Zafón, Carlos Ruiz .« Le Labyrinthe des esprits» (2018)
Zafón, Carlos Ruiz .« Le Labyrinthe des esprits» (2018)
Auteur : Page auteur coup de cœur : – Zafón, Carlos Ruiz
rapporSérie (tétralogie): Le Cimetière des livres oubliés : 1. « L’Ombre du vent », 2004 (La sombra del viento, 2001) – 2. « Le Jeu de l’ange », 2009 (El juego del ángel, 2008) – 3. « Le Prisonnier du ciel », 11.2012 (El prisionero del cielo, 2011), – 4.« Le Labyrinthe des esprits», mai 2018 ( El laberinto de los espíritus 2016)
Actes Sud (lettres hispaniques) – 2.05.2018 – 840 pages / 04.11.2020 – Babel – 989 pages
Résumé : Dans la Barcelone franquiste des années de plomb, la disparition d’un ministre déchaîne une cascade d’assassinats, de représailles et de mystères. Mais pour contre la censure, la propagande et la terreur, la jeune Alicia Gris, tout droit sortie des entrailles de ce régime nauséabond, est habile à se jouer des miroirs et des masques.
Son enquête l’amène à croiser la route du libraire Daniel Sempere. Il n’est plus ce petit garçon qui trouva un jour dans les travées du Cimetière des Livres oubliés l’ouvrage qui allait changer sa vie, mais un adulte au cœur empli de tristesse et de colère. Le silence qui entoure la mort de sa mère a ouvert dans son âme un abîme dont ni son épouse Bea, ni son jeune fils Julián, ne son fidèle compagnon Fermín ne parviennent à le tirer.
En compagnie d’Alicia, tous les membres du clan Sempere affrontent la vérité sur l’histoire secrète de leur famille et, quel qu’en soit le prix à payer, voguent vers l’accomplissement de leur destin.
Érudition, maîtrise et profondeur sont la marque de ce roman qui gronde de passions, d’intrigues et d’aventures. Un formidable hommage à la littérature.
Mon avis : Il est peut-être gros mais il se lit d’une traite ! Si bien écrit…
Et il fait ce que j’attends de la lecture : me transporter dans une autre réalité même si le contexte historique et politique est présent en toile de fond.
C’est assurément l’un de mes auteurs préférés et son dernier livre est un chef d’œuvre à mes yeux. Le livre commence à la fin des années 50 à Barcelone et s’achève à la mort de Franco. C’est le final de la tétralogie du Cimetière des livres oubliés et ce serait très dommage de le lire sans avoir lu les trois précédents.
Dans ce livre tout y est : l’amour, la passion, la haine, la vengeance, la vie et les ténèbres, les intrigues policières et politiques, l’aventure, le mystère, l’hommage à la ville de Barcelone, les secrets de famille, les auteurs maudits, le rêve, le cauchemar, la tragédie, la violence, la peur du présent, du futur et l’angoisse du passé. Nous évoluons dans un univers qui passe par toutes les teintes de gris pour arriver à la noirceur, qu’il s’agisse des paysages, des actions ou des âmes. Et les personnages sont fascinants, qu’ils soient bons ou mauvais, ils ont tous une profondeur et un mystère qui les rend extrêmement présents.
Les les personnages des tomes précédents sont là (Daniel Sempere, Fermín Romero de Torres, Bea) mais le personnage principal est une nouvelle venue, personnage des ténèbres, Alicia Gris . Le capitaine Vargas est nouveau aussi mais son rôle est moins important). J’ai également retrouvé l’univers des poupées que j’avais beaucoup apprécié dans « Marina ».
Comme je l’avais entendu dans une interview de l’auteur, ce livre est « un hommage au monde des livres, à l’art de raconter des histoires et au lien magique qui unit la littérature et la vie ».
Extraits :
Les souvenirs que l’on enterre dans le silence sont ceux qui ne cessent jamais de nous persécuter.
