Fergus, Jim « La Vengeance des mères» (2016)

Fergus, Jim « La Vengeance des mères» (2016)

Auteur : Jim Fergus est né à Chicago en 1950 d’une mère française et d’un père américain. Il vit dans le Colorado. Journaliste réputé, il écrit des articles sur la gastronomie, la chasse, la pêche et la nature dans les magazines Newsweek, The Paris Review, Esquire Sportmen, Outdoor Life, etc. Il est l’auteur de deux ouvrages consacrés à ses souvenirs, Espaces sauvages (2011) et Mon Amérique (2013), qui a reçu en 2013 le prix François Sommer, prix littéraire de la fondation du même nom récompensant des ouvrages portant les valeurs de l’écologie humaniste.
Son premier roman « Mille femmes blanches » (2000), salué par l’ensemble de la critique américaine et dont les droits ont été achetés par Hollywood, s’est vendu à plus de 400 000 exemplaires en France. Après La Fille sauvage (2004), Jim Fergus a publié Marie-Blanche (2011), Chrysis (2013, repris chez Pocket sous le titre Souvenir de l’amour), Mon Amérique (2013) – La Vengeance des mères (2016) et Les Amazones(2020)  ( la suite de Mille femmes blanches) .
Tous ces ouvrages ont paru au Cherche Midi éditeur et sont repris chez Pocket.

Le Cherche-Midi – 22.09.2016 – 396 pages – Pocket – 21.09.2017 – 497 pages Jean-Luc Piningre (Traducteur) –

Trilogie : Mille femmes blanches (Les carnets de May Dodd) – La Vengeance des mères (Les journaux de Margaret Kelly et de Molly McGill) – Les Amazones (Les journaux perdus de May Dodd et de Molly McGill, édités et annotés par Molly Standing Bear)

Tome 2 : La Vengeance des mères (Les journaux de Margaret Kelly et de Molly McGill)

Résumé 1875. Dans le but de favoriser l’intégration, un chef cheyenne, Little Wolf, propose au président Grant d’échanger mille chevaux contre mille femmes blanches pour les marier à ses guerriers. Grant accepte et envoie dans les contrées reculées du Nebraska les premières femmes, pour la plupart « recrutées » de force dans les pénitenciers et les asiles du pays. En dépit de tous les traités, la tribu de Little Wolf ne tarde pas à être exterminée par l’armée américaine, et quelques femmes blanches seulement échappent à ce massacre.
Parmi elles, deux sœurs, Margaret et Susan Kelly, qui, traumatisées par la perte de leurs enfants et par le comportement sanguinaire de l’armée, refusent de rejoindre la « civilisation ». Après avoir trouvé refuge dans la tribu de Sitting Bull, elles vont prendre le parti du peuple indien et se lancer, avec quelques prisonnières des Sioux, dans une lutte désespérée pour leur survie. Avec cette aventure passionnante d’un petit groupe de femmes prises au milieu des guerres indiennes, Jim Fergus nous donne enfin la suite de Mille femmes blanches.
Le miracle se produit à nouveau et cette épopée fabuleusement romanesque, véritable chant d’amour à la culture indienne et à la féminité, procure un incommensurable plaisir de lecture.

