Fagan, Jenni « Les buveurs de lumière» (2017)

Fagan, Jenni « Les buveurs de lumière» (2017)

Autrice : Née en Ecosse, Jenni Fagan vit à Edinbourg. Grâce à ses excellents résultats en « creative writing » à l’Université de Greenwich, elle obtient une bourse d’honneur à la Royal Holloway de Londres. Elle a remporté les prix du Dewar Arts et du Scottish Screen, entre autres pour ses écrits poétiques. Elle a publié de la poésie et gagné des prix décernés par l’Arts Council England, le Dewar Arts, et le Scottish Screen, entre autres. Elle a été nominée à deux reprises pour le Pushcart Prize. Elle puise son inspiration notamment dans sa profession, puisqu’elle travaille comme écrivain dans les hôpitaux et les prisons. En 2013 elle publie « La sauvage » ; en 2017 « Les buveurs de lumière»; en 2022 « La fille du diable »

24.08.2017 – Métailié – Bibliothèque écossaise – 304 pages – Céline Schwaller (Traducteur) – Points poche – 7.2.2019 – 360 pages (Prix meilleur roman – Points 2019)

Résumé : 2020. Le monde entre dans l’âge de glace, il neige à Jérusalem et les icebergs dérivent le long des côtes. Pour les jours sombres qui s’annoncent, il faut faire provision de lumière – neige au soleil, stalactites éclatantes, aurores boréales. Dylan, géant barbu et tatoué, débarque au beau milieu de la nuit dans la petite communauté de Clachan Fells, au nord de l’Écosse. Il a vécu toute sa vie dans un cinéma d’art et essai à Soho, il recommence tout à zéro.  Dylan n’a jamais connu pareil bonheur : le sourire étourdissant de Constance, la joie de Stella qui court parmi les enfants sur la pelouse. Les flammes bondissent et illuminent les visages des habitants de la communauté de Clachan Fells, qui festoient à la lueur du feu crépitant. Alors que l’apocalypse gronde, tous ont décidé de vivre de lumière, de gin et de se préparer, ensemble, à la fin du monde.
Dans ce petit parc de caravanes, il rencontre Constance, une bricoleuse de génie au manteau de loup dont il tombe amoureux, et sa fille Stella, ex-petit garçon, en pleine tempête hormonale, qui devient son amie. Autour d’eux gravitent quelques marginaux, un taxidermiste réac, un couple de satanistes, une star du porno. Les températures plongent, les journaux télévisés annoncent des catastrophes terribles, mais dans les caravanes au pied des montagnes, on résiste : on construit des poêles, on boit du gin artisanal, on démêle une histoire de famille, on tente de s’aimer dans une lumière de miracle.
Dans ce roman éblouissant au lyrisme radical, peuplé de personnages étranges et beaux, Jenni Fagan distille une tendresse absolue qui donne envie de hâter la fin du monde.

Mon avis : Tout comme le précédent, mais dans un contexte totalement différent, ce fut une fois encore une révélation, un éblouissement.
Le roman couvre l’hiver 2020/2021, de novembre 2020 où il fait – 6°à mars 2021, où la température atteint -70°… Cet hiver, nous allons le passer en compagnie de Dylan, un jeune géant londonien qui a grandi dans un cinéma de Soho qui appartenait à sa grand-mère et à sa mère, toutes deux récemment disparues en le laissant sans un sou ; son seul héritage : une caravane au fin fond de l’Ecosse. Il va décider de s’y rendre avec pour objectif de répandre les cendres des deux femmes dans la mer qui borde les îles Orcades. Il part avec ses bagages dans lesquels il transporte sa mère et sa grand-mère dans un tupperware et une boîte de glace « Carte d’Or ».
Il va se retrouver dans un campement au milieu des glaces, en plein bouleversement climatique, à attendre que le plus gros iceberg dérivant de tous les temps leur arrive dessus, à surveiller l’arrivée de la tempête de neige Cécilia, annoncée comme la plus effroyable depuis au moins 250 ans.
Cet hiver, il va le passer dans un endroit époustouflant et ne ressemblant à rien de ce qu’il avait pu connaitre auparavant : le camps de caravanes de Clachan Fells. Clachant Fells et ses montagnes qui ont pour nom les sept sœurs, et des paysages à couper le souffle, balayés par des vents tempétueux et glaciaux.  Et il va se retrouver au beau milieu de personnages pour le moins atypiques : la belle Constance qui fait scandale dans la communauté en ayant fréquenté simultanément deux hommes et en ne s’étant jamais mariée, sa fille Stella de douze ans – transgenre – qui jusqu’à peu était un garçon et est en train de changer de sexe, ce qui n’est pas sans poser des problèmes tant physiques que relationnels et d’autres personnages tout aussi hauts en couleur. Cinq mois exceptionnels qui vont probablement nous rapprocher de la fin du monde (ou pas) dans un pays de neige et de glace, un pays d’étoiles et de comètes, un pays à trois soleils et aurore boréale…
Du rêve, de la poésie, une dystopie sur fond de catastrophe climatique, des problèmes de société, des personnages attachants et complexes, de l’amour, des vies difficiles : une pure merveille et un énorme coup de cœur.

