Svensson, Patrik « L’évangile des anguilles » (2021)
Auteur : Patrik Svensson, né en 1972, a grandi dans une petite ville du nord-ouest de la Scanie, dans le sud de la Suède, non loin de ce qu’on appelle souvent » la côte des anguilles « . Passionné dès son enfance par le monde naturel et animal, il a fait des études de littérature puis est devenu journaliste, spécialisé dans les arts, la culture mais aussi la recherche scientifique. Best-seller traduit dans plus de 30 pays et lauréat du prix August, le » Goncourt » suédois, L’Evangile des anguilles est son premier livre.
Editions du Seuil -7.1.2021 – 277 pages – Anna Gibson (Traducteur)
Résumé : » Quiconque cherche l’origine de quelque chose est aussi à la recherche de sa propre origine. » C’est l’une des créatures les plus énigmatiques du règne animal. Omniprésente depuis la nuit des temps (dans toutes les mers du globe, dans la mythologie, la Bible, l’Egypte ancienne, la littérature et d’innombrables cultures de par le monde, du Japon à la Scandinavie en passant par le pays basque), l’anguille ne cesse pourtant de se dérober à notre compréhension.
Comment se reproduit-elle ? Pourquoi retourne-t-elle à la fin de son existence à son lieu d’origine, la mer des Sargasses, au large des Bermudes – où nul être humain cependant n’a jamais réussi à la voir ? Aristote croyait qu’elle naissait spontanément de la vase ; Sigmund Freud commença sa carrière en disséquant des centaines d’anguilles afin de dénicher leurs organes reproducteurs – en vain.
Et aujourd’hui encore, » la question de l’anguille » demeure en grande partie irrésolue.
Patrik Svensson a passé son enfance à pêcher l’anguille, avec son père. La nuit, en silence, pendant des heures, ils attendaient de sentir vibrer le mystère au bout de leur ligne plongée dans les profondeurs des rivières et des lacs. Au point que cet animal, source de fascination autant que d’effroi, est devenu pour lui un totem – le symbole de tout ce qui demeure hors de notre portée, et à quoi pourtant nous accordons notre foi.
En mêlant la grande aventure scientifique, écologique, et le récit intime, L’Evangile des anguilles dévoile un pan de cet autre mystère, que chacun porte en soi : celui de nos propres origines et du sens même de la vie. Patrik Svensson, né en 1972, a grandi dans une petite ville du nord-ouest de la Scanie, dans le sud de la Suède, non loin de ce qu’on appelle souvent » la côte des anguilles « .
Passionné dès son enfance par le monde naturel et animal, il a fait des études de littérature puis est devenu journaliste, spécialisé dans les arts, la culture mais aussi la recherche scientifique.
Best-seller traduit dans plus de 30 pays et lauréat du prix August, le » Goncourt » suédois, L’Evangile des anguilles est son premier livre.
Mon avis :
La vie, la reproduction et la mort des anguilles a suscité des interrogations depuis toujours. Un vrai mystère à l’échelle du globe.
Toute la partie autobiographique du livre n’a pas réveillé mon intérêt (les techniques de pêche, les souvenirs des moments de pêche de l’auteur avec son père, les façons de la tuer, de la cuisiner, et j’ai survolé les informations sur la pêche industrielle et l’élevage…mais la description des paysages du lieu de pêche a son charme. Il y a aussi la description des terres de traditions des pêcheurs d’anguille et les traditions et légendes qui s’y rattachent (Scanie, Pays basque, Irlande). Sinon le reste du livre m’a bien plu. L’accent est clairement mis sur les couleurs sombres, les lieux de vie de ce poisson, entre vase et eaux troubles, dans l’obscurité dans tous les cas.
