Michaelides, Alex «Les muses » (2021)

Michaelides, Alex «Les muses » (2021)

Auteur : Alex Michaelides est né à Chypre en 1977 d’une mère anglaise et d’un père chypriote-grec.  Il est diplômé en littérature anglophone du Trinity College de l’université de Cambridge, et en scénarisation de l’American Film Institute de Los Angeles. Il a aussi étudié la psychanalyse, et a travaillé deux ans dans une clinique psychiatrique pour jeunes. Il est également scénariste. Il vit aujourd’hui à Londres.
« Dans son silence », son premier roman paru en 2018, a été traduit dans cinquante pays et a conquis 4 millions de lecteurs dans le monde. En 2021 il sort « Les muses »

Calmann-Lévy Noir – 16.06. 2021 – 378 pages – titre original « The Maidens »

Résumé : Mariana, Londonienne d’origine grecque, est psychothérapeute. Alors qu’elle se remet à peine de la noyade de son mari, sa fragile nièce Zoé, étudiante à Cambridge, l’appelle au secours. Une jeune fille de sa classe a été retrouvée sauvagement assassinée sur leur campus. Mariana, ancienne élève de Cambridge, débarque aussitôt pour soutenir Zoé, et ne peut s’empêcher de mener sa propre enquête, surtout quand Zoé accuse son professeur de grec ancien, le séduisant Edward Fosca, d’être l’assassin.
Mariana découvre alors que Fosca entretient des relations mystérieuses avec quelques étudiantes qui se surnomment « les Muses ». Bientôt, une autre jeune femme est retrouvée morte, une autre muse… Avec ce nouveau thriller psychologique mêlant psychanalyse, faux-semblants, mythologie grecque et huis clos dans une université mythique, Michaelides nous coupe plus que jamais le souffle.

Mon avis : Dès la première phrase, j’ai été happé par le roman et j’ai senti que j’allais le lire d’une traite. Et effectivement, tout comme son précédent, je ne l’ai pas lâché. Il faut dire qu’un roman qui allie psychologie, littérature et mythologie, c’est fait pour moi ! En plus les citations de Tennyson sont pour moi un enchantement.
Dans le cadre prestigieux de Cambridge, le calme est loin de régner. Mariana, qui ne se remet pas du décès de l’amour de sa vie, va faire l’effort de se rendre à Cambridge, ville dans laquelle elle a été étudiante, pour soutenir sa nièce qui est très affectée par le meurtre de sa meilleure amie. Et une fois sur place, la psychothérapeute qu’elle est va se muer en enquêtrice
Avec elle nous allons visiter – ou revisiter – non seulement la belle ville de Cambridge, mais encore la mythologie grecque, les tragédies grecques.
Un petit bémol toutefois. Même si le personnage de Mariana est attachant, elle m’a légèrement tapé sur les nerfs avec ses états d’âme..
Contrairement à son premier livre « Dans son silence » je n’ai pas du attendre la fin pour comprendre qui était le coupable. Par contre je n’avais pas compris le pourquoi…
Mais j’ai trouvé la combinaison tragédie grecque – thriller psychiatrique intéressante et je vais continuer à suivre cet auteur

Extraits :

Mariana avait relu tous les écrits de Freud au sujet du deuil. Il affirme qu’après le décès d’un proche, il faut accepter la perte de l’être cher et le laisser partir, faute de quoi on court le risque de succomber au deuil pathologique qu’il nomme « mélancolie », aussi appelé dépression.

elle ne voyait plus monde en couleurs. La vie était pâle, grise et lointaine, au-delà d’un voile, au-delà d’une brume de tristesse.

Dans ses moments les plus fantaisistes, elle pouvait considérer avec un certain mysticisme le pouvoir des cercles : le cercle du soleil, de la lune, de la Terre ; la gravitation des planètes dans l’espace ; la roue ; le dôme d’une église ; une alliance. Platon affirme que l’âme est un cercle, et cela faisait sens pour elle. La vie n’est-elle pas aussi un cercle ? De la naissance à la mort.

Dans un sens, chacun devint l’autre ; ils se fondirent, comme du mercure.

Ils vivaient dans le futur en ce temps-là, ils planifiaient leur avenir, ne parlant jamais du passé et des années de tristesse qui avaient précédé leur rencontre.

Elle avait parfois l’impression d’avoir été maudite par la déesse malveillante d’un mythe grec, pour perdre ainsi tous ceux qu’elle aimait.

L’été s’était changé en hiver, le jour s’était changé en nuit. La terre avait porté le deuil, ou, plus précisément, sombré dans la mélancolie.

Il lui manquait, et elle n’avait rien pour apaiser sa soif que ses souvenirs, projetés dans l’obscurité : des images vacillantes des jours passés ensemble, de leurs nuits, leurs hivers, leurs étés.