Mon avis : C’est la suite immédiate de « Mille femmes blanches ». Il faut impérativement avoir lu le premier car l’histoire fait tout le temps référence aux personnages si attachants que nous avions laissés après le massacre . Les jumelles rouquines (un des deux journaux est celui de l’une des deux sœurs, Maggie et l’autre d’une nouvelle venue, Molly) , notre vieille amie Dirty Gertie, alias Jimmy le muletier ! et bien d’autres… Certains sont morts, d’autres ont survécu, ont été ramenés à la vie (on ne sait pas trop comment mais ils sont là …) Il faut dire que les hommes et femmes medecine, les chamans, sont parfois à la limite de l’humain …
On fait connaissance avec les Lakotas, alliées des Cheyennes, et d’un nouvel « arrivages » de quelques blanches, qui devront s’accrocher si elles veulent survivre. Elles débarquent – contrairement à celles du premier roman) dans un climat de guerre. Après le massacre, les indiens qui n’ont pas rallié les réserves ont pris le large et sont déclarés comme hors-la-loi. Les blancs montent une gigantesque expédition d’extermination mais les Cheyennes et les Lakotas (et d’autres) décident de défendre leur liberté jusqu’à la mort. Tout le roman est baigné de violence, les femmes blanches rescapées du massacre ayant pour objectif de se venger et de venger ceux qui ont péri ou été traumatisés par l’attaque. Mais il y aura aussi des retrouvailles, des rencontres, l’amour des mères … et des scènes à mourir de rire comme la scène du bal des débutantes chez les sauvages.
Une fois encore les sauvages ne sont pas ceux que l’on imagine et la destruction de la nature et des pacifiques est le fait des blancs qui ne respectent rien … Un livre sur la solidarité entre femmes aussi mais je ne veux pas vous en dire davantage et je vous laisse avec nos amis/amies Cheyennes …

Vivement la suite qui vient de paraitre en 2020 (Les Amazones)

Extraits :

Je dois pour une bonne part à mon père, passionné par le sujet, le vif intérêt que j’éprouve à mon tour pour la cause des Indiens — leur passé tragique, leur présent difficile, leur avenir incertain.

C’est comme si on sentait plus rien, on est nous-mêmes à moitié mortes. Et de nous, ce qui reste, c’est nos cœurs, des cœurs de pierre maintenant. 

Notre seule instruction, à nous, c’est de savoir compter sur nous-mêmes. Tu m’as l’air dégourdie, dans ton genre.

Les femmes ont beaucoup d’influence dans la tribu… en fait, c’est elles qui tirent les ficelles, mais elles n’ont pas le droit de participer aux conseils.

Vous avez peut-être oublié ça : les Cheyennes et les Lakotas me considèrent comme un he’emnane’e — une créature mi-homme, mi-femme.  […] Ils croient que les he’emnane’e ont une très bonne médecine, que nous avons toutes les qualités, la sagesse et les pouvoirs des deux sexes… Et c’est peut-être vrai, bon sang de bonsoir ! C’est pour ça que je peux fumer le calumet et prendre la parole dans les pow-wows. On tient compte de ce que je dis puisque je parle en tant qu’homme. Évidemment, je n’ai pas tous les attributs qui feraient de moi un véritable he’emnane’e, mais ça ne me servirait à rien de les détromper, parce que c’est commode d’être traité à la fois comme un homme et comme une femme, si vous me suivez… D’un côté, ils sont obligés de me témoigner le respect qu’on doit aux squaws, de l’autre, j’ai l’autorité d’un guerrier. Bien utile, à certains moments…

les Indiens ne font pas de vraie distinction entre le monde réel et le surnaturel. Pour eux, les humains et les animaux sont capables de passer librement de l’un à l’autre… Une idée fort intéressante, n’est-ce pas ?

Mais je ne suis pas votre ennemie, ni quelqu’un de très courageux. Comme disent les jumelles, je n’ai simplement plus rien à perdre. Cela n’est pas affaire de courage. Il n’y a rien d’héroïque à vouloir se fondre dans le néant.

À cet instant, j’ai eu peur, horriblement peur, si bien que, soudain, la vie a comme repris ses droits. Dois-je y voir à nouveau quelque espoir dans l’avenir, ou bien n’est-ce qu’un instinct de survie, commun à tous les animaux ? Je ne saurais répondre à cette question.