L’anguille est un poisson passionnant, un genre de mutant qui subit un certain nombre de métamorphoses tout au long de sa vie ; d’abord elles ressemblent à de minuscules feuilles de saule, avant de se transformer en civelles (« Longues de six ou sept centimètres, elles ressemblent, écrivait l’auteure et biologiste marine Rachel Carson, à « de minces tiges de verre, moins longues qu’un doigt ». En anglais on les appelle d’ailleurs glass eels, « anguilles de verre ») avant de devenir des anguilles jaunes, puis argentées…
On va suivre les recherches d’Aristote lors de son séjour à Lesbos consacré à l’étude des plantes et des animaux, on va évoquer l’anguille en Egypte ancienne, les recherches des Européens au cours des siècles : d’où vient-elle ? est-elle mâle ou femelle ? comment se reproduit-elle ? … Après les italiens au XVIIème et XIXème siècle, elle fera l’objet de recherches de Freud (eh oui ! il a fait autre chose que la psychanalyse, encore que le caractère fuyant et insaisissable de la bestiole l’a peut-être poussé à étudier le côté caché des individus…) La plus grande avancée dans la connaissance de cet animal mystérieux aura lieu au début du XXème siècle et est due à Johannes Schmidt, un biologiste marin danois qui effectuera des expéditions et découvrira que les anguilles naissent toutes dans la mer des Sargasses (que ce soient les anguilles européennes ou américaines) mais qu’elles ont des caractéristiques et des programmations innées qui diffèrent.
Tout comme l’être humain, l’anguille est attachée à ses racines. Mais pourquoi la Mer des Sargasses ? Mystère … Mais l’anguille n’est pas considérée de la même manière selon les endroits et les religions. Dans la religion chrétienne, elle n’est pas considérée comme un poisson mais comme un serpent, un monstre inquiétant des profondeurs alors que chez les anciens égyptiens elle est associée au Dieu primordial de la création du monde.
Beaucoup de chercheurs et auteurs se sont intéressés à elle, mais souvent il y a des parts d’imaginaire et d’anthropomorphisme… Par contre il y a une réflexion qui m’a fasciné : il semblerait qu’elle soit capable de gérer son vieillissement en fonction de son environnement et de ses conditions de vie !
Ce qui est certain et c’est le cas de bien des espèces, c’est qu’elles sont en train de disparaitre et qu’il faudrait se mobiliser …
Mais se voir attribuer l’équivalent du Goncourt suédois… je m’interroge … à moins que ce soit dans la catégorie essais…
Infos : Comme dès qu’on me parle d’Egypte ancienne je tilte, voici un petit complément sur l’anguille :
L’anguille (anguilla vulgaris) est fréquemment représentée parmi les poissons familiers. D’un si curieux poisson on attendait bien qu’il fût valorisé dans la religion. Il l’a été.
Son surgissement de la vase où il aime s’enfouir en faisait un excellent symbole du démiurge venant à l’existence « de lui-même » dans l’océan primordial.
A la basse époque, les pieux dévots ne manquèrent pas d’offrir au dieu Atoum des anguilles, souvent sous forme de momies rangées dans des reliquaires de bronze et surmontées d’une effigie du poisson avec un cou de cobra et une tête humaine coiffée du pschent.
Quand, tardivement on en vint à réinterpréter systématiquement les éléments des religions locales en termes de croyances osiriennes, l’anguille de la ville de Pithom fut considérée comme les intestins d’Osiris, en raison d’une ressemblance morphologique.
Le statut d’animal sacré donné à l’anguille était devenu pour les Grecs,qui l’appréciaient en tant que mets délicat, un des stéréotypes invoqués quand ils entendaient ironiser sur les mœurs pour eux déconcertantes des anciens Égyptiens – (« Bestiaire des Pharaons » P. Vernus J. Yoyotte)
Extraits :
Elle ne semble animée d’aucune intention particulière, hormis celle de s’abriter et de se nourrir au jour le jour. Comme si sa vie était avant tout une attente, comme si le sens de e sait vraiment comment elles font pour trouver leur chemin.
