Gaudé, Laurent « La porte des enfers » (2008)
Auteur : Laurent Gaudé, né le 6 juillet 1972 dans le 14e arrondissement de Paris, est un écrivain français, qui a obtenu le prix Goncourt des lycéens et le prix des libraires avec La Mort du roi Tsongor en 2002, puis le prix Goncourt pour son roman Le Soleil des Scorta, en 2004. En 2019, il reçoit le prix du livre européen pour Nous, l’Europe banquet des peuples.
Ses romans : Cris, 2001 – La Mort du roi Tsongor, 2002 ( prix Goncourt des lycéens et le prix des libraires) – Le Soleil des Scorta, 2004 (prix Goncourt ; prix du jury Jean-Giono) – Eldorado, 2006 – La Porte des Enfers, 2008 – Ouragan, 2010 – Pour seul cortège, 2012 – Danser les ombres, 2015 – Écoutez nos défaites, 2016 – Salina, les trois exils, 2018 – Paris, mille vies, 2020 – Chien 51, 2022
Recueils de nouvelles : Dans la nuit Mozambique, 2007 (recueil de quatre nouvelles) – Les Oliviers du Négus, 2011 ( recueil de quatre nouvelles) – Essai : Nous, l’Europe banquet des peuples, 2018 – La dernière nuit du monde, 2021
Théâtre : Caillasses (2012) Médée Kali – Sodome, ma douce (2019)
( les titres en italique non cliquables ont été lus avant la création du blog)
Actes Sud – 20.08.2008 – 266 pages / Babel – 06.2010 – 272 pages /J’ai lu – 11.09.2013 – 283 pages
Résumé :
Au lendemain d’une fusillade à Naples, Matteo voit s’effondrer toute raison d’être. Son petit garçon est mort. Sa femme, Giuliana, disparaît. Lui-même s’enfonce dans la solitude et, nuit après nuit, à bord de son taxi vide, parcourt sans raison les rues de la ville. Mais, un soir, il laisse monter en voiture une cliente étrange qui, pour paiement de sa course, lui offre à boire dans un minuscule café.
Matteo y fera la connaissance du patron, Garibaldo, de l’impénitent curé don Mazerotti, et surtout du professeur Provolone, personnage haut en couleur, aussi érudit que sulfureux, qui tient d’étranges discours sur la réalité des Enfers. Et qui prétend qu’on peut y descendre… Ceux qui meurent emmènent dans l’Au-Delà un peu de notre vie, et nous désespérons de la recouvrer, tant pour eux-mêmes que pour apaiser notre douleur.
C’est dans la conscience de tous les deuils — les siens, les nôtres — que Laurent Gaudé oppose à la mort un des mythes les plus forts de l’histoire de l’humanité. Solaire et ténébreux, captivant et haletant, son nouveau roman nous emporte dans un « voyage » où le temps et le destin sont détournés par la volonté d’arracher un être au néant.
Le Point De Vue Des Éditeurs : Ceux qui meurent emmènent dans l’Au-Delà un peu de notre vie, et nous désespérons de la recouvrer, tant pour eux-mêmes que pour apaiser notre douleur. C’est dans la conscience de tous les deuils – les siens, les nôtres – que Laurent Gaudé oppose à la mort un des mythes les plus forts de l’histoire de l’humanité.
Mon avis : Quand le fils de Matteo et Giuliana, Pippo, est tué par une balle perdue, Giuliana fait une demande à Matteo : soit il lui ramène son fils soit il venge sa mort en tuant le coupable. Et c’est ce que Matteo va s’employer à faire, simplement parce que sa femme le lui a demandé… Pour cela, il lui faudra traverser le fleuve des larmes, composé d’ombres, d’âmes gémissantes qui s’accrochent à la vie bien que le fleuve fasse tout pour les entrainer vers la mort, en leur montrant le coté négatif de la vie. Mais aller chercher son fils dans le monde souterrain ne signifie pas forcément pouvoir remonter à la surface avec lui…
Laurent Gaudé nous entraine à Naples, dans un troquet où le café est spécial, nous fait franchir les portes de l’enfer, avec pour compagnons de route, le cimetière, la mort, le deuil, des personnages qui hantent les ténèbres … et une question : peut-on aimer suffisamment pour arracher un être du néant, aller le chercher au pays des morts…
Naples, parce que traditionnellement les Enfers sont sous la Grèce et l’Italie…
Matteo parviendra-t-il à effectuer la catabase qu’il souhaite entreprendre, à l’image d’Orphée descendant chercher Eurydice ? Parviendra-t-il à ramener à la vie son fils ?