Quand j’étais jeune, je pensais que pour évoluer dans le monde, il suffisait d’apprendre à bien faire trois choses. Un : nouer les lacets de ses chaussures. Deux : déshabiller une femme minutieusement. Trois : lire pour savourer chaque jour des pages composées avec intelligence et habileté.
Il y a des années-lumière entre dactylographier et écrire.
Trop de secrets, voilà ce qui conduit l’homme à la tombe avant l’heure.
Le sommet de la statue de Christophe Colomb se profilait au loin, pointant le doigt dans la mauvaise direction, comme toujours, confondant le continent américain avec l’archipel des Baléares.
l’inattendu avance souvent main dans la main avec le regrettable.
Et si vous décidez un jour de partir à la recherche de votre destin (parce qu’il ne fait pas de visite à domicile, ça, c’est sûr), vous verrez, il vous laissera une deuxième chance.
Quand elle se réveilla, une faible lueur métallique grattait aux fenêtres de sa chambre. Elle s’était endormie tout habillée. Elle ouvrit la fenêtre et le froid humide du matin lui lécha le visage.
Derrière chaque salopard se cache une femme qui est pire encore.
Le majordome avait ce sourire froid et vaguement condescendant des domestiques professionnels qui, au fil des ans, finissent par croire que la noblesse de leurs maîtres éclabousse de bleu leur propre sang et leur octroie le privilège de regarder les autres de haut.
Le domestique et sa superbe rendirent les armes d’un geste sec.
Une ville fantomatique où les bâtiments avaient des visages, où les nuages s’insinuaient tels des serpents entre les toits.
— Ce n’est pas bien d’écouter aux portes…
— J’ai toujours pensé que c’est ainsi qu’on entend les meilleures conversations
… quiconque désirait conserver toute sa tête avait besoin d’un endroit où il pouvait, où il aimait se perdre. Ce lieu, cet ultime refuge, était une petite annexe de l’âme où on pouvait courir s’enfermer, et jeter la clef, quand le monde faisait naufrage dans son absurde comédie.
— Vous ne faites pas complètement fausse route, vous êtes sur la bonne voie.
— Je n’ai jamais fait fausse route de toute ma vie. Le problème, dans notre cher pays, ce ne sont pas les marcheurs, ce sont les voies.
Les certitudes réconfortent, mais c’est en doutant qu’on apprend.
Les légendes sont des mensonges ébauchés pour expliquer des vérités universelles. Les endroits où le mensonge et les mirages empoisonnent la terre sont particulièrement fertiles pour sa culture.
— Tu seras surprise de constater à quel point on cherche toujours dans le présent, ou le futur, des réponses qui se trouvent dans le passé.
Chaque paragraphe, chaque phrase paraissaient composés selon les règles d’une métrique musicale. La narration nouait les mots entre eux avec la grâce de l’orfèvre et entraînait les yeux dans une lecture de timbres et de couleurs qui dessinaient dans l’esprit un théâtre d’ombres.
Elle croit qu’en convoquant un esprit des ténèbres elle parviendra peut-être à les retrouver et, sans le savoir, elle ouvre un portail entre la Barcelone réelle et son envers, miroir maudit de la ville. La Ville des miroirs…
Barcelone, mère des labyrinthes, abrite au plus profond de son cœur un écheveau de ruelles reliées en un récif de ruines présentes et futures dans lequel les voyageurs intrépides et toutes les formes d’esprits égarés restent attrapés.
La loyauté est une habitude qui ne se perd pas du jour au lendemain.
L’espoir est simplement la foi dans le fait que ce moment n’est pas encore arrivé, que nous parviendrons à discerner notre véritable destin quand il approchera et que nous pourrons sauter à bord avant de voir s’évanouir à jamais l’opportunité d’être nous-mêmes, nous condamnant à vivre du vide, avec la nostalgie de ce qui devait être et ne fut jamais.
