Berest, Claire & Berest, Anne «Gabriële» (RL2017)
Autrices :
Arrière-petites-filles de Francis Picabia et de Gabrièle Buffet-Picabia
Berest, Claire : née le 14 juillet 1982 à Paris1, est une écrivaine française. Diplômée d’un Institut universitaire de formation des maîtres (IUFM), elle enseigne quelque temps en ZEP avant de démissionner
Ecrits : Mikado (2011) – L’orchestre vide (2012) – La lutte des classes : Pourquoi j’ai démissionné de l’Éducation nationale (2012) – Enfants perdus (2014) – Bellevue (2016) – Gabriële (2017) – Rien n’est noir (2019) – Artifices (2021)
Berest, Anne : née le 15 septembre 1979 à Paris, est une romancière et scénariste française, fille de la linguiste Lélia Picabia et de Pierre Berest, ingénieur général des mines, diplômé de l’École Polytechnique et de l’École des Mines de Paris. Elle a deux sœurs dont l’écrivaine Claire Berest.
Ecrits : La Fille de son père (2010) – Les Patriarches (2012) – Sagan 1954 (2014) – Recherche femme parfaite (2015) – Gabriële (2017) – La Visite, suivi de Les Filles de nos filles, théâtre (2020) – La carte postale (2021)
Editions Stock La bleue – 23.08.2017- 440 pages / Le Livre de Poche – 22.08.2018- 480 pages – Prix Grands Destins (Le Parisien Magazine) – Grand prix de l’héroïne Madame Figaro – Biographie 2018
Résumé :
Septembre 1908. Gabriële Buffet, une jeune femme de vingt-sept ans, indépendante, musicienne, féministe avant l’heure, rencontre Francis Picabia, un peintre à succès et à la réputation sulfureuse. Il avait besoin d’un renouveau dans son œuvre, elle est prête à briser les carcans : insuffler, faire réfléchir, théoriser. Elle devient « la femme au cerveau érotique » qui met tous les hommes à genoux, dont Marcel Duchamp et Guillaume Apollinaire.
Entre Paris, New York, Berlin, Zurich, Barcelone, Etival et Saint-Tropez, Gabriële guide les précurseurs de l’art abstrait, des futuristes, des Dada, toujours à la pointe des avancées artistiques. Ce livre nous transporte au début d’un XXe siècle qui réinvente les codes de la beauté et de la société.
Mon avis :
Ce livre écrit par deux femmes, les deux sœurs Berest est une biographie de leur arrière-grand-mère, Gabriële Buffet- Picabia – épouse du peintre Francis Picabia. Il a pour titre le prénom qu’elle s’était choisie (de fait son troisième prénom qu’elle orthographiera de différentes manières au court de sa vie), une femme forte, féministe, rebelle, au destin hors-normes, née le 21 novembre 1881 à Fontainebleau et morte à Paris le 7 décembre 1985, à l’âge de104 ans.
traversée du XXème siècle en compagnie d’une femme extra-ordinaire, plongée dans le monde de l’art, de la peinture, évolution de la représentation picturale…
Partie dans la vie pour être musicienne – elle sera la première femme à être autorisée à suivre une classe de composition de musique – elle rencontrera Francis Picabia qui est un ami de son frère Jean Buffet et sa vie en sera chamboulée ; de fait elle abandonnera sa carrière de musicienne. Picabia est un homme très riche, ingérable, passionné de voitures, que l’on pourrait qualifier d’atteint de folie maniaco-dépressive ; Picabia qui à la fin de sa vie sera poète en plus d’être peintre….
Elle mettra son intelligence au service de la carrière de peintre de celui qu’elle a épousé, Francis Picabia. Elle fréquente des personnes du monde de l’art, est active dans la résistance…
C’est juste un festival de rencontres, un tourbillon de vie, une femme d’exception entourée d’hommes d’exception. Un couple qui est fusionnel niveau artistique et intellectuel, qui aura des amitiés fortes (toujours avec des hommes). Gabriële n’aura qu’une seule amie femme : Elsa Schiaparelli.
Les principaux amis du couple : Marcel Duchamp, Lamartine. Gabriële, la femme d’un seul homme tant qu’il sera en vie. Le couple aura 4 enfants… mais pour le couple, les enfants cela se fait et puis cela se confie, devient quantité négligeable… Picabia ne sera jamais fidèle ; comme le dira Gabriële, sa fidélité sera dans l’esprit en non dans la chair, leur entente est métaphysique et non physique.
Un nombre impressionnant d’artistes dans leur entourage : des peintres, des auteurs, des poètes… Au fil des pages on croisera ou évoquera : Alfred Sisley, Lénine, Pablo Picasso, May Jacob, Gabriel Fauré, Saint-Saëns, Prost, Debussy, Stéphane Mallarmé, Rubinstein, César Franck, Vincent d’Indy, Rodin, Edgard Varèse, Geaorge Braque, Marie Laurencin, Tristan Tzara, Berthe Morisot, Rimbaud, Gauguin, Kandinsky, Frantisek, Matisse, Cocteau, le groupe de Puteaux, Léger, Brancusi, Miro, André Gide, le douanier Rousseau, Gris, Derain, Paul Fort, Kipka, Man Ray, Stravinsky, Aragon, Chagall, Suzanne valadon, le couple Delaunay, Robert Desnos, Maurice Ravel, André Breton, Jean Arp… et tous ceux/celles que j’oublie…
On les fréquentera à Paris, Berlin, Cassis, St Tropez, New-York, Hythe (Angleterre) , Etival (Jura) et ailleurs…
Les Picabia (famille espagnole exilée à Cuba au XVIIème siècle) n’auront de cesse de craquer les codes, de remettre en question tous les principes artistiques, de mixer la musique et la peinture et c’est juste passionnant.
