Garrido, Antonio «Le dernier paradis» (05/2016)

Garrido, Antonio «Le dernier paradis» (05/2016)

Auteur : Il fait des études d’ingénieur industriel à l’université polytechnique de Las Palmas. Il est ensuite professeur à l’Université CEU Cardinal Herrera de Valence, puis à l’Université polytechnique de Valence. Il vit à Valence.

Il amorce sa carrière littéraire en 2008 avec le roman policier historique La Scribe (La escriba), dont l’action se déroule dans la Franconie, en l’an 799, à la veille du sacre de Charlemagne. Theresa, la fille d’un scribe byzantin, se réfugie dans l’abbaye de Fulda et devient la scribe du moine Alcuin d’York, grâce auquel elle participe à des enquêtes sur des morts suspectes. L’ouvrage devient un best-seller traduit dans une douzaine de langues. Le Lecteur de cadavres (El Lector de Cadáveres), paru en 2011, est un second roman policier historique, dont le héros, inspiré d’un personnage réel de la Chine impériale du XIIIe siècle, a le don d’expliquer les causes d’un décès grâce à un examen minutieux des corps. Le dernier paradis est son troisième roman.

Résumé : Jack, comme tant d’autres travailleurs, est une victime de la crise des années 30. Renvoyé parce qu’il est juif de l’usine Ford où il travaillait à Détroit, il retourne habiter chez son père, à New York. L’homme, vieux, colérique, sombre, à l’instar du pays, dans la dépression. Jack, sans travail, sans argent, a bien du mal à s’occuper de ce père devenu alcoolique, et à payer le loyer que le propriétaire, Kowalski, leur réclame chaque semaine de façon toujours plus insistante.

Un soir que Kowalski débarque avec deux hommes de main, un coup de feu part. Persuadé qu’il va être accusé de meurtre, Jack n’a d’autre choix que de fuir le pays. Il s’embarque alors avec son ami Andrew, un idéaliste et militant communiste de la première heure, pour l’Union soviétique car cette nation nouvelle, paradis des travailleurs, cherche des ouvriers qualifiés pour développer son industrie automobile.

Pourtant, une fois en URSS, les promesses s’évanouissent et les illusions laissent la place au désenchantement. Jack découvre un monde où tout est respect de l’ordre, répression et corruption. Devenu agent double bien malgré lui, il se laisse entraîner par les événements, mais il va bientôt devoir chercher à comprendre qui tire réellement les ficelles de son destin et choisir son camp, en politique comme en amour.

« Prix 2015 du Roman Fernando Lara  »

Note de l’auteur : Au fil du temps, cette histoire avait pris place sur l’étagère de mes souvenirs et elle était restée là, oubliée, […]

Mon avis : Troisième roman de cet auteur que je lis avec beaucoup de plaisir. Mon préféré reste toutefois le « Le lecteur de cadavres » … Cette fois ci ce roman policier historique nous parachute dans les années 1930, juste après la retentissante crise de 29, durant la crise économique majeure qui a frappé les Etats-Unis et qui précipita des millions de personnes dans la misère. Certains américains crurent que la Russie serait un nouvel eldorado qui les comblerait… Hélas… Même si les annonces publiées dans les journaux américains de l’époque promettaient monts et merveilles… la réalité était quelque peu différente…

Nous allons donc plonger avec quelques américains et quelques russes dans le Gorki des années 30… Illusions et désillusions, paillettes et pauvreté… instinct de survie et envie de faire fortune, affrontement entre foi en le communisme et envie de réussir, haines, amour et amitié, trahison et loyauté… Les conditions sont difficiles mais les êtres humains ne changent pas.. il y a ceux qui font tout pour réussir et ceux qui font tout pour aider… C’est un roman social, c’est aussi le roman des illusions perdues. Une description rigoureuse du monde du travail, des conditions de vie, du pouvoir politique, de la justice. Une analyse aussi de la place de la femme dans la société et dans le monde du travail… Mais embarquez et rendez-vous en URSS… Place à l’espérance, à la poursuite des idéaux…

Tout est là pour nous faire passer un excellent moment de lecture. Je ne peux m’empêcher de regretter de ne pas avoir eu un coup de cœur pour les personnages et d’avoir donc moins vibré que si j’avais eu de la sympathie pour eux. Je n’ai éprouvé d’attachement que pour le personnage de Natacha..

