Nohant, Gaëlle « L’ancre des rêves » (2007)

Nohant, Gaëlle « L’ancre des rêves » (2007)

Auteur : Née à Paris en 1973, Gaëlle Nohant vit aujourd’hui à Lyon. Légende d’un dormeur éveillé (prix des Libraires 2018) est son troisième roman après L’Ancre des rêves (prix Encre Marine, 2007) et La Part des flammes (prix France Bleu/Page des libraires, 2015 et prix du Livre de Poche, 2016) Elle a également publié L’Homme dérouté (nouvelles) en  2010. En 2020 elle publie « La femme révélée » et en 2023 « Le bureau de l’éclaircissement des destins »  .

Robert Laffont – 02.03.2007 – 381 pages, / Le Livre de Poche 17.08.2017 – 336 pages (Prix Encre Marine 2007)

Résumé :  » – Dis donc, gamin, on t’a pas appris qu’ c’était pas poli de zieuter comme ça ? J’aime pas les malins. Fais bien attention à toi. Les morts marchent, ce soir. Fais bien attention à toi. Un long frisson le frigorifia comme une bourrasque giflant un corps trempé. Les morts marchent, ce soir. Une comptine dont il avait perdu le souvenir lui traversa la tête.  » Faut boire à la santé des gars Qui sont coulés, au fond, en tas.  » Dans un petit village de la côte bretonne, chaque nuit, les enfants Guérindel, Benoît, Lunaire, Guinoux et le petit Samson, sont en proie à des cauchemars terrifiants qu’ils taisent à leurs parents… Enogat, leur mère, a toujours interdit à ses quatre fils d’approcher le bord de l’eau. Est-ce seulement pour les protéger des dangers de la nature ? Ou d’une autre menace qui ne dit pas son nom ? Entre conte fantastique et roman d’initiation, L’Ancre des rêves sonde le mystère des peurs d’enfant.

Mon avis : Ayant adoré les trois romans qui ont suivi, il n’était pas question de ne pas lire le premier ! Totalement différent des autres, une langue toujours aussi merveilleuse. Il ressort de cette lecture une impression de magie. Le livre est poétique, c’est un appel à l’imaginaire.
Entre l’ancre des rêves et la mer d’encre, Gaëlle Nohant nous invite à chasser les ombres… Elle nous entraîne dans le monde de l’enfance et dans les profondeurs de l’inconnu…La réalité est parfois difficile à affronter mais une fois que le sommeil prend possession de l’esprit, le monde du rêve se réveille, entre rêves et cauchemars. C’est un roman qui fait interférer le passé avec le présent, fait resurgir les liens du sang, la mémoire génétique qui lie les êtres par-delà les connaissances, fusionner les songes et les réminiscences.
La partie historique (car il y a une partie historique… c’est Gaëlle Nohant !) nous entraîne en Bretagne, puis sur les mers, en compagnie des terre-neuvas. Un univers de marins, de femmes restées à terre, de disparitions en mer, de légendes et de brumes. Un univers de superstitions, de bateaux qui portent des noms de filles, des noms de Saints… (en Grande Bretagne, les bateaux sont féminins), de bateaux qui s’évanouissent de la surface de la mer.
Le choc des images est aussi un révélateur : le révélateur d’une émotion, d’un traumatisme déclenché par un tableau… qui réveille des angoisses enfouies… le lien avec la mémoire des ancêtres.
Le roman nous fait partager la vie d’une famille avec 4 garçons : Benoît, Lunaire, Guinoux et Samson ; Je me suis particulièrement attachée à Lunaire (Saint breton) et à Guinoux (prénom celte). Les deux frères qui sont traversés en rêves et cauchemars par des bateaux et des chevaux et voient des choses que les autres ne perçoivent pas.  Lunaire va partir à la recherche du passé, de ses intuitions, aller à la rencontre de personnes qui vont l’aide à recoller les morceaux d’une histoire ancienne, de ses ancêtres. Il y a aussi d’autres personnages étranges et attachants que je vous laisse rencontrer :  je ne vais rien vous raconter car je vous laisse à l’émerveillement, au songe, à l’imaginaire, à la merci des malédictions et face aux secrets de famille.
Les descriptions sont superbes, que ce soit la mer, le ciel, les étoiles : à travers les mots, on se retrouve face à la mer, dans la tempête ou sur la grève : les couleurs sont là, allant du clair au sombre, du bleu ciel au noir nuit, elles véhiculent les émotions, la peur, la liberté, l’infini, l’immensité…Gros coup de cœur.

Extraits :

Le rêve était le commencement de tout, le néant, un cri n’atteignant qu’un vide infini renvoyé par l’écho.

Pleurer, c’est l’intérieur de soi dénudé en public, c’est exposer ses blessures, c’est plus cru et plus intime qu’un ventre ouvert.

Lui aussi avait ses fantômes, ces visages d’enfants aux yeux caves qui lui tenaient compagnie depuis de longues années. Ce n’était pas tragique, le passé s’étirait comme un ruban de machine à écrire. Certaines lettres violemment frappées s’y gravaient pour toujours.

Dans un rêve, on ne décide pas. On va. On est son propre somnambule, haut perché sur le fil tissé par l’araignée du rêve.

Les enfants réclament toujours la suite. Plus l’histoire les épouvante, plus ils veulent la suite.

Il espérait dormir d’une traite, s’endormait sans lutte, et puis l’idée venait. Une idée de rien du tout, presque gênée de son inconsistance. Elle s’installait dans le vestibule de son esprit, promettant de ne rien déranger. Il lui fallait à peine quelques minutes pour ruiner son sommeil.
Ces idées nocturnes étaient des ballerines sautillantes dont les entrechats finissaient par lui incendier le cerveau.

Les blessures et les tragédies pouvaient-elles se transmettre d’une branche à l’autre de l’arbre généalogique, à travers les rêves ?

« Ça ne sert à rien de se reprocher ce qu’on n’a pas su faire, l’amour qu’on n’a pas su donner. Nous sommes infirmes et impuissants la plupart du temps, nous aimons mal ou à contretemps, il faut l’accepter », répétait – il a des individus qui avaient perdu quelqu’un avant d’avoir pu, d’avoir dit, d’avoir fait …

La frontière périlleuse n’était pas celle du jour et de la nuit mais celle de la veille et du sommeil.

Il y a toujours quelque chose d’irréel dans la mort. Ceux qui partent nous laissent seuls, encombrés de tout ce qu’on n’a pas su leur dire.

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