Teulé, Jean « Crénom, Baudelaire ! » (2020)

Teulé, Jean « Crénom, Baudelaire ! » (2020)

Auteur : né le 26 février 1953 à Saint-Lô (Manche), est un romancier et auteur de bande dessinée français, qui a également pratiqué le cinéma et la télévision.
Ses romans :  Rainbow pour Rimbaud 1991. – L’Œil de Pâques1992 – Balade pour un père oublié, Julliard, 1995 – Darling, 1998 – Bord cadre 1999 – Longues Peines 2001 – Les Lois de la gravité 2003. – Ô Verlaine ! 2004 – Je, François Villon, 2006 – Le Magasin des suicides 2007 – Le Montespan 2008 – Mangez-le si vous voulez, 2009 – Charly 9 2011 – Fleur de tonnerre 2013 – Héloïse ouille ! 2015 – Comme une respiration…, 2016 – Entrez dans la danse 2018 – Gare à Lou ! 2019 – Crénom, Baudelaire ! 2020 – Azincourt par temps de pluie 2022
(en bleu ceux qui sont commentés sur le blog – en italique ceux qui ont été lus avant la création du blog)

Paru le : 07/10/2020 – 432 pages (Editions Mialet Barrault) / J’ai lu – 13.10.2021 – 438 pages – Prix Maison de la Presse

Résumé :

Si l’œuvre éblouit, l’homme était détestable. Charles Baudelaire ne respectait rien, ne supportait aucune obligation envers qui que ce soit, déversait sur tous ceux qui l’approchaient les pires insanités. Drogué jusqu’à la moelle, dandy halluciné, il n’eut jamais d’autre ambition que de saisir cette beauté qui lui ravageait la tête et de la transmettre grâce à la poésie. Dans ses vers qu’il travaillait sans relâche, il a voulu réunir dans une même musique l’ignoble et le sublime.

Il a écrit cent poèmes qu’il a jetés à la face de l’humanité. Cent fleurs du mal qui ont changé le destin de la poésie française.

 

Mon avis :

Un an et demi après le décès du père du petit Charles alors âgé de 5 ans, se sent trahi par sa mère qui se remarie. Lui qui avait été heureux d’avoir sa mère pour lui tout seul au trépas de son père, voici qu’un autre vient lui voler son bien. Blessure qui le transformera en un réfractaire à l’amour et l’entrainera dans toutes les exagérations, les turpitudes, les excès : Baudelaire c’est la fuite perpétuelle, pour se fuir lui-même..
Après avoir été chassé du collège, son beau-père le fait embarquer de force sur un paquebot direction Calcutta…Escale à L’île Maurice puis dernière étape de son périple : demi-tour à l’Ile Bourbon (La Réunion )… Ces quelques mois de voyage sont un pur cauchemar : il s’ennuie, trouve la mer monotone, ne fréquente pas les autres passagers… Mis à part sa rencontre avec l’Albatros – capturé par l’équipage pour en faire du pâté – ; l’albatros dans lequel il va se reconnaître, prisonnier, incapable de s’échapper, de s’envoler vers sa propre existence.  L’albatros qui lui inspirera son poème (« Spleen et Idéal ») , tout comme d’autres événements de sa vie nourriront son œuvre  ( la mort de la servante de son enfance Mariette.. « La servante au grand coeur dont vous étiez jalouse »
Retour à Paris pour y attendre sa prochaine maturité, son passage à l’âge adulte, son héritage qui lui permettra enfin de se libérer du joug du beau-père.
Et c’est parti !!! Enfin on avait déjà eu un aperçu de la manière d’appréhender la vie de Charles Baudelaire avant mais là, entre lui et Jean Teulé , c’est le festival !!!! Baudelaire c’est la désespérance, c’est la vie en perdition, le haschich, l’opium, l’alcool… C’est l’éternel nomade, le SDF qui s’enfuit dès qu’il est poursuivi par ses créanciers… C’est celui qui a « usé et abusé de tout ». C’est la rencontre avec sa muse, Jeanne Duval… (alias Berthe, Lemer, Prosper…) égérie de Baudelaire qui traversera toute l’existence du poète, dans les moments lumineux et les moments noirs, deux êtres indissociables, dans l’amour, la luxure, la maladie et jusqu’en dans l’ombre de la mort… On va croiser les personnages de l’époque : Gustave Doré, Alfred de Musset, Hector Berlioz, les frères Goncourt, Barbey d’Aurevilly, Ingres, Eugène Delacroix, Gérard de Nerval, Edouard Manet, Flaubert, Victor Hugo, le photographe Nadar, Courbet, Du Camp, Théophile Gautier
Et on va suivre la naissance du recueil « Les Fleurs du Mal » Baudelaire est aussi un perfectionniste comme on peut le voir lors de la mise en page de son livre avant qu’il accepte de signer le bon à tirer… Création-édition- procès.. J’ai trouvé superbe que Teulé pousse la description au point de mettre les images des corrections rédigées par Baudelaire, le bon à tirer signé de sa main, un  florilège des critiques à la sortie des Fleurs du mal qui aussi une révélation pour moi ! « Ce livre est un hôpital ouvert à toutes les démences de l’esprit » ….

