Atkins, William «Dans l’infinité des déserts» (RL2021)

Atkins, William «Dans l’infinité des déserts» (RL2021)

Auteur : William Atkins est un éditeur et journaliste anglais, qui a régulièrement écrit dans les pages de The Guardian et de Granta. « Dans l’infinité des déserts » est le deuxième livre qu’il publie, après The Moor (non traduit en français) : unanimement salué par la presse, il a été élu « Livre de voyage de l’année » en Grande-Bretagne. – William Atkins vit à Londres.

Albin Michel – 1.10.2021 – 477 pages – traduit par Nathalie Cunnington

Résumé : « Dans un monde qui paraît de plus en plus petit, Atkins revendique l’incommensurable, l’inconnu à l’intérieur du connu. » The Sydney Morning Herald

Les déserts, qui occupent un tiers de la surface terrestre, ont toujours captivé les hommes. Depuis les prophètes de la Bible et les mystiques jusqu’à Marco Polo et Lawrence d’Arabie, nombreux sont ceux à s’être lancés à leur découverte. Sanctuaire et refuge pour certains, lieu d’exil ou « vide atroce » pour d’autres : de quoi le désert est-il le lieu dans la vie et l’histoire de l’humanité ?

Pour répondre à cette question, William Atkins a exploré, trois années durant, les déserts des cinq continents. S’inscrivant dans la lignée d’auteurs tels que Bruce Chatwin et Patrick Leigh Fermor, il s’est rendu de la péninsule Arabique aux terrains des essais nucléaires en Australie, des rivages de la défunte mer d’Aral, au Kazakhstan, jusqu’au pays des Ouïghours dans le nord-ouest de la Chine, du festival Burning Man dans le Nevada aux antiques monastères du désert Arabique en Égypte.

Il rapporte de ce périple inédit un témoignage lumineux sur les hommes, le monde, et le symbolisme de ces confins intranquilles. Et nous plonge au cœur d’un univers à nul autre pareil pour partager sa beauté, ses mythes et ses incroyables histoires.

Mon avis : C’est parti pour l’aventure dans le sable des déserts de la planète. L’auteur a choisi de nous faire visiter 7 déserts : 1 – La bibliothèque du désert – Le Quart Vide, Oman / 2 – Le champ du tonnerre – Le Grand Désert de Victoria, Australie / 3 – Mauvais Sujets – Les déserts de Gobi et du Taklamakan, Chine / 4 – La mer sans eau – L’Aralkum, Kazakhstan / 5 – Entre deux feux – Le désert de Sonora, États-Unis / 6 – La ville éphémère – Le désert de Black Rock, États-Unis / 7 – La montagne intérieure – Le désert Arabique, Égypte

Je suis très empruntée pour donner mon avis sur ce livre ; c’est un livre plein de références, dans lequel j’ai beaucoup appris, qui montre les déserts de manière historique, politique géopolitique, traductionnelle aussi ; il nous montre comment le désert a été détourné, utilisé, exploité, ravagé, détruit… Il nous entraine aussi dans des visites de lieux exceptionnels, dans des grottes et des monastères et nous fait parcourir les siècles ; il nous parle religions, recherche de paix intérieure, rencontre avec la nature (quand il en reste) ; il nous parle des Indiens, des Egyptiens , de prisons, de camps de détention, d’exil de populations,  de migrants, d’écologie…
La Chine et la route de la Soie, les Ouighours, la présence des djinns ; – le désert d’Aral ,  les déportés de la Seconde Guerre mondiale, six cents essais nucléaires, cimetière de bateaux… ; Le désert de Black Rock aux États-Unis qui accueille chaque année le festival Burning Man, fin août à deux cents kilomètres au nord de Reno sur la playa du désert de Black Rock …