Cette biographie de leur arrière-grand-mère écrite par les sœurs Berest à quatre mains retrace principalement sa vie alors qu’elle était mariée à Francis Picabia. Elle retrace aussi la vie et la carrière artistique de Picabia.
La vie de Gabriële après la disparition de son mari est retracée dans les très grandes lignes (on en apprend davantage dans le roman « La carte postale »). J’étais déjà tombée sous le charme d’Anne Berest l’an passé avec son roman « la Carte postale », je suis retombée sous le charme des deux sœurs Berest avec cette biographie.
Extraits :
– Je veux peindre des formes et des couleurs délivrées de leurs attributions sensorielles. Une peinture située dans l’invention pure qui recrée le monde des formes suivant son propre désir et sa propre imagination. Depuis les temps les plus anciens jusqu’à l’époque moderne, l’artiste s’est efforcé, avec succès, de reproduire ce que tout homme d’intelligence moyenne pouvait d’emblée reconnaître : le modèle original. Je cherche, quant à moi, tout autre chose.
Il vient de rencontrer la femme la plus intelligente qu’il lui ait été donné de connaître, « intelligence faite d’instinct » qu’il oppose à celle « que l’on rencontre partout, dans les réunions mondaines, les concerts, les couloirs de théâtre et les salles de conférence… »
Il faudra donc qu’elle change ses rêves.
Ou qu’elle change l’époque.
Pablo Picasso : « Je ne peins pas ce que je vois, je peins ce que je pense » – au même moment où Picabia n’aura de cesse d’affirmer : « Je peins ce que j’ai dans la tête. »
il faut se rappeler ce que représente le fait d’être une jeune femme comme Gabriële dans la société de 1898 : elle n’a pas le droit de porter un pantalon, sauf si elle tient dans sa main un vélo ou un cheval, elle n’a pas le droit de travailler sans l’autorisation d’un mari, elle n’a pas le droit d’exercer certaines professions, d’enseigner le latin, le grec ni la philosophie ; elle n’a pas le droit d’obtenir seule un passeport, de voter, ni de faire de la politique, de disposer librement de son corps, ni d’un salaire.
Cela pose des questions vertigineuses, bouleversantes pour la jeune femme : à quoi servent les notes de musique ? Peut-on jouer avec d’autres instruments ? Et même avec d’autres choses que des instruments ? Tous les sons produisent-ils de la musique ? Autant de questions que la peinture moderne se posera plus tard : à quoi sert la couleur ? Peut-on la changer, déranger les gammes chromatiques ? Peut-on peindre avec d’autres matériaux que la peinture ? Tous les sujets peuvent-ils être représentés dans un tableau ?
Comment ne pas être différente dans un pays où tout est singulier ? C’est l’avantage d’être une inconnue dans une ville étrangère, on peut se réinventer.
– Qui est né pour créer devra préalablement accepter la grande responsabilité de se débarrasser de tout ce qu’il a appris.
Au lieu de parler de « musique », ils parlent de « sons organisés », au lieu de s’affirmer musiciens, ils préfèrent dire qu’ils travaillent les « rythmes », les « fréquences » et les « intensités ».
– La virtuosité sans musique est vaine. Toute note, tout son, doit vivre, chanter, exprimer la douleur ou la joie. Soyez peintre, même dans les « traits » qui ne sont qu’une suite de notes qui chantent rapidement.
Cette femme déplace des montagnes pour les autres, mais il lui manque la force de pousser une porte pour elle-même.
Avec Caoutchouc, fruit de la pensée musicienne de Gabriële, Francis Picabia peint l’une des premières « peintures abstraites ». Si ce n’est, selon certains historiens, la « première œuvre abstraite de l’histoire de l’art ».
Ils partagent en effet cette intuition que l’art ne peut se réduire à une conception de la vie mais EST la vie.
Gabriële possède cette capacité à vivre chaque journée comme une potentielle aventure.
– Ces toiles étranges que vous voyez sont liées aux progrès techniques, explique-t-elle. Parce que la photographie, devenue le cinéma, a enlevé à la peinture son rôle le plus important. Autrefois, la peinture avait pour mission de garder l’image de la vie des hommes dans le temps. Aujourd’hui, tout est différent !
Picabia déclare : « Je traduis simplement en couleurs ou en ombres les sensations que les choses font naître en moi comme s’il s’agissait de composer de la musique symphonique. »
« Le but de l’art est de nous faire rêver, tout comme celui de la musique, car il exprime un état d’âme projeté sur une toile, qui suscite des sensations identiques chez le spectateur. »
– Vos mythes sont la vitesse, l’espace, l’efficacité fonctionnelle, les machines. Alors que les nôtres ont leurs racines dans la mythologie et l’imagination.
« un génie, la différence entre le talent et le génie, c’est un apport inconnu, une chose qui s’impose, même si vous ne la comprenez pas. C’est très mystérieux : c’est quelque chose en dehors de l’homme »
Là est la force de Gabriële. Elle ne fait pas la morale, elle ne fait pas la gueule, elle ne punit pas. Mais elle puise en elle-même une force de vie, elle rebondit, fait des pas de côté, se réinvente.