De Giovanni, Maurizio «L’Enfer du commissaire Ricciardi» (2019)
Auteur : Banquier, il remporte en 2005 le prix national Tiro Rapido avec la nouvelle I vivi e i morti (Les vivants et les morts) qui servira de base au L’Hiver du commissaire Ricciardi (Il senso del dolore. L’inverno del commissario Ricciardi), publié en 2007. Depuis, auteur de plusieurs romans policiers se déroulant à Naples, il partage un temps sa vie entre ses occupations professionnelles à la banque et l’écriture. La série ayant le commissaire Ricciardi pour héros compte une dizaine de titres.
Il est également devenu commentateur des grands journaux nationaux et de productions au théâtre. Grand sportif et partisan de l’équipe de football de Naples, il publie plusieurs ouvrages sur son équipe. Il travaille maintenant pour des journaux de sa ville natale et est régulièrement invité par le réseau des sports de la Rai.
En 2012, il fait paraître La Méthode du crocodile (Il metodo del coccodrillo), lauréat du prix Scerbanenco et premier roman d’une série consacrée aux enquêtes du commissaire Lojacono. En janvier 2017, la Rai 1 diffuse I bastardi di Pizzofalcone, une mini-série en 6 épisodes réalisée par Carlo Carlei, avec Alessandro Gassmann dans le rôle du commissaire Lojacono.
Série : Commissaire Ricciardi (Naples 1931)
7ème enquête
Editions Rivage – 05.06.2019 – 475 pages / Poche – 03.06.2020 – 509 pages
L’Inferno del commissario Ricciardi (2014) – traduit par Odile Rousseau
Résumé : Au beau milieu d’une canicule estivale, alors que Naples se prépare à célébrer la Madonna del Carmine, un célèbre chirurgien est défenestré depuis son bureau. Pour le commissaire Ricciardi et le brigadier Maione, c’est le début d’une enquête qui les confrontera aux passions les plus torrides. Au fil des témoignages et des aveux, l’infidélité et l’amour se confondent au point de semer le doute dans l’âme des deux policiers, compromettant leurs propres tentatives sentimentales.
Angéliques, infernales et passionnées, les notes d’une chanson napolitaine planent sur les destins de chacun, alors que tous risquent de basculer dans l’abîme. Car la chaleur, la vraie chaleur, vient de l’enfer.
Mon avis : Eté caniculaire à Naples. Avec le Commissaire Ricciardi et le brigadier Maione parcourons les ruelles de Naples, sous un soleil de plomb et dans une chaleur suffocante. Faisons connaissance avec la «rèfola». Le Commissaire Ricciardi, c’est comme le Commissaire Soneri de Valerio Varesi, je ne sais pas ce qui m’intéresse le plus : le personnage ou ses enquêtes. Et chaque tome est meilleur que le précédent.
J’ai retrouvé avec infiniment de tendresse le Commissaire et ses doutes sentimentaux et le brigadier Maione en proie à la jalousie. Ajoutons à cela que Rosa, la gouvernante de Ricciardi est en train de vivre ses derniers instants et qu’il est totalement désespéré.
Dans ce contexte, un docteur très connu bascule par son balcon… Suicide ? meurtre ? Dans l’enfer de la canicule, l’enfer des morts et des vivants se confondent. Et derrière chaque homme, chaque femme, il y a un cœur qui palpite, qui souffre… : les amours impossibles, la crainte d’aimer, l’envie d’aimer, les obstacles à aimer … il y a le passé de chaque personnage qui remonte, que ce soit celui des enquêteurs, des morts, des suspects, des coupables…
Enrica, Livia, Modo, Bambinella, Rosa vous attendent… et ils ne sont pas les seuls… il y a aussi Sisinella, Maître Nicola Coviello, maître joailler…
Les yeux verts de Ricciardi regardent au fond des âmes… et je ne peux que vous conseiller de lire ce roman tout en vous disant que je recommande vivement de lire cette série dans l’ordre.
Extraits :
Voilà la chaleur, clament alors les ménagères en étendant gaiement leurs draps sur les cordes qui relient les balcons de deux immeubles en vis-à-vis ; elles le disent en échangeant des sourires, mais leurs voix laissent paraître une légère inquiétude. Parce qu’elles savent que la chaleur, la vraie, est une affaire sérieuse et terrible.
Le premier jour de chaleur, le soleil fait une apparition redoutée. Il entre dans le ciel comme un navire de guerre dans un port, menaçant et flamboyant.
Les églises tirent leur épingle du jeu grâce à la fraîcheur de leurs nefs. Elles sont rapidement envahies par les bigotes et tous ceux qui, à d’autres périodes de l’année, sont plus occupés à pécher qu’à se racheter.
Quand arrive la chaleur, la vraie chaleur, un voile de silence et d’inquiétude tombe sur la ville parce que tout le monde est persuadé qu’elle ne finira jamais.
La chaleur, la vraie chaleur, s’insinue à travers les pores de la peau et pénètre les recoins de l’âme où se conservent les souvenirs, et les anciens sont ceux qui en possèdent le plus. Ils se retrouvent face aux événements des étés passés, aux visages souriants et aux chansons d’amour oubliées, aux promenades le long d’une mer jadis encore plus bleue.
