De Giovanni, Maurizio «L’hiver du commissaire Ricciardi»(2011)
Série : Commissaire Ricciardi (Naples 1931) – 1ère enquête
Résumé : En cette fin de mois de mars 1931, un vent glacial souffle sur Naples. Le théâtre royal San Carlo s’apprête à donner Cavalleria Rusticana et Paillasse avec le célèbre ténor Arnaldo Vezzi, artiste de renommée mondiale et ami du Duce. Mais le chanteur est retrouvé sans vie dans sa loge, la gorge tranchée par un fragment acéré de son miroir brisé. Chose étrange, alors que les murs sont éclaboussés de sang, le manteau et l’écharpe de l’artiste sont parfaitement propres.
L’affaire est confiée au commissaire Ricciardi, peu apprécié par ses supérieurs en raison de son caractère et de ses méthodes atypiques, mais reconnu comme un enquêteur de valeur. Ce que peu de gens savent, c’est que le commissaire est un homme tourmenté, traumatisé par la vision d’un cadavre dans l’enfance. Il est hanté par des visions dès qu’il est confronté à la mort violente ; il « voit », comme inscrit sur une pellicule, les derniers instants des êtres qui passent de vie à trépas et va jusqu’à éprouver leur souffrance…
Maurizio De Giovanni fait de Naples une peinture désenchantée dans ce roman d’atmosphère où la vie et le spectacle se mêlent dangereusement.
Mon avis : J’avais déjà craqué pour les enquêtes contemporaines du Commissaire Lojacono du même auteur (voir liste alphabétique par auteurs) . Je suis ravie de retrouver l’ambiance particulière du Naples de De Giovanni. J’ai découvert les « Quartiers espagnols », qui datent de l’époque (XVIème siècle) ou les garnisons espagnoles y étaient installées pour réprimer les révoltes. Ces quartiers mal famés sont les hauts lieux de la prostitution et de la criminalité napolitaine, bien loin de la carte postale 😉 Un commissaire solitaire et taciturne, qui pense que la faim et l’amour sont à l’origine de tous les crimes (voir portrait un peu plus détaillé dans l’article sur cette série de romans). Aidé cette fois par un prêtre amoureux d’Opéra, nous allons investir les coulisses du théâtre San Carlo et la vie des personnes qui travaillent dans ce milieu. J’aime infiniment cette empathie qui est peut-être la caractéristique principale du Commissaire. Et une fois encore ( en plus c’est l’hiver) ambiance entre noir et gris, des personnages taiseux … ou même les œuvres au programme de l’Opéra (Cavalleria rusticana – Paillasse ) sont brutales et dramatiques et non sans rapport avec l’enquête…
Extraits :
En poussant la porte, il reconnut comme chaque matin l’odeur familière de son bureau : vieux livres, journaux, un peu de poussière d’autrefois, et des souvenirs. Le cuir du vieux fauteuil, des deux chaises face au bureau, du sous-main usé, vert olive. L’encre de l’encrier en cristal encastré dans le porte-lettres.
le crime est la face obscure du sentiment : la même énergie qui meut l’humanité peut aussi la pervertir. Elle l’infecte et suppure en explosant ensuite dans la sauvagerie et dans la violence.
Il n’aimait pas les endroits bondés, cette promiscuité d’âmes, de sensations et d’émotions. Les influences réciproques qui faisaient de la foule quelque chose de totalement différent des personnes qui la composaient. Il avait l’expérience de la bête qu’une foule pouvait engendrer.
Certains uniformes, qu’on les porte ou non, cela ne fait pas de différence. Vous et moi, on a toujours l’uniforme sur le dos.
Le lendemain matin, le vent froid n’avait pas perdu de son intensité : de lourds nuages noirs caracolaient dans le ciel, laissant les rayons du soleil illuminer par intermittence des fragments de ville ; comme des projecteurs dirigés au hasard pour souligner des détails dépourvus d’importance.
tenir deux conversations simultanément, l’une avec la bouche et l’autre avec les yeux.
Il vous arrachait le cœur de la poitrine, l’emportait au ciel pour le laver aux rayons du clair de lune et à la lumière des étoiles, et vous le rendait brillant, remis à neuf. Quand il avait fini de chanter, j’étais en larmes ; et je ne m’étais pas rendu compte que j’avais pleuré.
Mais la science peut s’appuyer sur les impressions. Elle les confirme, ou les dément.
Même s’il chante cent fois la même chose, cent fois le public ira l’écouter. Et pourquoi ? Parce que, à chaque fois, le public entend quelque chose de différent. C’est à chaque fois un nouvel enchantement.
L’amour s’éteint. Les bras qui vous serraient deviennent des barrières qui vous repoussent. Le visage que vous caressiez du regard pendant son sommeil devient le signe de votre fin.
Est-ce qu’il vaut mieux être aveugle de naissance ou le devenir ? Ne pas connaître les couleurs ou se contenter de leur souvenir ?
Je crois dans les hommes et dans leurs émotions. À l’amour, à la haine. À la faim. À la souffrance par-dessus tout.
« Et alors ? Selon vous, une personne a combien de possibilités de construire un peu de bonheur ?
— Autant qu’elle veut, madame. Peut-être aucune. Mais des illusions, si. Chaque jour, à chaque instant. Mais ce ne seront que des illusions. »
Entre nous deux il y a toujours deux dialogues : l’un en paroles, l’autre en regards.
Notre métier s’étend doucement, doucement, et, comme une nappe d’eau qui inonde une cave, il finit par remplir toute la vie. C’est pas bien.
Le fait est que je suis témoin, jour après jour, de la souffrance que des humains infligent volontairement à d’autres humains. Il m’est difficile de penser à l’amour autrement que comme le principal mobile des crimes
il aurait fait un merveilleux acteur de cinéma, pas le nouveau, mais de cinéma muet : ses expressions étaient si parlantes qu’on aurait pu se passer d’intertitres, la musique aurait suffi.
les enfants, ils sont pas habitués à avoir trop d’argent. Ça devient vite mal élevé, les gosses, avec trop d’argent.
Mais je me suis accrochée à la vie : avec les ongles, avec les dents. Elle émerveillait tout le monde, cette petite araignée de fille, tellement attachée à la vie.
C’est comme ça que font les chiens errants avec qui je me suis battue dans la rue. Il était pareil. Pire qu’un chien. Les chiens, ils rient pas.
Sur le blog : article sur la série des enquêtes du Commissaire Ricciardi