Tuti, Ilaria « La nymphe endormie» (2019)
Tuti, Ilaria « La nymphe endormie» (2019)
Auteure : Née en 1976, Ilaria Tuti vit à Gemona del Friuli, au nord-est de l’Italie. Passionnée de photographie et de peinture, elle a étudié l’économie et a travaillé comme illustratrice.
Véritable phénomène dans son pays, « Sur le toit de l’enfer » (« Fiori sopra l’inferno ») premier volet de sa série autour de Teresa Battaglia, lui a valu d’être surnommée par la presse italienne la « Donato Carrisi au féminin ». Le tome deux « La nymphe endormie » (« Ninfa dormiente ») parait en 2018 (2019 pour la traduction française) . En 2020 parait en Italien « Fiore di roccia »
Robert Laffont – 24.10.2019 – 624 pages (Traducteur Johan Frederik Hel-Guedj)
Résumé : « Le temps cache toujours un secret. Il camoufle même les crimes. »
Derrière la beauté bouleversante de la Nymphe endormie se cache l’horreur : au lieu de peinture, l’artiste a peint le tableau avec du sang. Voilà ce qui lance le commissaire Teresa Battaglia sur la piste d’un meurtre commis soixante-dix ans plus tôt, dans les derniers jours de la Seconde Guerre…
Derrière la beauté bouleversante de la Nymphe endormie se cache l’horreur : au lieu de peinture, l’artiste a peint le tableau avec du sang. Voilà ce qui lance le commissaire Teresa Battaglia sur la piste d’un meurtre commis soixante-dix ans plus tôt, dans les derniers jours de la Seconde Guerre mondiale. Une enquête où il n’y a ni corps ni scène de crime, ni suspect ni témoin. Rien qu’une trace génétique que Teresa remonte jusqu’à une vallée isolée et mystérieuse du nord de l’Italie : le Val Resia.
Après avoir marché sur le toit de l’enfer, Teresa doit percer le secret du sommeil de la Nymphe.
Vous n’oublierez jamais Teresa Battaglia. Mais il est possible qu’elle vous oublie…
« À travers le mystère de la mort, c’est la vie qu’Ilaria Tuti raconte. » Vanity Fair, à propos de Sur le toit de l’enfer.
« Tempus valet, volat, velat.
Le temps vaut, vole, voile. »
Mon avis : Mais qui est donc cette nymphe endormie ? et quel est le secret du peintre qui l’a immortalisée en peignant avec du sang ?
J’ai retrouvé avec un plaisir infini la Commissaire Teresa Battaglia qui a toujours son épée de Damoclès au-dessus de la tête (sa maladie dont personne n’est au courant) et son second Massimo qui lui aussi tente de vivre avec son secret. Si le premier opus avait été un coup de cœur, celui-ci est encore plus Coup de cœur !
Il y a non seulement l’ambiance si particulière dans laquelle baigne le récit : entre magie et poésie . L’ode à la nature, à la vie, l’importance donnée aux racines (tant humaines que végétales), la place donnée à la magie et aux croyances, l’importance de la transmission, de la culture ancestrale, des mots.
La place de la femme, en tant que femme, sœur, amour, prêtresse, guérisseuse, chamane, origine et transmission de la vie.
Il y a aussi la place du passé, du souvenir, des liens avec des personnes lointaines ou disparues, le temps qui passe…
Le sujet de la maternité, de la paternité, de la peur de la transmission, de l’attachement viscéral avec les personnes de notre sang ou que l’amour nous a fait ressentir comme telles.
Il y a les personnages, tous plus attachants les uns que les autres, avec leurs secrets, leurs drames, leurs questionnements, leurs peurs… Des personnages qui a la fois doutent, sont forts et fragiles malgré leurs failles.
Le personnage de Teresa est un personnage de femme qui marque .Femme et mère alors qu’elle n’a pas d’enfant, authentique, femme forte qui ne veut pas se laisser abattre par l’adversité mais, une fois la porte refermée, se dévoile seule et démunie devant le futur qui la guette et le passé qui s’estompe. Et en même temps point d’ancrage et mère pour les personnes qui l’entourent et qu’elle prend sous son aile pour les délivrer de leurs peurs et les pousser à se révéler.
Enfin il y a l’intrigue et l’enquête qui est passionnante.
Il y a aussi le contexte instructif du roman : événements politiques et historiques qui se sont déroulés dans le Val Resia, les informations sur la technique de la HRD (Human Remains Detection)
Et quelle merveilleuse idée de finir sur l’« Hymne à Isis »!
Extraits :
C’étaient les particularités imprévisibles qui l’intéressaient le plus, parce qu’elle savait qu’un crime, de quelque type qu’il soit, se commet toujours d’abord dans la tête, que ce soit sur un mode conscient ou inconscient.
Certaines familles ont de grandes histoires d’amour ou d’aventures à raconter aux enfants ou aux parents qui se réunissent à l’occasion des fêtes. Il y en a tant d’autres qui n’ont qu’un passé de malheurs à distiller, comme si le chagrin était encore présent.
Elle savait que le processus mnésique n’est pas reproductif, mais reconstructif. Elle avait appris que pour se souvenir, le cerveau reconstruit ce qu’il a vécu. Et, en reconstruisant, l’esprit peut inconsciemment ajouter des béquilles, des éléments sans aucun rapport avec la vérité. Sous l’effet du stress, de la suggestion. Pour répondre à l’idée préconçue qu’une personne s’est créée d’une situation.
Tuer une femme qu’on prétend aimer.