Extraits :

Le vent lui écorche la peau, ses doigts sont engourdis. Il devrait aller fermer la caravane de sa voisine. Simplement aller là-bas et pousser doucement la porte pour qu’elle ne gèle pas pendant ses crises de somnambulisme. C’est exactement ce qu’il s’apprête à faire quand elle ressort sur sa terrasse, un chiffon à la main – elle lève un bras pâle et se met à cirer la lune.

Il existe plein d’êtres vivants mâles et femelles à la fois : les escargots, les échinodermes ; une étoile de mer passe les trois premières années de sa vie femelle, et les trois suivantes mâle. Il y a vingt et une espèces de poissons sur le spectre : scalaire, bar de mer, snook, poisson-clown, labre – une femelle labre se transforme en mâle quand le mâle dominant meurt. Le plus joli, c’est un papillon dans lequel le côté mâle a de grosses ailes noires et le côté féminin des ailes violettes plus petites. C’est un gynandromorphe bilatéral, mâle et femelle en un.

– Vous regardez le soleil en face ? s’étonne Stella.
– Je regarde juste en dessous.
– Vous allez devenir aveugle.
– Non. J’ai appris à le faire avec les buveurs de lumière, ils viennent des îles qui se trouvent plus au nord. On peut absorber la lumière jusque dans ses chromosomes puis, au plus sombre de l’hiver, quand il n’y en a plus du tout, on se met à rayonner, rayonner, rayonner. C’est ce que j’ai fait, dit-elle.
– Vous rayonnez ?
– Comme un putain d’ange.

Dans la partie d’elle la plus secrète — un endroit où elle ira siroter du thé un jour — et pour s’y rendre elle devra traverser les parties les plus sombres d’elle-même — entre les aortes qui palpitent en charriant leur rivière de sang — jusqu’à son cœur où se trouve une petite porte minuscule s’ouvrant sur l’éternité

Stella s’abrite les yeux pour pouvoir voir les trois soleils en même temps.
C’est la chose la plus incroyable qu’elle ait vue de toute sa vie. […]
– Comment ça s’appelle, déjà ; maman ?
– Un parhélie. C’est un phénomène qui donne l’impression qu’il y a trois soleils mais ceux qui se trouvent de chaque côté sont seulement de la lumière reflétée. Ça a un rapport avec les cristaux de glace.

Quand les adultes entendent grincer une petite porte sombre dans leur coeur, ils montent le son de la télé. Ils s’enfilent un verre de vin. Ils disent au chat que c’était juste une porte qui grinçait. Le chat sait. Il saute du canapé et sort de la pièce. Quand cette petite porte sombre dans un coeur se met à faire clic-clac clic-clac clic-clac si fort et si violemment qu’on voit littéralement battre leur poitrine – eh bien là ils disent qu’ils ont du cholestérol et ils essaient d’arrêter le beurre, ils se mettent à aller marcher.

Il ne supporte pas le gris. Certaines personnes ne supportent pas le gris mais moi oui, je suis faite pour ça ; ça ne me fait pas peur mais il fait si gris ici, surtout en janvier et février, que ça vous fatigue les yeux et puis l’âme aussi, alors votre seule solution c’est de se saouler, de mourir, ou de manger du chocolat.

– Est-ce que l’alchimie est contre la religion ?
– Pas si ta religion est la sorcellerie

– Qu’est-ce que l’alchimie a créé ?
– Le whisky, entre autres choses. Un groupe d’alchimistes essayait de créer le métal le plus précieux qu’il y a sur terre de toutes les façons possibles et imaginables, par exemple à partir du plomb. Un jour, un des alchimistes a obtenu de l’or liquide – la première ébauche du whisky – et il n’a sans doute jamais fait marche arrière. Il aurait aussi bien pu créer de l’or pur.

Sa mère trouve toujours ce dont elles ont besoin comme par enchantement. La chance et la ténacité sont ses seuls employeurs.

Le soleil descend en spirale à travers la cime des arbres, révélant des sédiments de poussière argentée et ambrée. Un étang gelé. Des boucles de glace forment une fleur de givre sur une branche tombée. Chaque pétale glacé est parfaitement recourbé et transparent. L’hiver les a sculptés pendant la nuit. Les a placés là.

Parfois tu vis un instant où tout semble valoir le coup : tout le stress, la lutte, la vie, la mort, toutes les conneries qu’il y a entre les deux. Tu vois quelque chose comme ça et tout devient plus clair : ah ouais, ça te revient, c’est ça, c’est bien ça !

Elle se rappelle l’époque où on allait frapper chez quelqu’un pour demande s’il voulait sortir s’amuser et puis, quand on grandissait, c’était pour faire des conneries.

