Roth, Henri «Les mascarades oubliées de l’Escalade» (2019)
L’envers du décor de la fête patriotique genevoise
Auteur : Après des études en histoire, Henri Roth a été durant vingt ans journaliste avant de travailler dans la communication. Il aime se plonger dans les documents anciens afin de faire revivre des aspects méconnus de l’histoire de Genève.
Slatkine & Cie – 04.11.2019 – 184 pages
Résumé : Genève n’a pas toujours célébré l’Escalade autour d’un défilé historique. Entre les années 1860 et 1939, la fête avait avant tout la forme d’un carnaval. Alors que le canton connaissait une forte immigration et devenait majoritairement catholique, des dizaines de milliers de fêtards profitaient de l’anniversaire de la bataille de 1602 pour faire les fous lors de mascarades de rue et de bals masqués. Ils paradaient dans les Rues-Basses, s’invectivaient, badinaient, buvaient, dansaient au son de musiques diverses.
Mais une partie des Genevois ne supportaient pas ces amusements. Patriotes et protestants, ils voulaient qu’on célèbre la victoire du 12 décembre 1602 en rendant grâce à Dieu et à la patrie. Se déguiser et se masquer, selon eux, ne pouvait se faire à ce moment de l’année. Ils fondent en 1906 une Association patriotique destinée à organiser des cortèges historiques pour reconquérir la rue laissée à « la masse flottante d’émigrés », selon les mots du Journal de Genève d’alors.
Le combat a été mené par deux présidents successifs de l’Association des intérêts de Genève, Jules et Louis Roux. Ces deux frères ont déclenché une véritable guerre contre les mascarades de l’Escalade avec l’appui des milieux économiques, politiques et médiatiques. Face à des anonymes désorganisés, ils ont réussi à éliminer le carnaval pour lui substituer un cortège patriotique et des Fêtes de Genève plus propices aux affaires.
Les vainqueurs n’ont rien fait pour garder le souvenir des vaincus. Il était temps de retracer la naissance, l’importance et la mort du carnaval de l’Escalade.
Mon avis : Passionnant Un énorme merci aux Editions Slatkine pour cette lecture historique et très bien documentée!
L’Escalade … c’est ma « fête nationale » à moi ! Plus encore que le 1er août … C’est cela, être Genevoise avant d’être suisse… Pas question de ne pas fêter ! Oui mais comment fêter?
De fait cet ouvrage ne traite pas uniquement de l’Escalade proprement dite, comme ce fut le cas d’autres ouvrages (publiés entre autres par la Compagnie de 1602) mais bien de la combinaison /confusion/ amalgame entre l’Escalade patriotique et le Carnaval qui a tenté de se greffer dessus.
Le live retrace la lutte qui existe depuis des siècles entre les Patriotes et les fêtards, entre le coté commémoratif et le coté festif.
Il retrace aussi l’histoire de Genève au travers l’histoire de la Presse genevoise, qui compte jusqu’à cinq quotidiens qui s’affrontent au début du XXème siècle.
C’est la volonté de rassembler Genève autour de 4 éléments historiques : L’Escalade, la Restauration, le 1er juin et le 1er août.
C’est la volonté, dans une Genève protestante, de ne pas rendre festif un événement historique où des personnes perdirent la vie. On ne mélange pas un événement patriotique et une fête costumée ! Ce n’est pas sérieux !
Stendhal note dans ses « Mémoires d’un touriste » en parlant des genevois : « il ne sait pas jouir ; on ne lui a pas appris à vivre dans des circonstances prospères : il devient sévère et puritain; il prend de l’humeur contre tous ceux qui s’amusent. »
L’étude menée par l’auteur montre à quel point les politiques et les religieux ont toujours voulu écarter les réjouissances et amusements de la célébration de l’Escalade, pour lui donner un coté patriotique et commémoratif. Pour ce faire, ils ont tenté de déplacer les événements carnavalesques à une autre période de l’année : Mardi gras, les fêtes de Genève. Au pire ils ont toléré les bals privés et tout fait pour que la liesse populaire ne descende pas dans la rue.
Comment accepter que ce qui devait être à la base un culte commémoratif se transforme en mascarade dans la Genève guindée et protestante ?
Dans ce livre nous vivons l’histoire des mascarades, mais aussi l’histoire du fameux cortège qui naquit en 1793. Nous allons suivre les péripéties de cette manifestation qui va passer plusieurs siècles à naître et mourir, à renaître et disparaître, au gré des politiques, de l’histoire.
J’ai aimé croiser des personnages tels que Dostoïevski et sa femme, Lénine, et avoir leur avis sur la Genève de 1867… Et me souvenir que le chant des Sans-Culottes « La Carmagnole » se chante sur l’air de « Ah la belle Escalade » (à ne pas confondre avec le « « Cé què l’ainô » »
Enfin j’ai aimé la description de Genève à travers les siècles, avec les endroits dont j’ai entendu parler mais que je n’ai pas connus ou si peu (Kursaal, Skating…)
Si vous voulez en savoir davantage sur la Genève des bals masqués, sur l’opposition entre l’église et les habitants, sur la politique (Saviez-vous qu’il n’y a eu qu’un seul gouvernement de gauche à Geneve au XXème siècle qui n’a duré que 3 ans ? de fin 1933 à fin 1936 ?) je vous recommande ce livre à la fois instructif et passionnant.
Et rendez-vous pour fêter l’Escalade … avec la marmite et tout et tout…