— La mênis. Il n’existe pas d’équivalent en anglais. Tu te souviens, l’Iliade commence par : « Μῆνιν ἄειδε θεὰ Πηληϊάδεω Ἀχιλῆος », « Chante, déesse, la mênis d’Achille ».
— Ah. Qu’est-ce que ça signifie exactement ?
Clarissa réfléchit un instant.
— Je suppose que la plus proche traduction serait colère incontrôlable, fureur terrible. Déchaînement.

La plupart des professeurs avaient une encyclopédie dans le cerveau ; Clarissa avait une bibliothèque entière.

Autrefois, la psychopathie était simplement nommée « le malin ». Les individus maléfiques, qui prennent plaisir à blesser ou tuer leurs semblables, étaient un thème littéraire depuis que Médée avait brandi une hache pour tuer ses enfants, et probablement bien avant cela. Le terme « psychopathe », inventé par un psychiatre allemand en 1888 – l’année où Jack l’Éventreur sema la terreur dans Londres –, vient de l’allemand « Psychopatische » et signifie littéralement « âme en souffrance ».

La psychopathie ou le sadisme n’arrivaient pas de nulle part. Ce n’étaient pas des virus qui infectaient quelqu’un sans prévenir. Leur source remontait loin dans l’enfance.

— Ces deux déesses sont sur le point d’initier ce jeune homme au culte des Mystères d’Éleusis. Il s’agit, bien entendu, de Déméter et de sa fille, Perséphone. […]
— Le rituel des Mystères permet de faire l’expérience de la liminarité, cet état entre la vie et la mort, et de transcender la mort. En quoi consistait donc ce culte ? Eh bien, Éleusis, c’est l’histoire de Perséphone, connue sous le nom de Coré, « la jeune fille », la divinité de la mort, la reine des Enfers.

Quand elle perd sa fille, à Éleusis, Déméter plonge le monde dans l’obscurité hivernale à tel point que Zeus est forcé d’intervenir. Il permet à Perséphone de revenir d’entre les morts, chaque année, pendant six mois. Qui sont nos printemps et été. Et ensuite, pendant les six mois où elle réside aux Enfers, nous avons l’automne et l’hiver. La lumière et l’obscurité, la vie et la mort. Ce voyage qu’entreprend Perséphone, de la vie à la mort et inversement, a donné naissance au culte d’Éleusis.

— Laissez-moi vous dire quelque chose, c’est de ça qu’il s’agit dans ces tragédies grecques. De ce qu’être humain signifie. De ce qu’être en vie signifie.

Sans être enquêtrice, elle était tout de même thérapeute, et elle savait écouter. Non seulement ce qui était dit, mais aussi tout ce qui ne l’était pas, tous les non-dits – les mensonges, les faux-fuyants, les projections, les transferts et autres phénomènes psychologiques à l’œuvre entre deux individus –, et cela demandait un type d’écoute particulier.

Mais mieux vaut le courage de l’ivrogne que pas de courage du tout.

Mythologie :
Eleusis : Le temple était dédié à Déméter, déesse de la moisson, déesse de la vie, et à sa fille, Perséphone, déesse de la mort. Les deux déesses étaient souvent vénérées ensemble, comme les deux faces d’une même pièce, mère et fille, vie et mort. En grec, Perséphone était simplement connue sous le nom de Coré, du grec « korê », qui signifie jeune fille.

Vocabulaire :
Hubris :
L’hybris, ou hubris (en grec ancien : ὕϐρις / húbris), est une notion grecque qui se traduit le plus souvent par « démesure ». Elle désigne un comportement ou un sentiment violent inspiré par des passions, particulièrement l’orgueil et l’arrogance, mais aussi l’excès de pouvoir et de ce vertige qu’engendre un succès trop continu. Les Grecs lui opposaient la tempérance et la modération, qui est d’abord connaissance de soi et de ses limites.
Dans la Grèce antique, du point de vue juridique, l’hybris désignait un acte transgressif violent considéré comme un crime. Cette notion recouvrait des violations comme les voies de fait, les agressions sexuelles et le vol de propriété publique ou sacrée1. On en trouve deux exemples bien connus : les deux discours de Démosthène, Contre Midias et Contre Conon, plaidoyer portant sur l’accusation publique pour « outrages » (γραφὴ ὕβρεως / graphḕ húbreōs). Du point de vue philosophique et moral, c’est la tentation de démesure ou de folie imprudente des humains, tentés de rivaliser avec les dieux. Ceci vaut en général, dans la mythologie grecque, de terribles punitions de leur part.

Il existe un mot pour cela dans la tragédie grecque : l’anagnorisis – la reconnaissance –, le moment où le héros perçoit enfin la vérité, prend conscience de son destin et se rend compte que tout était déjà là, depuis le début, sous ses yeux.

on ne peut pas forcer son pardon, on l’éprouve spontanément, comme un acte de grâce et il arrive seulement quand on est prêt.

Image :  partie supérieure de la « Stèle de Déméter et Coré » (Musée d’Eleusis)

 

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