Car la mémoire est traîtresse, elle trie, sélectionne et jette. Quand nous essayons de convoquer une scène du passé, il n’est pas certain que nous en retenions l’essentiel ni le plus pertinent ; nous nous souvenons de ce qui convient le mieux à l’image d’ensemble. La mémoire peint un tableau où les détails sont tenus de se compléter. Elle n’autorise pas les couleurs qui trancheraient sur la tonalité de la toile de fond.
L’anguille est. L’existence vient en premier. Mais ce qu’elle est – c’est une tout autre affaire.
Sigmund Freud n’aborde de nouveau le sujet de la sexualité, en tant que psychanalyste cette fois, mais alors précisément sous l’angle de la sexualité cachée ou refoulée.
Ce sont aussi des théories qui se dérobent aux méthodes habituelles de l’investigation scientifique. Ce qu’elles postulent est tapi dans le secret du refoulement. Cela ne peut s’observer, ne supporte ni vérification ni réfutation.
Ses métamorphoses ne sont pas de simples adaptations superficielles à un nouveau milieu. Elles sont existentielles. Une anguille devient ce qu’elle doit être quand le moment est venu, et seulement alors.
Quiconque cherche l’origine de quelque chose est aussi à la recherche de sa propre origine. Peut-on affirmer cela ?
Ou peut-être est-ce la question de l’anguille elle-même qui engendre chez ceux qui la reprennent à leur compte une forme spéciale de persévérance ? Plus j’en apprends sur l’anguille, et sur les efforts consentis au fil des siècles pour tenter de l’approcher, plus je suis porté à croire qu’il en est ainsi. Surtout, je veux croire que l’énigme nous attire parce qu’elle contient malgré tout un élément qui nous est familier. Le voyage de l’anguille, pour extraordinaire qu’il soit, est en même temps quelque chose que nous pouvons reconnaître et à quoi nous pouvons même nous identifier : la longue et hasardeuse dérive pour s’éloigner des origines, puis le non moins long et difficile voyage retour, tout ce que nous sommes prêts à faire pour rentrer enfin chez nous.
Son caractère énigmatique devient un écho des questions que tous les êtres humains portent en eux. Qui suis-je ? D’où viens-je ? Où vais-je ?
Le dieu associé à l’anguille est le créateur primordial, Atoum d’Héliopolis, père de tous les autres dieux et de tous les pharaons. On le voit parfois représenté avec une tête humaine à la barbe effilée, coiffé d’une couronne symbole de divinité ; sous un large et effrayant bouclier-cobra, on entrevoit son corps, qui est celui d’une longue anguille pourvue de nageoires très réalistes. Cette tête et ce corps symbolisent l’union des forces positives et négatives.
À Rome, l’anguille faisait l’objet de représentations très diverses. Certains refusaient de la manger, comme les Égyptiens, mais pas pour les mêmes raisons. Alors que les Égyptiens voyaient en elle un animal sacré, les Romains la tenaient au contraire pour une créature impure et répugnante.
L’empathie humaine semblait ainsi faite. Un être qui croise votre regard est un être avec lequel on peut s’identifier.
Il est plus facile de s’identifier à une personne, ou à une créature, qui a elle aussi ses secrets, qui ne manifeste pas immédiatement qui elle est ni d’où elle vient. Ce qui est caché, chez l’anguille, est aussi ce qui est caché chez l’être humain. Et chercher solitairement sa place dans le monde, c’est sans doute en fin de compte la plus universelle des expériences humaines.
Si la tendance se confirme, il y a tout lieu de penser que, d’ici un siècle, le nombre d’espèces présentes sur la planète aura diminué de moitié.
le caractère secret de l’anguille est soudain devenu son plus grand ennemi. Si elle doit survivre, il faut que nous puissions la débusquer de ses cachettes et résoudre les questions qui n’ont pas encore trouvé de réponse.
Peut-être connaîtra-t-elle le même sort que le dodo. De créature vivante et bien réelle, elle passera peu à peu au statut de symbole tragicomique de ce dont les humains sont capables dans leurs moments de plus grande inconscience.