Effacer de sa vie celle qui l’illumine, c’était une contradiction dans les termes, et pourtant cela se produisait tous les jours. On célébrait trop souvent cet amour qui se transforme en drame. C’étaient toujours les femmes qui mouraient.
Des femmes usées et abusées, esseulées, condamnées. Des femmes qui n’avaient pas su reconnaître le mal, justement parce qu’il se mouvait à leurs côtés. Quand il possède le visage de celui qui est censé t’aimer, il est difficile de le démasquer.
— Et à quoi vous raccrochez-vous, quand votre profession vous confronte au Mal ?
C’était une question délicate, à laquelle elle ne s’attendait pas.
— À la compassion, mon père.
Il pesa le sens de ses paroles, puis il opina.
— Un choix difficile, admit-il. La compassion est une vertu qui fait souffrir.
Comme une cloison dressée contre le monde, les persiennes baissées filtraient le flot de lumière cuivrée du coucher de soleil.
Je ne sais si je peux appeler cela de l’espoir, cette manière de m’agripper au temps, comme si je pouvais le ralentir. Je sais seulement que tout adieu se prépare.
Le temps cache toujours quelque chose. Un secret, un souvenir, une promesse jamais tenue, une douleur. Il s’étend sur les pensées et les sentiments, il les recouvre de sa langueur, de la brume aimable de l’oubli, tout en les dévorant sans même que leur propriétaire s’en rende compte.
Notre berceuse est aussi un chant funèbre. Parce que pour nous, la fin n’est qu’un autre commencement. Nous endormons nos morts et les berçons au moment du trépas. La mort n’est qu’un passage.
Elle sourit, et ce fut comme de voir une fleur éclore.
Tant d’obscurité était entrée en elle, mais d’une certaine manière, elle avait réussi à la transformer en feu, en une passion ardente pour la vie. L’obscurité avait envahi les replis de son âme et elle avait appris à vivre avec, en veillant à ne pas l’agiter, comme elle l’aurait fait d’un poison. Elle la laissait reposer au fond, mais elle était là, et elle la sentait se soulever de temps en temps comme une vapeur toxique.
Nous ne nous connaissons jamais vraiment nous-même, ni ceux qui sont à nos côtés. Nous pouvons nous définir de quantité de façons, mais à la fin ce sont nos choix face à un dilemme qui montrent qui nous sommes. Ou les secrets que nous dissimulons.
Le thym est une plante médicinale utilisée depuis l’Antiquité, mais c’est aussi une plante aux pouvoirs magiques. C’est ce que croyaient les anciens, en tout cas. On l’utilisait dans les bûchers sacrificiels, pour son arôme intense. Ma grand-mère disait qu’en se promenant au crépuscule au milieu des plants de thym, il était possible de voir les esprits des morts.
C’est une chose que je dois faire, avant que mon hiver n’arrive. Je sens déjà l’automne, en avance : moi aussi, comme la nature, j’ai besoin de me retirer dans l’essentiel.
Les tissus du cœur – de son cœur à elle – restaient toujours déchiquetés. Les cellules de l’âme n’avaient pas créé des ponts de filaments au-dessus du vide.
Cela lui arrivait souvent, dernièrement, de sombrer dans le sommeil et de s’agripper en même temps à la réalité. En un sens, elle était une naufragée qui restait à flot.
La figure protectrice du Tikô Wariö était de retour dans les bois de la vallée, comme dans les contes murmurés par les anciens autour du foyer. « Celui qui monte la garde » n’avait pas de visage, ni véritablement de corps. D’après la légende, le grand geôlier, le féroce gardien, se matérialisait devant quiconque l’appelait à l’aide.
Il est avéré que les prêtresses antiques de Dendérah jouaient du tambour quand les femmes enceintes entraient en travail.
L’esprit d’un enfant est comme l’argile entre les mains d’un adulte. Et cet adulte peut la modeler à son image et selon son apparence, ou sa nécessité.
La réalité lui parlait dans une langue matérielle, faite de formes et de proportions, de densités et de vides, de distances et de trames. Son haleine tiède ou fraîche écrivait des lettres sur sa peau, faites de frissons ou de gouttes de sueur. L’équilibre était une danse perpétuelle sur des déclivités improvisées et des plans inclinés. Pour les autres, une route pouvait être droite ou courbe. Pour elle, elle était mille fois diverse : oblique, ondulée, plissée si ses pas se rapprochaient trop du bord de la chaussée, molle et presque collante si l’asphalte était récent ou le soleil trop implacable.
Graines de cumin noir, deux grammes par jour. Elles réduisent le glucose à jeun et la résistance à l’insuline.
3 Replies to “Tuti, Ilaria « La nymphe endormie» (2019)”
Je te cite :
« Femme et mère alors qu’elle n’a pas d’enfant, authentique, femme forte qui ne veut pas se laisser abattre par l’adversité mais, une fois la porte refermée, se dévoile seule et démunie devant le futur qui la guette et le passé qui s’estompe. Et en même temps point d’ancrage et mère pour les personnes qui l’entourent et qu’elle prend sous son aile pour les délivrer de leurs peurs et les pousser à se révéler. »
C’est déjà dans son précédent livre ce qui m’a touchée, comment elle arrive à faire parler le groupe d’enfants, comment elle sait les prendre sans calcul, elle sait gagner leur confiance car eux ont senti immédiatement en elle la mère, celle qui intuitivement protège et non, nul besoin de l’être pour être dotée de cette qualité. Simplement humain, ça marche aussi…
Plus qu’à le lire ma grande! 😉
Bientôt 🙂 mon livre en cours est à une centaine de pages de la fin