La tempête de neige Cecilia est le phénomène hivernal le plus effroyable enregistré depuis plus de deux cents ans. D’ici peu nous nous attendons à atteindre le minimum de Maunder, ce qui ne s’est pas produit à ce stade depuis trois cent soixante ans.

Alors, en fait, cet hiver est dû à la fonte des calottes glaciaires, ce qui veut dire qu’il a commencé en quelque sorte il y a quinze millions d’années ? C’est un genre de voyage temporel ! Comme si on avait remonté le temps, si on était il y a quinze millions d’années.

Par ce froid, les mots ressemblent à des cristaux ; ils restent suspendus en l’air, il les porte jusqu’aux arbres qui se dressent au sommet de la montagne, tous ces saules gelés que Dylan ne peut s’empêcher de voir en forme de C, leurs longs bras gelés.

Toutes ces années au Babylon à regarder la vie au lieu de la vivre.

Des pensées étranges s’entremêlent dans sa tête, et il se demande si ce n’est pas le début d’une nouvelle forme de folie due au confinement.

 

Info : Coatlicue (“femme serpent”) était la déesse suprême de la terre des aztèques. Elle était la mère de Huitzilopochtli (dieu de la Guerre), de Coyolxauhqui (déesse de la Lune) et de Centzonhuitznahuac et Centzonmimizcoa (les étoiles du Sud et du Nord).
Son nom signifie « Dame aux jupes de serpents ». Ses épithètes sont « Déesse-Mère de la Terre qui a donné naissance à tous les astres », « Déesse du feu et de la fertilité », « Déesse de la vie, de la mort et de la renaissance » et « Mère des étoiles du sud ».
Seule, Coatlicue a aussi donné le jour à Quetzalcóatl (serpent à plumes de quetzal) et Xólotl (le dieu du jeu de pelote et le dieu-chien compagnon du soleil dans le monde souterrain).
Coatlicue commandait la saison des pluies et était généralement associée à l’agriculture et à la nourriture. Dans un mythe, elle est la fille de Chimalman; ses autres manifestations comprennent Cihuacoatl, Teteoinnan, Toci et Tonanzin. Coatlicue était la femme du serpent des nuages Mixcoatl (dieu de la Chasse), mais elle fut mise enceinte par Huitzilopochtli par l’intermédiaire d’une balle de plumes qui descendit sur elle lorsqu’elle balayait la maison. Elle mit la balle contre son sein, mais fut incapable de la retrouver. Ainsi elle tomba enceinte sans avoir commis de péché. Toutefois, ses fils et ses filles, s’estimant déhonorés, décidèrent de la tuer. Ils auraient réussi si Huitzilopochtli n’était pas né juste à temps, armé jusqu’aux dents. Il décapita sa soeur Coyolxauhqui, par erreur, puis il tua ses autres frères et sœurs et les dispersa dans les cieux, ou ils devinrent des étoiles.  (Source : cesdieux.com)

4 Replies to “Fagan, Jenni « Les buveurs de lumière» (2017)”

  1. Bon, c’est simple, je n’ai lu que la première et dernière phrase de ton avis de lecture Cath, et c’est un aller direct sur ma liseuse.

  2. Mais Petit coup de gueule contre cette auteure Jenni Fagan. Car excusez du peu mais quand on a une plume aussi poétique pour décrire des paysages glacières de fin du monde en Écosse. Quand on crée des personnages atypiques dotés de caractères attachants, sensibles qui comblent leurs failles en s’apprivoisant les uns les autres. Quand on aborde des thèmes pas courus comme la transsexualité et qu’on les défend avec une forme de délicatesse et de force en créant le personnage de Stella. Hé ben on n’a pas le droit de se louper sur la cohérence physique des températures. Beaucoup d’invraisemblances m’ont laissé un arrière goût d’une auteure qui n’a pas pris au sérieux son propre récit et qui de fait ne respecte pas ses lecteurs. Non Madame Fagan on ne peut pas retrouver un couple de gens gelé dans le Sahara, des personnes dans un bus figés par le froid et en même temps un garçon qui se noie dans un lac parce que la glace y était trop fine. On ne survit pas à des températures de – 50 avec un petit poêle à bois fabriqué avec de vieux tuyaux. Et si la neige depuis des jours ne cesse de tomber qu’adviendrait-il de la communauté des caravanes qui ne mesurent au mieux que 3 mètres de haut et j’en passe.
    Bref c’est du talent gâché !!! Et pourtant je suis tellement en osmose avec toi Cath sur son écriture poétique qui parfois touche à l’éblouissement…

    1. ahh.. pour moi l’ambiance et les personnages sont tellement magiques que les petites invraisemblances sont passées au second plan…

  3. De magnifiques paysages écossais, des personnages tout aussi marginaux qu’attachants, un hiver glacial qui pourrait bien être le dernier, une écriture poétique, voilà un superbe roman !

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