompenses prestigieuses dont le PEN/Hemingway Award.

Mon avis : J’ai énormément aimé ce premier roman, que j’ai davantage ressenti comme un document que comme un roman choral bien que les vies de plusieurs personnes se croisent et se répondent, formant une histoire jusqu’à la toute fin du livre, au moment où tous les éléments des chapitres précédents se rejoignent et toutes les pièces du puzzle s’emboitent. Et c’est à ce moment-là que pour moi les témoignages et les histoires personnelles sont devenues Roman.

Le fil orange du récit : peut-être le Pow-Wow, qui fédère les indiens, les fait bouger, les motive, touche à leurs traditions et leurs racines.

Comme la plupart de ses personnages l’auteur est un « indien urbain », né et élevé à Oakland (Californie). Dans le livre, on fait la connaissance d’une douzaine de personnages, des Indiens des villes, des danseurs de Pow-wow, des personnes qui virent alcooliques, de jeunes types qui ont des armes qu’ils ont imprimé en 3D, des jeunes qui recherchent leurs racines, tant au niveau historique que familial… Des personnages qui se racontent, qui disent comment ils sont arrivés à Oakland et ce dont ils se souviennent de leur passé, et comment ils vivent leur présent, et qui plus important que tout « transmettent leurs histoires ». Dans le livre, il parle de la réalité représentée par les Indiens urbains et ne nous ressert pas les commentaires moulte fois rabâchés sur la vie des indiens parqués dans des réserves. Des personnages qui se cherchent, qui ne sont pas considérés comme des Américains à part entière, qui tentent de vivre dans la vie moderne et de rester attachés à leur passé, à leurs racines.

J’ai été interessée, émue, bouleversée, horrifiée aussi. Un livre important, qui parle de la place sociale de toute une partie de la population américaine, un livre sur la quête d’identité, culturelle et humaine, sur l’intégration, sur le multiculturalisme. Une livre que je recommande vivement à ceux(celles) qui aiment l’Amérique.

Extraits :

On nous traitait d’Indiens des rues. On nous traitait de réfugiés urbanisés, superficiels, inauthentiques, acculturés, on nous traitait de pommes. Une pomme est rouge à l’extérieur et blanche à l’intérieur. Mais nous sommes le résultat de ce qu’ont fait nos ancêtres. De leur survie.

Un Indien urbain appartient à la ville, et la ville appartient à la terre. Tout ici se forme en lien avec toutes les autres choses – vivantes ou non – issues de la terre.

Ce qui compte, c’est pourquoi on en veut, de l’argent, comment on l’obtient, et ce qu’on en fait après. L’argent, ça n’a jamais rien fait à personne. Les gens, si.

Ça fait longtemps que je bois. Ça aide. Y a des gens qui prennent des médocs pour aller mieux. Les médocs aussi, ça finit par tuer. Y a des médicaments qui sont un vrai poison.

Mais pour les Autochtones de ce pays, partout aux Amériques, se sont développés sur une terre ancestrale enfouie le verre, le béton, le fer et l’acier, une mémoire ensevelie et irrécupérable. Il n’y a pas de là, là : ici n’est plus ici.

 Roosevelt a dit : “Je n’irais pas jusqu’à penser qu’un bon Indien est un Indien mort, mais je le crois de neuf Indiens sur dix, et je ne suis guère porté à me pencher de trop près sur le cas du dixième.”

L’ennui avec la croyance, c’est qu’il faut croire que la croyance suffira, il faut croire en sa croyance.

c’était un « Indien-Américain », cette étrange expression fourre-tout et politiquement correcte que l’on n’entend que dans la bouche des Blancs qui ne connaissent pas de véritable Autochtone.

Être bipolaire, c’est comme avoir une dent contre les dents d’une tronçonneuse dont on a besoin pour couper le bois et se réchauffer au milieu d’une forêt sombre et froide d’où on finit par comprendre qu’on ne ressortira jamais.

Ma mémoire était un putain de toboggan sur lequel tout ce qui m’arrivait glissait pour ne jamais remonter.

Écoute, mon petit, je suis heureuse que tu veuilles savoir, mais apprendre des choses sur ses origines, c’est un privilège. Un privilège que nous n’avons pas. Et de toute façon, tout ce que je pourrais te dire sur tes origines ne te rendra ni plus ni moins indien que tu n’es déjà. Ça ne fera pas de toi un Indien plus ou moins authentique. Ne permets jamais à personne de t’expliquer ce que signifie être indien.

Quand on entend des témoignages de gens comme soi, on se sent moins seul. Et quand on se sent moins seul, qu’on a une communauté derrière nous, à nos côtés, je crois qu’on peut mener une vie meilleure.

Nous continuons à faire des pow-wows parce qu’il n’y a pas tant de lieux que cela où nous puissions nous rassembler, nous voir et nous écouter.

Les filaments emmêlés et pendants de nos vies forment une tresse – attachée derrière tout ce que nous avons fait depuis le début pour nous retrouver là.

La plaie ouverte par les Blancs quand ils sont arrivés et ont pris ce qu’ils ont pris ne s’est jamais refermée. Une plaie non soignée s’infecte. Devient une plaie d’un type nouveau, de même que l’histoire de ce qui s’est réellement passé est devenue une histoire d’un nouveau type. Toutes ces histoires que nous n’avons pas racontées pendant si longtemps, que nous n’avons pas écoutées, font simplement partie de ce qu’il faut soigner. Non que nous soyons brisés. Et ne faites pas l’erreur de nous trouver résistants. Ne pas avoir été détruits, ne pas avoir abandonné, avoir survécu, n’a rien d’un titre honorifique. Diriez-vous de la victime d’une tentative de meurtre qu’elle est résistante ?

Voilà ce qui lui plaît avec la Motown, l’art de trimballer sa tristesse et son chagrin sans jamais cesser de danser.

Sa mère disait que les araignées portent en elles des kilomètres de toile, des kilomètres d’histoires, des kilomètres de maisons et de pièges potentiels. Elle disait que c’est de cela que nous sommes faits. De maisons et de pièges.

la vie privée, c’est bon pour les adultes. Il faut garder ses enfants à l’œil, il faut les faire marcher droit.

Les secrets font leur nid de l’omission comme la honte fait son nid du secret.

Peu importe les jurons. Leur pouvoir est limité, mais jeter un sort, c’est comme tirer une balle à distance.

Le fardeau que tu portes vient du fait que tu es né et as grandi à Oakland. Un fardeau de béton, un vrai bloc, lourd d’un seul côté, la moitié qui n’est pas blanche. Du côté de ta mère, et de ton côté blanc, il y en a à la fois trop et pas assez pour savoir quoi en faire. Tu viens d’un peuple qui a volé, encore et encore et encore. Et d’un peuple qui a été volé. Tu es les deux et aucun des deux.

Plus tard, tu te souviens de ta mère disant que se droguer revient à entrer au royaume des cieux en se glissant sous la porte.

Cette danse est votre prière. Alors ne vous précipitez pas, et ne dansez pas comme à l’entraînement. Il n’y a qu’une façon pour un Indien de s’exprimer. C’est par cette danse qui vient de loin. De très loin. On apprend cette danse pour la préserver, l’utiliser.

Pour toucher à l’émotion, pour toucher à la prière, il faut sortir du piège de la pensée. Du jeu. De tout.

Le temps semble filer, ou accélérer sans nous dès qu’on tourne la tête.

Info : voir un article dans le numéro 9 de la Revue America Mag consacrée aux « Native Americans »

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