Coulon, Cécile «Seule en sa demeure» (RL2021)

Coulon, Cécile «Seule en sa demeure» (RL2021)

Autrice : Cécile Coulon, née le 13 juin 1990 à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), est une romancière, nouvelliste et poétesse française. À l’âge de 16 ans, elle publie son premier roman intitulé Le Voleur de vie. Elle passe un baccalauréat option Cinéma. Après une hypokhâgne et une khâgne au lycée Blaise Pascal à Clermont-Ferrand, elle poursuit ses études en lettres modernes. En 2016, elle prépare sa thèse dont le sujet est Le Sport et le corps dans la littérature française contemporaine.
Ses romans : Le Voleur de vie (2007) – Méfiez-vous des enfants sages, (2010) – Le roi n’a pas sommeil (2012) – Le Rire du grand blessé (2013) – Le Cœur du Pélican (2015). À 26 ans, elle publie son huitième livre, le roman « Trois saisons d’orage », qui obtient le prix des libraires 2017. En 2019 elle sort « Une bête au paradis » et en 2021 « Seule en sa demeure »

L’Iconoclaste – 19.08.2021  – 333 pages (dans la première sélection du Roman Fnac 2021)

Résumé :

« Le domaine Marchère lui apparaîtrait comme un paysage après la brume. Jamais elle n’aurait vu un lieu pareil, jamais elle n’aurait pensé y vivre.  » C’est un mariage arrangé comme il en existait tant au XIXe siècle. À dix-huit ans, Aimée se plie au charme froid d’un riche propriétaire du Jura. Mais très vite, elle se heurte à ses silences et découvre avec effroi que sa première épouse est morte peu de temps après les noces. Tout devient menaçant, les murs hantés, les cris d’oiseaux la nuit, l’emprise d’Henria la servante. Jusqu’au jour où apparaît Émeline. Le domaine se transforme alors en un théâtre de non-dits, de désirs et de secrets enchâssés,  » car ici les âmes enterrent leurs fautes sous les feuilles et les branches, dans la terre et les ronces, et cela pour des siècles ».

Mon avis :

Une fois encore, le monde de Cécile Coulon m’enchante. Impossible de ne pas  tomber sous le charme de cette écriture poétique (je vous recommande la lecture de ses poèmes qui me touchent au cœur et sont superbes).
Nous sommes au XIXème siècle, dans la campagne jurassienne. Une jeune fille quitte sa famille pour se marier à un jeune homme riche propriétaire terrien qui habite une maison isolée à une trentaine de kilomètres. Un jeune homme solitaire, qui a été frappé par de nombreux malheurs dans sa courte vie et a perdu sa première femme au bout de six mois de mariage seulement. Pour lui, l’important est de protéger sa jeune épouse, au risque de l’étouffer et de lui donner la sensation d’être prisonnière du lieu. Petit à petit, le mystère qui hante le domaine dans lequel elle vit s’épaissit et ce qui semblait simple se complique ; il y a des mensonges, des non-dits, des comportements curieux et inexplicables… On retrouve l’ambiance gothique des romans anglais du XIXème siècle. Et tous les personnages sont angoissants, liés à la mort, empreints de tristesse et suintent le mal-être… A première vue ils semblent faciles à appréhender, mais sous l’apparence se cache la complexité.
Et l’amour de l’autrice pour la ruralité est illustré par ces magnifiques portraits de personnages et par les descriptions des paysages, des éléments, des arbres…
Encore un bijou à mettre au crédit de la plume de Cécile Coulon.

Le choix des prénoms est aussi surprenant : Amand (Il vient de « amans », et signifie « qui est aimé »), Aleth (Le prénom Aleth est inspiré du terme grec aletheia qui signifie « la vérité ») , Emeline (Emeline est une variante du prénom allemand Amelina qui se traduit par « labeur » ou « travail ».), Henria (du germanique  : « la maison » et « le chef ». Ce prénom correspond à la forme féminine d’Henri.) Par contre, pour ce qui est de Candre… je n’ai rien trouvé de très éclairant… alors si tous trouvez… merci de m’éclairer

Extraits :

un père ne choisit pas un mari pour sa fille, mais il la détourne des âmes sombres de ce monde

Dieu a créé l’homme et les animaux terrestres le même jour, répondit-il. Il n’y a aucune raison que je les traite différemment. Sans compter qu’on n’est jamais trahi par un cheval, un cochon ou une abeille.

Il vivait dans la mémoire des autres, dans leurs conversations et leurs paroles.

Sa nuque semblait se détacher de son buste tant elle gardait la tête droite. Quand elle jouait, son instrument traçait une ligne de métal entre elle et le monde.

À Genève, les rues étaient larges, les manteaux longs et le soleil cuisait les façades. Ici, il lui semblait que les hommes se ratatinaient sous les branches, que les arbres effleuraient la maison comme des animaux sauvages flairent une proie.

Il l’impressionnait, grandissant vite et bien, tel un arbre en avance sur la forêt. Il travaillait et contractait sa voix comme un biceps : avec force.

À force de l’entendre établir ses théories, Aimée avait fini par les absorber, comme une terre fertile se gorge d’une pluie empoisonnée.

Les bêtes n’aimaient pas ce ciel qui leur tombait dessus comme mille cravaches, on évitait les sorties par temps d’éclairs ; et même alors, dans le fond des écuries les chevaux cognaient aux planches. Dans le bruit de leur carcasse jetée contre les murs, le chant du tonnerre se mariait au gris du paysage jusqu’à ce qu’un soleil timide chasse les enfers au-delà du village.

Il se perdait dans le jardin. Il naviguait de l’autre côté de la vitre, sous la pluie, bercé par la foudre.

J’espère bien que je vais te manquer, sinon ça ne sert à rien que je parte ! dit-il dans un éclat de voix.

Pourtant, un doute persistait. À peine un frôlement. Mais elle le sentait en elle, quand la maison se taisait, que les arbres murmuraient à la fenêtre. Elle entendait, dans cette discussion hors des hommes, une parole autre, du passé, elle en frissonnait et sa confiance s’évanouissait.

La voix de son père l’avait toujours rassurée. Elle ne l’entendrait plus ; désormais, elle ne pouvait que s’en souvenir, dans un autre lieu, loin de ce paysage simple qui avait poli cette voix. C’était cela qui manquerait le plus

Nous vous perdons uniquement si nous vous oublions.

Alors le monde se mit à tanguer légèrement : ce n’était pas la douleur comme elle se l’imaginait, destructrice. Non, dans le soir, son cœur fanait ; ses pétales, un à un, noircissaient, séchaient, sous ses pieds le sol se dérobait, comme si la maison cherchait, elle aussi, à se terrer, à échapper à ces paroles.

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