Il y a aussi certains passages avec de belles descriptions de la nature encore intacte ou de la nature d’avant. Mais je n’ai pas eu le coup de cœur car je referme le livre sur une grande tristesse, la magie du désert n’est pas passée…
J’ai eu la chance de parcourir plusieurs déserts – pas aussi à fond que l’auteur bien évidemment (Egypte, Oman, Sahara, Etats-Unis) et j’ai ressenti des émotions fortes et empli mes yeux et mon cœur de beaucoup de beauté .. et là, j’en ressors avec un sentiment de massacre… alors oui il est nécessaire de tirer la sonnette d’alarme, de se battre contre les décharges à l’air libre, de souligner que le passage de l’homme détruit la nature, mais le matraquage est tellement dense que pour moi, c’est devenu pesant. Mais je ne regrette en aucune façon de l’avoir lu. Je pense surtout que je n’étais pas préparée à un livre aussi sombre qui ne donne malheureusement pas envie de découvrir les endroits dont l’auteur nous parle…

Je remercie les Editions Albin-Michel pour leur confiance et pour le voyage qu’ils m’ont offert autour du monde.

Extraits :

Le Quart Vide, Oman
Ainsi, je ne suis plus dérangé par les lézards qui courent sur le toit – ou plus exactement par le bruit qu’ils font et qui se mêle à tout le raffut nocturne du désert. Je soulève les pieds du lit et place sous chacun d’eux un récipient – bol, soucoupe, casserole – contenant de l’eau, l’idée étant de dissuader punaises ou scorpions de venir me tenir compagnie.

C’est dans la bibliothèque du monastère que j’ai pris conscience du lien unissant le monachisme occidental et le désert.

Abandonner ce que l’on possède, éloigner de soi ceux que l’on aime : tels sont les premiers actes d’un moine, mais ils pourraient tout aussi bien être ceux d’une personne en deuil.

Cette façon d’avancer pas à pas vers un état d’oubli, depuis la féconde plaine alluviale du Nil jusqu’à ces contrées intérieures arides, est devenue un modèle pour ceux qui désirent renoncer à la société.

le but ultime de tout voyageur du désert : le point où coexistent absolu et infini.

De l’adjectif latin desertus, participe passé du verbe deserere : abandonner.
À l’époque, ce qui caractérisait ce genre d’endroit, ce n’était pas l’absence d’eau mais celle de peuplement humain.

La zone hyperaride dans toute sa splendeur : isolée, impie, solitaire, mortelle, nue, sans eau, sans piste, infranchissable, infestée, maudite, abandonnée – et pourtant un lieu de révélation, de contemplation, un refuge. Au milieu de toutes ces horreurs, la paix – une paix magnifiée par ces mêmes horreurs.

[…] effectuer un pèlerinage en Terre sainte, c’est ouvrir un livre plutôt qu’une carte. Même pour le visiteur du XXIe siècle équipé d’un téléphone portable et d’une bouteille d’Évian, le désert s’appréhende à travers le même filtre biblique.

Le désert est mobile. Son moteur, c’est le vent, le vent qui modèle les dunes. Voyager dans le Quart Vide, c’est découvrir leurs formes dans leurs variations infinies. Le type le plus fréquent de dunes, c’est l’uruq (« veine », en arabe), un ensemble de chaînes de dunes parallèles qui peuvent faire plusieurs dizaines de kilomètres de long, et la barchan (« corne »), en forme de croissant, avec un sommet incliné dans le sens du vent dominant. Mais les déserts, même les grands ergs ou les mers de sable du Sahara, sont rarement composés exclusivement de sable.

L’obscurité venue, le vent tombe. Le matin, on trouve partout dans le camp les traces des créatures qui sont passées pendant qu’on dormait – renards, lièvres, souris, scorpions. « Les sables, écrivit Thomas, sont un journal intime qui n’a rien d’intime […] Aucun oiseau qui ne se pose, aucune bête sauvage ou insecte qui ne passe sans laisser une trace de son histoire. »

Le désert se remodèle lui-même. Après un petit somme dans un lieu exposé au vent, on se réveille avec un contrefort de sable bien calé contre le flanc. À l’abri d’une brindille, aussi petite soit-elle, s’accumulera une bosse de sable. C’est ainsi que naissent toutes les dunes, même géantes. La nuit, y compris quand il n’y a pas un souffle d’air, on perçoit à la lumière de la lampe torche la poussière qui flotte, portée par le vent. Le désert avance, subtilement.

