Raimondi, Daniela «Le sortilège de Stellata » (2021)
Autrice : Daniela Raimondi est née dans la province de Mantoue et a passé la majeure partie de sa vie en Angleterre. Maintenant, elle vit entre Londres et la Sardaigne.
Elle a publié dix recueils de poésie qui ont obtenu d’importants prix nationaux. Ses histoires sont présentes dans des anthologies et des magazines littéraires
Slatkine & Cie (Genève) – 3.5.2021 – 528 pages (Titre original : La casa sull’argine. La saga della famiglia Casadio) – traduit de l’italien par Manuela Corigliano)
Résumé : « Je sais que tu ne crois pas à ces choses-là, mais tu n’as qu’à regarder ce qui s’est passé dans notre famille. D’abord Giacomo, avec ses manies, qui a fini pendu à une poutre. Ensuite Achille, il voulait jouer aux héros et c’est un miracle s’il n’est pas mort fusillé. Et ta tante Edvige ? Elle a détruit deux familles. Et ma soeur Adele, qui s’est retrouvée à l’autre bout de la planète, avec ses fantaisies d’amour, et veuve presque tout de suite. N’oublie jamais, Guido… si nous ne les contrôlons pas, les rêves finiront par nous apporter une tragédie. Et elle sera pire que tous les malheurs que nous avons déjà connus. C’est notre ancêtre, la Tsigane, qui l’a vu dans ses cartes. Elle ne se trompait jamais. »
L’histoire commence en 1800, à Stellata, dans la plaine du Pô, le jour où Giacomo Casadio tombe amoureux. Peut-on contrôler son destin ? Faut-il renoncer à ses rêves ? Une saga à l’italienne, somptueuse comme un fleuve.
En écrivant l’histoire romancée de sa famille, la poétesse italienne Daniela Raimondi a provoqué une déflagration éditoriale qui a gagné le monde entier où « Le Sortilège de Stellata » est partout en traduction.
L’autrice a dit en interview : Retour aux sources, à ses origines, sous la forme romancée, avec une touche d’imaginaire et de fantasy. Stellata est l’endroit où habitait sa grand-mère maternelle, là ou elle a des souvenirs d’enfance. Les personnages sont inspirés de sa famille ou de personnes qu’elle a connu mais il y a beaucoup de choses qui sont inventées.
Mon avis :
Une fresque familiale qui couvre l’Histoire de l’Italie de 1800 à maintenant. Elle se situe principalement dans la province de Ferrare en Emilie-Romagne mais va nous entrainer jusqu’au Brésil…
Suite à la rencontre entre l’italien Giacomo Casadio et la tsigane Viollca Toska, une grande famille va se former et nous allons vivre avec elle pendant plus de deux siècles. Cette rencontre n’aurait jamais eu lieu si les Tsiganes n’avaient pas été contraints de s’arrêter longuement dans le village à cause des intempéries, et de s’y sédentariser petit à petit. De l’union de ces deux êtres vont naitre de nombreux enfants qui se divisent en deux types de personnalités « les rêveurs aux yeux bleus et au teint clair, et côté tsigane, les voyants aux yeux de jais et aux cheveux noir corbeau »
Il y a le coté tzigane, ses croyances, ses dons : , les rêves prophétiques qui annoncent la mort des gens, le don de lire dans les pensées des gens, les malédictions
Il y a le côté familial et la vie de tous les jours qui est le reflet du quotidien des familles italiennes au cours des périodes que nous traversons ( la vie avec les grands-parents, la famille, les cousins…) et les préoccupations de tous : la religion, la politique, la maternité, la violence conjugale, les amours fusionnelles ou obligées. La fresque recouvre les deux guerres mondiales, l’histoire de l’Unité italienne, la période du terrorisme.
Le roman est foisonnant. Il y a beaucoup de personnages (heureusement qu’il y a l’arbre généalogique auquel j’ai eu recours parfois en cours de lecture) qui ont tous un caractère et des problématiques différentes, même si les grands traits de caractère des têtes blondes et des têtes brunes forment deux groupes distincts (les artistes et les entreprenants) mais le cœur du roman est toujours LA FAMILLE. Même si elle est à l’origine de la famille et est le fil rouge de la saga, je dois dire que j’aurais souhaité que la romancière accorde une plus grande place à Viollca…
J’ai adoré ce roman qui allie l’Histoire et le roman, et je remercie les Editions Slatkine pour cette évasion palpitante et romanesque. Une fois de plus, on voit l’importance des origines, des classes sociales, de l’argent, des cultures différentes.
Extraits :
Les Tsiganes étaient persuadés qu’un serpent protecteur vivait dans les fondations de toutes les maisons, qu’il avait le ventre blanc et aucun venin. Ils pensaient que ce serpent rampait chaque nuit sur les dormeurs, pour les protéger et leur porter bonheur. Mais si le serpent était tué, un membre de la famille mourrait et une succession de malheurs s’abattrait sur les survivants.