Seano, ça veut dire le pays du bonheur, et pour y aller, les esprits doivent suivre la Voie lactée, que les sauvages appellent la route suspendue dans le ciel. Là-bas, le Peuple recommence à vivre comme ici sur terre, avec ceux qui sont partis avant. À Seano, ils chassent, ils jouent, ils dansent, ils tiennent leurs cérémonies, ils font des repas et des fêtes comme ici. Ils partent même en guerre contre leurs ennemis. Les guerriers se parent de leurs plus belles tuniques, ornées de perles, de leurs coiffures de plumes, les hommes-médecine peignent des images sur leur corps et sur leurs chevaux, qui doivent leur porter chance. La seule différence avec la guerre sur terre, parce que tout le monde là-bas est déjà mort, c’est qu’ils ne peuvent plus se tuer.

un he’emnane’e, ce qui signifie à moitié homme et à moitié femme. Nous le voyons souvent dans le village, car il serait doué de pouvoirs particuliers en matière d’intrigues galantes et l’on compte sur lui pour jouer les entremetteurs. Parfois habillé en femme, et parfois en homme, il présenterait les attributs des deux sexes, ce qui lui confère le rang d’esprit saint.

les Indiens ont leur propre hiérarchie, un ordre économique entre les membres de la tribu, et qui dépend des talents de chasseur et de guerrier du chef de famille. Un brillant chasseur sera capable de nourrir celle-ci, mais aussi de se constituer une réserve de peaux de bêtes pour confectionner les tipis, les vêtements, la literie. Elles contribuent au bien-être en général et peuvent être échangées dans les comptoirs. De son côté, le guerrier, en sus d’être un valeureux combattant, est un bon voleur de chevaux, qu’il rapporte des raids menés contre les autres tribus. Il en capture également à l’état sauvage. Plus il en possède, et plus il lui est facile de transporter les perches qui servent à monter les tipis, et plus ceux-ci seront spacieux et confortables. Inévitablement, la tribu compte des hommes moins doués, moins courageux, ou qui ont simplement moins de chance et mènent avec leur famille une existence plus modeste. C’est un modèle de société finalement pas si différent du nôtre. Il est simplement beaucoup plus primitif.

Cependant les plus riches prennent soin des moins favorisés. Ils accueillent ou soutiennent les familles des guerriers morts au combat, entretiennent les vieillards et les infirmes.

Tous les hommes des sociétés guerrières adoptent l’esprit d’un oiseau ou d’un animal pour les protéger, pour leur donner des forces et leur apporter la victoire, même pour les rendre invincibles contre les balles. Ils peignent leur animal sur leur bouclier, leur cheval ou leur corps. […]. Très souvent, ils portent aussi une amulette qui représente leur totem, une aile, une peau ou une queue d’oiseau, un os ou un morceau de fourrure, qu’ils cousent à leur tenue de guerre ou qu’ils attachent dans leurs cheveux.

Qu’engendre la violence, sinon d’autres violences… le désespoir… le chagrin ?

Elle aura beau vouloir enterrer ses souvenirs, il y en a qui vont remonter à la surface, un de ces jours, brûlants comme des geysers. 

 Les Indiens ont une formule à ce sujet : « Le monde véritable se cache derrière le nôtre », comme quoi nous ne voyons et ne comprenons que la surface des choses, alors qu’eux sont capables de voyager au-delà. Et lorsqu’on vit chez eux, les changeurs de forme, les femmes qui parlent aux ours, les hommes qui se transforment en oiseaux et qui volent dans le ciel, tout cela paraît très plausible finalement.

Vous avez vu ce qui est arrivé au Peuple depuis l’invasion des Blancs. Ils nous ont apporté le choléra dans les années 1830 et 1840, la variole dans les années 1850, et nous avons perdu plus de la moitié de notre population. À la fin des années 1870, ils avaient éliminé la plus grande partie des troupeaux de bisons, volé ce qui restait de nos terres, tué toujours plus d’Indiens et enfermé les survivants dans les réserves. Aujourd’hui, un siècle et demi plus tard, nous avons des taux sans cesse plus élevés d’alcooliques et de toxicomanes, sans parler de l’inceste, des assassinats et des violences domestiques. Le Peuple s’entretue lui-même.

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