Le Grand Désert de Victoria, Australie

Depuis sa fondation, c’est ici, sur le pourtour du pays, que se regroupe la population. L’« intérieur rouge » – le désert – reste encore aujourd’hui un territoire étranger occupé par un peuple étranger. Il y a le bush – qui fait partie de l’Australie, de l’idée que le pays se fait de lui-même, celle d’une nation de courageux pionniers –, et puis il y a le désert. Qui n’a rien à voir avec le bush ou ce qu’on appelle l’outback. Le désert, personne ne l’aime ni ne lui accorde la moindre valeur. Non, vraiment, le désert, ce n’est pas l’Australie.

Pour les Anangu, il y a les Ancêtres, puis les plantes et les animaux. Enfin il y a la terre, la terre qui constitue le lien entre le physique et le spirituel, le temporel et l’éternel, la terre créée dans ses moindres détails par les Ancêtres. Impossible d’envisager ces trois éléments – les Ancêtres, les organismes et les minéraux – comme des entités séparées.
Les Anangu entretiennent avec la terre une relation d’ordre religieux. Par exemple, vous ne dégagez pas un point d’eau pour maintenir une source d’approvisionnement, mais parce que c’est votre obligation envers les Ancêtres. Votre obligation légale. Pas de mythe fondateur avec aliénation de l’état de nature chez les Anangu, pas de chute originelle, car la distinction n’existe pas : il n’y a pas de nature dont vous puissiez être aliéné. Le désert n’est pas un lieu d’exil ou d’expiation. Il n’est pas le lieu où vous prouvez votre valeur ni celui où vous vous réfugiez. Il n’est pas le royaume des tentations démoniaques comme pour saint Antoine, et surtout il n’est pas le « vide atroce » des pionniers.

Les déserts de Gobi et du Taklamakan, Chine

Alors que pour les Aborigènes australiens le désert est une mosaïque combinant à l’infini histoires et symboles, les déserts hyperarides de Chine figurent dans l’imaginaire populaire – même parmi les populations vivant à leur lisière – soit comme de simples interstices, soit comme un royaume redouté que l’on ne pénètre que contraint et forcé ou pour atteindre la prochaine oasis.

Le Gobi n’est pas un désert de dunes, mais plutôt une vaste étendue plate tout juste interrompue par des collines basses, des bassins légèrement creux et des lits de rivières asséchées. Partout on voit l’action de l’eau, même aux endroits où elle ne coule plus depuis des décennies, voire des siècles. L’immensité ne s’arrête qu’à l’horizon, ou à l’endroit où la brume bloque le regard.

C’est seulement le tambour de nos dunes. Calmez votre cœur. » Le phénomène fut également relevé par Marco Polo, quand il traversa le Gobi sept cents ans avant elle. Le Vénitien attribua le phénomène aux « esprits du désert », qui « emplissent parfois, dit-on, l’air du son de toutes sortes d’instruments de musique, et aussi de roulements de tambour et du fracas des armes ».

Le mot « désertification » ne convient pas, car le désert naturel – le désert absolu, en gros – est, malgré son minimalisme de surface, un ensemble d’équilibres en grande partie autorégulés (pensons au sable au point du jour, avec ces traces d’animaux qui s’entrelacent), tandis que les régions désertifiées s’approchent bien davantage du sens premier du terme latin : elles sont non seulement appauvries mais également abandonnées. Un paysage désertifié, ce n’est pas un paysage de désert mais plutôt une création humaine, et souvent le résultat de notre incapacité à nous réconcilier avec l’aridité.

L’Aralkum, Kazakhstan (La mer sans eau)

Si le désert évoque la mer, ce n’est pas une coïncidence – après tout, dans un désert on avance souvent sur d’anciens fonds marins. Mais ici, c’est différent : à l’échelle de la vie des océans, cette mer-ci a disparu en une seconde – une rapidité qui a quelque chose de terrifiant et de violent.