— Et c’est comment quand on est mort ?
— C’est comme dans les rêves, quand tu veux courir ou crier, mais que tu n’y arrives pas.
— Comme dans les tableaux ? demanda Dollaro, en repensant aux peintures de l’église.
— Oui, comme quand les objets paraissent réels et que tu penses pouvoir les attraper sans y parvenir.
La belle-mère l’avait terrorisée en lui décrivant la terrible prophétie qu’elle avait lue dans les tarots.
— La science et la religion n’ont jamais fait bon ménage. Pensez à Galilée.
— Les découvertes scientifiques ne nient pas l’existence de Dieu. Les mathématiques sont d’une telle beauté et d’une telle perfection, qu’elles ne peuvent que confirmer l’origine divine du monde. »
Le jeune homme ouvrit la lettre, comme une souris qui guigne un bout de fromage en sachant que le chat l’observe.
« Si deux particules microscopiques interagissent d’une certaine manière pendant un certain temps, puis sont séparées, elles ne peuvent plus être décrites comme deux particules distinctes. En quelque sorte, elles partagent certaines propriétés. C’est un peu ce qui se passe lorsque deux êtres tombent amoureux : la vie peut les éloigner, chacun garde quelque chose de l’autre. »
Edvige Casadio avait cessé de vivre en rêvant, elle avait commencé à vivre en se souvenant.
Quand elle venait dans la cuisine, tout de noir vêtue, avec son air de Notre-Dame des Douleurs, on aurait dit qu’un vent glacial entrait, même en plein été.
Mais il lui était impossible de se libérer de la présence des morts et encore moins de leurs paroles.
— Je ne suis pas courageuse, moi. J’ai simplement peur de vivre comme ça, sans espoir.
un foyer n’est pas un endroit, c’est un sentiment, quelque chose qu’on garde en soi, qu’on construit, jour après jour, avec de l’effort et beaucoup de volonté.
Cela ne lui était pas arrivé depuis longtemps, mais cette nuit-là elle se rendit compte qu’elle ne ressentait plus rien pour lui. C’était comme si la douleur des derniers mois avait effacé tous les souvenirs, fait disparaître chaque sentiment qui l’aurait reliée à son passé.
Les morts ont plus de pouvoir que ceux qui restent sur terre, beaucoup plus de force que nous.
Si tu ne les brides pas, les rêves te détruisent. Ça a toujours été la malédiction de notre famille, lui répétait-elle.
Les enfants grandissent, et leurs rêves grandissent avec eux. Et dans notre famille, les rêves n’ont apporté que des malheurs
Ils essayèrent de lui expliquer sa maladie, en le prévenant qu’il allait complètement perdre la mémoire, mais il n’eut pas l’air de s’inquiéter. « Les souvenirs vraiment importants ne sont pas dans la tête mais là, dans le cœur », dit-il avec conviction.
Sa fille lui rappelait sa passion de jeunesse pour le chant, mais il avait compris que les rêves sont un luxe que seuls les riches peuvent s’offrir, et il fallait, tôt ou tard, que sa fille aussi l’accepte.
Parfois elle se disait que les gens du parti avaient raison : on ne pouvait pas séparer sa vie privée de son engagement politique.
Il y a une petite partie de nous qui vit indépendamment du temps. Dans certaines occasions particulières, nous comprenons que les années passent, mais le reste de notre vie, nous nous sentons toujours les mêmes, nous n’avons pas d’âge.
En tout cas, elle s’habituait à l’idée de sa propre mort bien plus facilement qu’elle ne s’était jamais habituée à l’idée de sa vie.
Parfois, Edvige s’emmêlait les pinceaux avec tous les nouveaux mots qu’elle avait dans la tête. Lors d’un repas de famille, elle avait provoqué un fou rire général en décrétant : « Hier, à la météo, ils ont annoncé d’importantes masturbations. »
Mais le petit village qu’elle avait quitté cinquante ans plus tôt était comme empaillé.
Tant de temps avait passé, tant de choses étaient arrivées, mais, en la voyant, Adele comprit que toute cette distance, toutes ces années n’avaient aucune importance. Il lui avait suffi d’un regard pour comprendre qu’au fond les gens ne changent pas.
Il ne reste plus rien de nous entre ces murs, rien de ce que nous avons été. Cette maison sera celle d’autres gens. Il y aura des sons et des parfums différents, l’arôme d’une autre marque de café sur le feu, d’autres épices. D’autres pieds laisseront leurs traces sur le sol. Il y aura d’autres souffles, d’autres étés, des voix différentes.
Vocabulaire :
Nourrain :
– Le nourrain est un alevin.
– Le nourrain est un jeune porc qu’on engraisse.