En vingt années passées dans la police, j’ai rencontré moins de vraies coïncidences que de gens disant la vérité.
— Pourquoi ne m’avez-vous pas réveillé ?
— J’aime entendre vos ronflements. C’est comme avoir un ourson à la maison.
Un individu d’aspect incunable, qu’on aurait dit présent en ces lieux depuis l’aube du siècle précédent, l’intercepta et la dévisagea d’un air soupçonneux
— Croyez-vous en tout cela ? Les sortilèges, les malédictions ?
— Je crois en la littérature. Et parfois dans l’art de la gastronomie, surtout s’il est question d’une bonne paella. Le reste, ce sont des mensonges ou des palliatifs, c’est selon.
“On boit pour se souvenir et on écrit pour oublier.”
Rien de mieux que le ressentiment pour entretenir la mémoire.
Lorsqu’on ment, il faut prendre en compte non pas la vraisemblance du mensonge mais la cupidité, la convoitise, la vanité et la stupidité du destinataire. On ne ment jamais à des gens ; ils se mentent à eux-mêmes. Un bon menteur donne aux crédules ce qu’ils veulent entendre. Voilà le secret.
Quand on est jeune, on voit le monde comme il devrait être. En vieillissant, on le voit comme il est réellement.
Il choisissait les mots comme un parfumeur mélange les fragrances pour préparer ses formules.
… pour peu que l’on sût déchiffrer les regards et le temps, on pouvait deviner dans un visage les traits de l’enfant et apprécier le moment où, poignardé par le dard empoisonné du monde, son esprit avait commencé à vieillir. Tels des marionnettes ou des jouets mécaniques, les individus possédaient tous un ressort caché permettant de les mouvoir et de les faire avancer dans la direction souhaitée.
Il en était arrivé à la conclusion qu’on ne sait jamais qui on est véritablement avant d’apprendre à haïr.
le niveau de barbarie d’une société se mesurait à la distance que l’on tentait de mettre entre les femmes et les livres. “Rien n’effraie davantage un barbare qu’une femme sachant lire, écrire et penser. Et qui, en outre, montre ses genoux.”
Il me répétait inlassablement que la seule chose qui compte véritablement en littérature ce n’est pas le sujet du livre mais la manière de le raconter. Le reste, c’était des fioritures.
La vérité est l’accord permettant aux innocents de ne pas avoir à cohabiter avec la réalité.
elle avait fini par croire qu’elle avait perdu son âme quelque part en chemin, sans soupçonner qu’elle la gardait au fond d’elle-même.
— Un bon journaliste, c’est comme un éléphant : il a du nez, de grandes oreilles et, surtout, il n’oublie jamais.
— Et les défenses ?
— Il doit y faire très attention, parce qu’il y a toujours un homme armé désireux de les lui prendre.
Une histoire n’a ni début ni fin, seulement des portes d’entrée.
Une histoire est un labyrinthe sans fin de mots, d’images et de pensées réunis pour nous révéler la vérité invisible sur nous-mêmes. En définitive, une histoire est une conversation entre une personne qui raconte et une personne qui écoute. Or un narrateur ne peut conter que dans la mesure de ses capacités, et un lecteur ne lit que ce qui est déjà écrit dans son âme.
Le jour où ma mère se tromperait, le Jugement dernier tomberait à la même date que les Saints Innocents.
— Écrire, c’est réécrire, me rappelait-il sans cesse. On écrit pour soi et on réécrit pour les autres.
Image : cimetière de Montjuïc
2 Replies to “Zafón, Carlos Ruiz .« Le Labyrinthe des esprits» (2018)”
Devrait bientôt se retrouver sur ma pile, celui-là. Ce serait bête de ne pas terminer la tétralogie… surtout que j’ai beaucoup aimé les 3 premiers tomes 😉
Ah oui ! tu dois absolument le lire ! il vient de sortir chez Babel poche