Le livre est à la fois le récit de la vie du père et celui de la vie du fils. Et au final ils ne seront pas trop de deux pour remplir les deux volets de la demande de Giuliana…
Mais au-delà de cette descente aux enfers, il y a toute la relation entre les vivants et les morts, les rapports qui persistent entre les deux mondes, les esprits qui restent connectés, l’absence, la fusion, les liens … L’amour peut-il transcender la mort ? Un livre sur le deuil, sur la perte, sur le désespoir mais aussi un livre sur l’amour entre homme et femme, entre parents et enfant et … entre enfant et parents… Un livre sur les ténèbres mais aussi sur la lumière… une fois encore Gaudé est un poète et un conteur fabuleux .
Alors je vous encourage vivement à vous faire servir un petit café qui corresponde à votre état d’esprit et à pénétrer dans ce monde fantastique et extra-ordinaire …
Extraits :
Sa voix s’est effacée. Il me semble parfois me souvenir de quelques expressions – mais sont-ce vraiment les siennes ou les ai-je reconstruites, après toutes ces années, pour meubler le vide de son absence ?
Je reviens des Enfers. Qu’y a-t-il à craindre de plus que cela ? La seule chose qui puisse venir à bout de moi, ce sont mes propres cauchemars. La nuit, tout se peuple à nouveau de cris de goules et de bruissements d’agonie. Je sens l’odeur nauséeuse du soufre. La forêt des âmes m’encercle. La nuit, je redeviens un enfant et je supplie le monde de ne pas m’avaler. La nuit, je tremble de tout mon corps et j’en appelle à mon père. Je crie, je renifle, je pleure. Les autres appellent cela cauchemar, mais je sais, moi, qu’il n’en est rien. Je n’aurais rien à craindre de rêves ou de visions. Je sais que tout cela est vrai. Je viens de là. Il n’y a pas de peur autre que celle-là en moi. Tant que je ne dors pas, je ne redoute rien.
Je sais faire les cafés pour chaque désir, chaque humeur. Violent comme une gifle pour se réveiller le matin. Enrobé et serein pour faire passer un mal de crâne. Onctueux pour appeler à soi la volupté. Robuste et tenace pour ne plus dormir. Le café pour attendre. Le café pour se mettre hors de soi. Je dose comme un alchimiste. J’utilise des épices que le palais ne sent pas mais que le corps reconnaît.
Nous pénétrons dans le cimetière. Les pierres tombales ont des silhouettes de vaisseaux étranges.
Ils étaient déjà tellement devenus des ombres l’un pour l’autre que la simple attention avec laquelle il avait posé et répété sa question – ce mélange d’empressement inquiet et de douce sollicitude – la bouleversa.
Il but pour ne penser à rien et personne, autour de lui, ne rompit ce silence installé ici depuis si longtemps qu’on avait l’impression de le voir flotter dans l’air comme des nappes de poussière.
Il était temps de partir et c’était tout. Il n’y avait rien à dire. Lui faire des reproches n’avait aucun sens. Ils ne pouvaient plus rien l’un pour l’autre, que s’écorcher de leur présence commune, de leurs souvenirs douloureux et de leurs pleurs secrets.
Le monde est à l’envers, Matteo. Et je pensais que, pour moi, tu aurais su le redresser. Mais non, les pères n’ont plus de force. Les fils meurent. Il ne reste que nous, les mères endeuillées, qui pleurons avec rage sur ce qui nous a été volé.
La société d’aujourd’hui, rationaliste et sèche, ne jure que par l’imperméabilité de toute frontière mais il n’y a rien de plus faux… On n’est pas mort ou vivant. En aucune manière… C’est infiniment plus compliqué. Tout se confond et se superpose… Les Anciens le savaient… Le monde des vivants et celui des morts se chevauchent. Il existe des ponts, des intersections, des zones troubles… Nous avons simplement désappris à le voir et à le sentir…”
“Vous n’avez jamais l’impression que ces êtres-là vivent en vous ?… Vraiment… Qu’ils ont déposé en vous quelque chose qui ne disparaîtra que lorsque vous mourrez vous-mêmes ?… Des gestes… Une façon de parler ou de penser… Une fidélité à certaines choses et à certains lieux… Croyez-moi. Les morts vivent. Ils nous font faire des choses. Ils influent sur nos décisions. Ils nous forcent. Nous façonnent.
Nous ne sommes parfois plus si vivants que cela. En disparaissant, les morts emportent un peu de nous-mêmes. Chaque deuil nous tue. Nous en avons tous fait l’expérience. Il y a une joie, une fraîcheur qui s’estompe au fur et à mesure que les deuils s’accumulent… Nous mourons chaque fois un peu plus en perdant ceux qui nous entourent…”
chaque mort, en disparaissant, emmène avec lui un peu des vivants qui l’entourent.
One Reply to “Gaudé, Laurent « La porte des enfers » (2008)”
Si on descend aux enfers, un choix s’impose : doit-on ou faut-il fuir à tout prix l’eau du Léthé qui efface tout de la mémoire, les bons souvenirs comme les pénibles ? Je connais ma réponse…
Le sujet est tentant. Mais pas avant le 1er février, date de ma retraite effective.