Tuti, Ilaria «Sur le toit de l’enfer» (2017)
Auteure : Née en 1976, Ilaria Tuti vit à Gemona del Friuli, au nord-est de l’Italie. Passionnée de photographie et de peinture, elle a étudié l’économie et a travaillé comme illustratrice.
Véritable phénomène dans son pays, « Sur le toit de l’enfer » (‘Fiori sopra l’inferno’) , premier volet de sa série autour de Teresa Battaglia, lui a valu d’être surnommée par la presse italienne la « Donato Carrisi au féminin ». Le tome deux « La nymphe endormie» parait en 2019.
Résumé : Dans les montagnes sauvages du Frioul, en Italie, le commissaire Teresa Battaglia, la soixantaine, la langue acérée et le coeur tendre, est appelée sur les lieux d’un crime pour le moins singulier : un homme a été retrouvé mort, les yeux arrachés. A côté de lui, un épouvantail fabriqué avec du cuivre, de la corde, des branchages… et ses vêtements ensanglantés. Pour Teresa, spécialiste du profilage, cela ne fait aucun doute : le tueur frappera à nouveau.
Elle va devoir rassembler toute son énergie et s’en remettre à son expérience pour traquer cette bête humaine qui rôde dans les bois. Si tant est que sa mémoire ne commence pas à lui faire défaut…
Robert Laffont – 06.09.2018 – 405 pages
Mon avis : Dès le début j’ai aimé. La rencontre entre la Commissaire et l’Inspecteur qui vient d’arriver dans la région donne le ton ! La Commissaire qui est aussi profileur, est un personnage qui ne ressemble pas aux flics habituels. Elle a une profondeur, une humanité qui m’a touchée ; son cauchemar : l’âge qui pourrait bien altérer sa lucidité. Elle est atta-chiante au possible. (Par certains côtés elle me fait un peu penser à l’inspectrice Vera Stanhope crée par Ann Cleeves) Et le pauvre inspecteur Massimo Marini devra résoudre à la fois plusieurs problèmes : s’adapter à son nouvel environnement, participer à l’enquête, ne pas passer pour un imbécile.
Dès le debut du livre on est partagés entre des événements qui se sont déroulés dans le passé et l’enquête qui commence avec un meurtre à l’époque actuelle
Bienvenue au Frioul et en particulier dans les forêts frioulanes. Pas rassurant comme lieu de promenade ! Et la montagne enneigée est un personnage du roman. Des victimes, des enfants, une créature fantôme qui apparait et se volatise…
Et toujours l’identité du village isolé qui considère que tout ce qui est étranger est mauvais, qui se mure dans le silence et se retranche, refusant d’imaginer que le mal peut venir des habitants de toujours.
Les traditions ancestrales, les personnages du folklore et les légendes planent aussi et contribuent à rendre l’ambiance pesante et angoissante, avec notamment les « krampus » avec lesquels j’avais déjà fait connaissance dans le livre de Luca D’Andrea « L’essence du Mal ». D’ailleurs je pense que ceux (et celles) qui ont aimé le Luca d’Andrea aimeront celui-ci.
Pour ma part j’ai nettement préféré celui-ci car la dimension psychologique et l’attachement à l’héroïne ont été un net plus. Je me réjouis vraiment de lire la prochaine enquête de la bien nommée Teresa Battaglia.
Extraits :
Les cimes enneigées dominaient une forêt millénaire, surgissant comme des lames opaques d’un épais tapis d’arbres. Elles faisaient penser aux géants de la mythologie, elles vous obligeaient à lever la tête, avec une sensation de vertige dans l’âme.
On fuit ce qui nous effraie et nous blesse, ou ce qui nous emprisonne
ils le savaient tous les deux, comme on sait qu’une gifle est sur le point de tomber, comme on sent la fièvre monter quand on a encore le front frais.
Les yeux découvrent le monde, ils l’observent, le mesurent. Ils regardent et ils désirent : peut-être ont-ils regardé et désiré quelque chose qu’ils n’auraient pas dû ? Ils sont le miroir de l’âme, dit-on.
Tu dois repartir de zéro : c’est-à-dire de là où tu te trouves à la minute présente.
La criminologie n’est pas une science exacte, c’est vrai. Cela n’a rien de mathématique et chaque dossier est unique. C’est un art. L’art d’apprendre à examiner des réalités qu’un type comme toi n’entrevoit même pas. Mais ce n’est pas de la magie : c’est de l’interprétation. C’est de la probabilité, de la statistique. Jamais une certitude.
C’était une belle petite, peut-être un peu trop maigre, mais avec des yeux si noirs et lumineux qu’on aurait cru y voir se refléter les étoiles.
La lumière était celle d’un soleil malade : elle ne vous réchauffait pas, ne vous réconfortait pas.
Il n’était pas facile d’humaniser l’horreur, il était plus rassurant de la croire étrangère.
C’était comme si le deuil éloignait les gens au lieu de les rapprocher. Il les effrayait avec son odeur reconnaissable, comme cela arrivait au chasseur avec les animaux.
la douleur avait fini par faire partie d’elle-même, jusqu’à ne plus être hostile. C’était presque une amie, un fardeau qu’il était nécessaire de porter pour ne pas renoncer à ses souvenirs.