Et je ne peux m’empêcher de vous conseiller de lire la fresque d’un autre écrivain espagnol qui traite aussi de l’ URSS à cette époque, qui suinte également la peur et la haine : le somptueux livre de Víctor del Árbol «Un millón de gotas» «Toutes les vagues de l’océan»

Extraits :

Cela faisait des jours que le soleil restait caché, comme s’il avait honte d’éclairer ce tableau de tristesse et de désolation.

Partout, les cris des contremaîtres haranguant les ouvriers se mêlaient aux clameurs des surenchères de la criée aux poissons, aux sirènes des bateaux à vapeur en partance, aux criaillements aigus des mouettes aussi avides de nourriture que les chômeurs qui pullulaient dans les entrepôts en quête d’une journée de travail.

Tu devrais être prévoyant et garder avec toi les affaires qui ont le plus de valeur, à moins que tu veuilles qu’on te les vole. » Et c’est ce qu’il avait fait : il était monté sur le pont pour garder dans ses pupilles l’image de New York et la conserver en lui afin que personne, jamais, ne la lui vole.

En Union soviétique il n’y a pas de problèmes si ce n’est, de temps à autre, ceux qu’occasionnent les étrangers.

Il leva les yeux et regarda les somptueux édifices qui se dressaient devant lui ; sur leurs façades et leurs balcons fissurés se devinaient les blessures non cicatrisées que l’un de ses compagnons attribua aux outrages de la révolution et qu’il compara à une troupe de vieilles actrices à la beauté flétrie par les ans. Il tourna les yeux vers l’horizon. Tout était étrange. Pour quelqu’un habitué aux gratte-ciel arrogants et aux tumultueuses avenues de New York, Moscou était un mélange inexplicable d’antiquité et de décadence, démesuré et provincial, semblable à une immense ville médiévale dans laquelle les palaces de rêve et les églises rutilantes avaient dû se serrer pour faire de la place aux nouvelles constructions socialistes, grandiloquentes, énormes et grotesques.

D’après Lénine, à une époque, les rois, les empereurs, les tyrans, les évêques, les nobles et les dictateurs ont uni leurs forces pour accroître leurs richesses et leurs privilèges aux dépens de ceux qu’ils soumettaient, mais il affirme que ces temps-là ont pris fin avec la Révolution française. […] — C’est exact. Jusqu’alors, le peuple était prisonnier de sa propre ignorance, mais Voltaire, Diderot et D’Alembert ont rédigé l’Encyclopédie, un abrégé du savoir qui remettait en question l’autorité politique et religieuse ; avec les traités de Descartes, elle a été le stimulant qui a réveillé un peuple exaspéré par la pauvreté et l’oppression.

— Oui, c’est ce qu’il relate. Pour la première fois, la plèbe unie renversait les esclavagistes qui l’avaient tyrannisée pour prendre en main son propre destin. Mais alors, comment se fait-il qu’après une conquête aussi importante, les tyrans dominent à nouveau le monde ?

Comme des germes, les exploiteurs ont à nouveau fait bloc et se sont développés. Ils ont manipulé et prospéré, trouvant leur parfait bouillon de culture dans la révolution industrielle. Et tels des germes, en costume de bourgeois, ils ont infecté la société en créant des fabriques, des monopoles et des banques dont le seul but consistait à s’emparer une nouvelle fois du pouvoir et de la richesse, pendant que le reste de l’humanité, pris dans ses tentacules, retournait à l’esclavage. Finalement, les États, y compris ceux qui se disaient démocratiques, sont devenus les complices idéals de cette répartition obscène du pouvoir : tout pour quelques-uns et rien pour le reste. C’est triste, n’est-ce pas ?

— Ce n’est pas triste. C’est une chanson d’amour. Peut-être mélancolique, mais pleine d’espoir.
— C’est ce que disent les paroles ?
— Il n’y a pas de paroles. L’espoir s’entend avec le cœur.

Finalement, nous avons plus de choses en commun que tu ne l’imagines. N’as-tu pas entendu parler des frères Marx ? Vous, vous avez Karl et nous, Groucho.

Image : tirée du Site de Philippe Boursin « L’automobile d’avant »

 

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