Par amour on se tue, par amour on est tué.
Regarde-toi, impeccable comme d’habitude. Ma parole, tu tiens du reptile, froid comme la glace. Tu ne transpires jamais. Celui qui transpire, il a du sang, par conséquent un cœur, ce qui n’est pas ton cas, toi qui me fais courir dans tous les sens à des heures impossibles.
Tu regardes devant toi, là où il y avait des jours, des nuits, des mois et des années, et tout d’un coup, plus rien. On dit que c’est comme mourir, c’est peut-être vrai. C’est quoi, la mort, si c’est pas quand on te prive d’avenir ?
Je pleurais de rage, de douleur, d’impuissance. La ville se déployait devant moi : la mer, les églises, les monuments. Je pleurais les larmes que je ne voulais pas que tu pleures.
Ils avaient découvert que le désespoir était une force immense, et que s’ils l’entretenaient, cette force, elle deviendrait détermination puis succès.
Les gens cherchent continuellement à paraître différents de ce qu’ils sont en réalité, et pour cela, ils accomplissent des gestes absurdes qui dépassent parfois l’imagination. Je n’ai pas l’intention de me cacher derrière un masque, même pour m’amuser.
La rèfola est quelque chose de magique, un souffle enchanté qui disparaît avant qu’on ait eu le temps d’identifier sa présence. Une légère conscience, peut-être l’écho d’un souvenir ou la prémonition d’un regret à venir.
Elle est un bref instant de fraîcheur. Elle soulage, parle d’endroits ventés et de sommets enneigés, d’amandiers en fleurs et d’écume sur les rochers.
Mais ce n’est qu’une illusion.
La rèfola raconte, en une seconde, toutes les histoires que nous nous raconterions tout seul si nous en avions le courage.
Elle n’a pas le temps de le faire entièrement, et elle ne le voudrait même pas. Elle suggère le début, la première note d’une chanson, l’attaque d’une symphonie connue.
Le cœur fait le reste.
Étant du genre féminin, la rèfola sait toujours ce qu’elle fait. Elle ne se laisse pas distraire du devoir qu’elle s’est fixé.
Femme, elle séduit volontairement, pas par hasard.
Et la rèfola peut apporter tout le bien et tout le mal du monde, parce qu’elle vous offre un rêve dans l’enfer de chaleur où vous êtes plongés. Un seul rêve, pas plus long qu’un soupir.
Pas la peine d’expliquer à des policiers, dont le cœur est endurci par la violence qu’ils exercent et qu’ils subissent, combien d’amour est nécessaire pour extraire de quelques grammes de métal un florilège de sentiments.
Le joaillier, cher professeur, n’est pas comme le chirurgien, bien qu’ils aient en commun l’habileté manuelle et la concentration, la gravité de l’erreur et l’évidence du résultat. Vous autres chirurgiens, professeur, vous devez apporter autant de soin à chaque partie du corps que vous êtes en train d’opérer, quel qu’en soit le propriétaire. Le joaillier, au contraire, peut se permettre d’accorder plus ou moins d’attention à son travail, si une commande lui tient plus à cœur qu’une autre. Vous êtes médecins, professeur. Nous, nous sommes artistes.
Nuit de colère et de peur.
Nuit sans lumière et sans espérance.
Nuit qui semble posséder les choses et les pensées. Nuit comme un lac qui engloutit la ville et sa multitude de mouvements. Nuit qui craint le moindre souffle, nuit sans amour.
Nuit qui change, qui ne sourit pas.
Nuit sans caresses.
Tout ce qui arrive, lui disait la tante, te laisse un cadeau : les choses belles et les vilaines choses. Et les meilleurs cadeaux te viennent des choses les plus vilaines, parce qu’ils t’apprennent comment les éviter. Les belles choses te laissent juste un souvenir agréable et elles ne te seront pas d’une grande utilité.
Si on te respecte seulement par peur, tôt ou tard, tu rencontres quelqu’un de culotté qui va te planter un couteau dans le dos. Mais si tu te fais respecter parce que tu es un homme juste, si tu aides sans rien demander en échange, alors les gens, tu les retrouves à tes côtés.
Je pense que chaque amour est différent des autres. L’amour est comme un vêtement. On le choisit sur mesure, on l’endosse, et on peut le porter longtemps. Et puis un jour, on le regarde et on se demande pourquoi on l’a choisi. Il ne vous ressemble plus. Le premier amour, celui de la jeunesse, est fait de peau et de sang. On ne le conçoit pas autrement, on est jaloux, on souffre, même. Quand on est adulte, par contre, on raisonne. Avant tout, on raisonne.
C’est le risque principal de notre métier, non ? Le préjugé. Et aussi la perte de temps qui en découle, qui te fait faire des tonnes d’erreurs parfois irréparables.
[…] le cœur est un récipient plein de liquide : les choses lourdes se déposent au fond, et ne se voient qu’une fois qu’on va les y chercher.
Ou lorsque le récipient se brise.
Page sur la série Les enquêtes du Commissaire Ricciardi : http://www.cathjack.ch/wordpress/?p=3848