La lumière. Au cours de ces dernières heures, elle l’avait vue telle qu’elle était : une entité palpitante qui emplissait l’air, changeait de couleur et s’étendait aux murs et aux choses, les effleurait avant de se retirer. L’obscurité était de la lumière noire. C’était une onde de fréquence, une marée.
C’était encore la lumière qui changeait. L’obscurité s’en allait. Il lui fallait trouver la force de chasser aussi la noirceur qui était en elle, mais ce serait plus facile si elle avait eu quelqu’un à ses côtés.
le milieu environnant façonne l’esprit de ceux qui l’habitent et ces montagnes ne sont pas un lieu facile
Il n’était plus que le squelette de lui-même. Il avait tout laissé derrière lui, sa zone de confort faite d’habitudes, de maîtrise et de certitudes.
Est-il fort, le loup qui dévore sa proie, ou est-il simplement lui-même ?
Ils voient l’enfer que nous avons sous les pieds, alors que nous autres, nous ne voyons que les fleurs qui poussent sur la terre. […] Parce que je suis comme eux, je vois ce qu’il y a au-dessous des fleurs. Je vois l’enfer, murmura-t-elle.
Interroger un témoin était un art qui requérait de la maîtrise de soi, afin de ne pas suggérer d’idées qui auraient pu éloigner, et non rapprocher, de la découverte de la vérité.
Ce n’est pas facile d’échapper à la mort et de demeurer intact à l’intérieur, concéda-t-elle. Quelque chose se brise
La peur est souvent ce qui fait la différence entre vivre et mourir. Elle peut sauver des vies.
La peur naît dans la région la plus primitive de notre cerveau, celle que nous avons en commun avec les reptiles.
Tu ne dois pas la considérer comme une femme, mais comme une personne, autrement, pour elle, c’est déjà une façon de la discriminer, tu saisis ?
Ce journal ne devait pas être un Mur des Lamentations, et pourtant j’ai l’impression de devenir une vieille pleureuse, en plus d’être une emmerdeuse.
Que tout tueur en série, avant de franchir le point de non-retour, a d’abord été un être humain qui a souffert. Très souvent maltraité. Et forcément très seul.
Freud : « L’homme primitif survit en nous, de sorte que n’importe quel groupe humain peut reconstituer la horde primitive. »
C’est l’éclipse de l’esprit qui me prive de sommeil, parce que je ne suis rien d’autre que mes pensées, mes souvenirs, et les espoirs liés à mes rêves. Je ne suis rien d’autre que ces émotions et que ma dignité.
Selon la légende, la nuit de la Saint-Nicolas, les Krampus rôdent à la recherche des enfants méchants. Ils étaient les serviteurs du saint, n’obéissant qu’à lui, et à lui seul. Une manière comme une autre de ne pas s’exposer aux foudres de l’Inquisition.
Il n’y avait qu’une chose qui soit pire que donner la chasse à un assassin, et c’était donner la chasse à un ravisseur d’enfants.
Elle n’avait aucun souvenir de ces mots-là. Les lire lui faisait un effet étrange, comme s’ils appartenaient à une autre, qui vivait en elle. Cette autre avait voulu l’aider.
Unis contre le monde extérieur et aveugles, par commodité, envers leurs propres fautes.
N’étant pas assez apprivoisés pour la craindre, ils ne faisaient qu’un avec cette nature encore sauvage.
ls étaient allés de l’avant, comme les nuages passant devant le soleil, comme l’eau sur les rochers et le vent entre les brins d’herbe. Ils étaient des fleurs qui cherchaient la lumière et l’avaient enfin trouvée.
Il avait la fâcheuse habitude de lui adresser des reproches en silence, de sorte qu’elle n’avait même pas la satisfaction de pouvoir le remettre à sa place avec une plaisanterie acerbe.
Photo : « Au Japon, ils appellent cela nanten, ou bambou sacré. Ils s’en servent pour les cérémonies dans les temples bouddhistes. Chez nous, ça s’appelle de la nandine domestique. C’est une plante à feuilles persistantes qui pousse dans les jardins. »
Infos sur les Krampus : https://fr.wikipedia.org/wiki/Krampus
Infos sur René Arpad Spitz: https://fr.wikipedia.org/wiki/René_Spitz
3 Replies to “Tuti, Ilaria «Sur le toit de l’enfer» (2017)”
Je viens de le terminer et je me suis régalée. Tout m’a plu : l’intrigue, la commissaire Teresa au caractère bien trempé qui cache une personnalité complexe mais surtout sensible, derrière une façade digne de la muraille de Chine. J’ai aimé ses failles, sa façon de s’imposer dans ce milieu d’hommes où tous les jours il faut être à la hauteur. C’est un très bon thriller : le(s) crimes sont sauvages dans un environnement intrigant à souhait, les hautes montagnes du Frioul aux paysages glacés comme figés par le temps mais aussi par les traditions ancestrales que perpétuent les habitants de Travini. Serait-ce que ce village a un lourd secret à porter avec son ancien couvent où se déroulaient des explorations scientifiques dont on a tues les faits. Oui la montagne est un personnage à part entière et les descriptions sont précises et poétiques, on y est. Bref, j’ai adoré ce polar. Merci encore Cath, super découverte, cette auteure m’a conquise.
et le deuxième « La nymphe endormie» est encore meilleur ….
Ah tu me tentes là. Autant dire que l’auteure a une incroyable aisance à écrire, si c’est son premier roman ça s’appelle du talent.