Devant moi il n’y a rien d’autre que le fond marin totalement asséché, ridé ici et là par quelques langues de terre et barres de sable.

Comme souvent dans le désert, on a vaguement l’impression d’être surveillé. Oiseaux, gerbilles, chameaux : pas un qui n’ait manqué de remarquer ma présence.

Le désert de Sonora, États-Unis 

La Santa Cruz n’a pas toujours été comme ça. S’il n’y avait pas eu de rivière pérenne dans la région, les Indiens ne se seraient pas installés sur cette plaine qu’ils appelaient S-cuk Son (« au pied de la montagne noire »)

Même dans ce désert relativement vert, il n’y a pas grand-chose qui puisse capter le regard – ici un affleurement rocheux, là un figuier de Barbarie, un paloverde, un mesquite, tout là-haut le ciel et ses oiseaux carnivores. Alors le regard se tourne vers l’intérieur.

Le désert de Black Rock, États-Unis

Le désert est depuis toujours un lieu où tout est permis. Pour les mormons qui s’installèrent dans l’Utah en 1847, ce fut un refuge où exprimer librement leur foi, tout comme il l’avait été dans l’Égypte du IIIe siècle pour les ermites chrétiens persécutés par les empereurs romains. Pourtant, même si le désert peut à la fois faire office de refuge et de barrière absolument infranchissable, il est aussi, comme le dit Mary Austin, une « terre de frontières perdues », où les certitudes de la vie en société s’évaporent en même temps que ses obligations. Si pour certains le désert promet la libération des rancœurs du corps, il offre aussi, dans son isolement et son immensité, la souveraineté de l’esprit, la libération physique, et un défi étourdissant. Après tout, le vide n’est-il pas le lieu de possibilités infinies ? Pas simplement en tant que toile blanche, mais également en tant que nuit biblique.

À cause de la poussière soulevée par les véhicules, je suis incapable d’apprécier l’immensité du lieu, un plateau de trois cents kilomètres carrés où, en dehors du festival, les occasionnels tourbillons de poussière constituent l’unique concession à la verticalité.

Au Soudan, les gens appellent parfois le Sahara Bahr bela ma, « la mer sans eau ». Charles Sturt qualifiait le désert de Pierres en Australie de « mer sableuse » alors même qu’il persistait à croire en l’existence d’une véritable mer au centre du continent. Pour Bertram Thomas, le Rub’ al-Khali était « une mer agitée », et le Taklamakan d’Aurel Stein était « une mer déchaînée, dont les vagues se sont pétrifiées en pleine tempête ». Mais en contemplant aujourd’hui avec Amy l’océan Pacifique, cette immense bête ondoyante dont les flancs se soulèvent et se creusent, je repense à la magnifique immobilité du désert de Black Rock et me dis que le rapprochement est faussé. Ce qui rend la mer si terrible, dans les deux sens du terme, c’est-à-dire à la fois super, comme on dit dans les séries télé, et redoutable, ce n’est pas son immensité ou son caractère complètement ouvert, ni même sa profondeur, mais les forces telluriques impliquées dans ses mouvements. La mer est vivante.

« Un jour, un anthropologue demande à un Indien Hopi pourquoi les chants de son peuple parlent si souvent d’eau. » […] « “C’est simple, répond l’Indien. C’est parce que l’eau est si rare… Et pourquoi”, demande-t-il alors à l’anthropologue, “vos chansons à vous parlent-elles si souvent d’amour ?” »

Le désert Arabique, Égypte

Dans le Wadi el Natroun, on perçoit toujours la présence à l’est du Nil et d’Alexandrie, centres de peuplement humain, tandis qu’à l’ouest le regard part vers le Sahara, la limite du monde, et l’infini plus loin. Ainsi, le désert devient une scène sur laquelle se trouve représentée devant le monde entier la vie éternelle du Paradis. Les moines sont des témoins, pas des acteurs. Voilà pourquoi les gens leur font confiance.

Agape (« amour », en grec ancien) est le terme utilisé par les coptes pour désigner la célébration partagée des mystères chrétiens.

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