Le moins que l’on puisse dire c’est que lors de son voyage à Bruxelles il ne va pas se gêner pour étriller ces pauvres belges… Il insulte, choque, maltraite, agonit son – rare – public d’injures.  Clin d’œil à ma sœurette qui habite en Belgique et qui me l’a offert… Elle n’est pas rancunière…
Et avec Teulé, comme toujours tout cela devient drôle… J’ai adoré la scène chez le barbier ou Baudelaire veut tour à tour raccourcir, rallonger, onduler, friser les cheveux… sans parler du traitement des favoris et des moustaches…
Car il faut bien le dire, Teulé c’est truculant, jubilatoire, sarcastique, jouissif, politiquement non-correct, outrancier, surprenant, picaresque, drôle, hors-norme et en même temps extrêmement documenté… en un mot « Hénaurme !!!! »  Baudelaire, en deviendrait presque sympathique… j’ai dit presque…
Et maintenant à vous d’explorer la vie de ce poète de génie…
Petite précision : il s’agit d’une biographie certes romancée mais tout est vrai..
Baudelaire rejoint dans ma bibliothèque les trois autres poètes maudits auxquels Teulé a consacré un ouvrage et les œuvres de Baudelaire. Et la Chevelure (Spleen et idéal – Les fleurs du Mal – XXIII – 1861) reste encore et toujours mon poème préféré…

Extraits :

— Mon mari est l’ordre, le respect, la hiérarchie. Toi, tu es le désordre, l’insolence, la licence.

J’ai égaré le souvenir de mon nom et ma date de naissance dans le linge sale de ma vie privée.

Quoique ayant un nez délicat aux exquises narines incisées, Charles sait bien qu’en fait Jeanne n’est pas belle, elle est mieux que ça, elle est surprenante. Elle déclenche des visions de palmiers, une Asie somnolente, une Afrique langoureuse, au poète qui maintenant se lime les ongles en la contemplant.

Donc, dans la trame de ce que vous rimez, vous mêlez des fils de soie et d’or à des fils de chanvre rudes et forts comme en ces étoffes d’Orient à la fois splendides et grossières où les plus délicats ornements courent avec de charmants caprices sur un poil de chameau ou sur une toile âpre au toucher comme la voile d’une barque.

Mais Baudelaire, Dante dégénéré, vous ferez parler de vous.

Sans compter que j’y mens comme un arracheur de dents, ces Fleurs du Mal sont presque bien et elles resteront comme témoignage de mon dégoût et de ma haine de toutes choses.

Enivrez-vous
Il faut être toujours ivre. Tout est là : c’est l’unique question. Pour ne pas sentir l’horrible fardeau du Temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve.
Mais de quoi ? De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise. Mais enivrez-vous.
(– Le Spleen de Paris, XXXIII)

— Vous ne comprenez donc pas, crâne neigeux, que tout dans cet ouvrage doit être irréprochable : les mots, leur musique, la ponctuation, la forme des lettres, l’interligne, la mise en page, tout ! Ce n’est que par un soin appliqué, minutieux, opiniâtre, qu’on arrive à donner aux œuvres une valeur définitive !

« Du beau ! Du beau ! » Arrivant sur une avenue près d’un lycée, il est surpris de découvrir en plusieurs endroits – murs, palissades de chantier, poteaux – le même graffiti répété par de jeunes mains au dessin des lettres scolaire. Tracé grâce à des craies de couleur destinées aux tableaux noirs des classes, le poète lit en bleu, en rose, en jaune, en vert, comme un réconfort :
C’est beau, de l’air !

— J’ai plus de souvenirs que si j’avais mille ans. Je suis un meuble à tiroirs encombré de bilans, de vers, de billets doux, de procès, de romances, avec des cheveux roulés dans des quittances. Je suis un vieux boudoir plein de roses fanées. Tout cela prend les proportions de l’immortalité.

Mais qu’importe l’éternité de la damnation à qui a trouvé dans une seconde l’infini de la jouissance ?

6 Replies to “Teulé, Jean « Crénom, Baudelaire ! » (2020)”

  1. Je me permets d’être très réservé sur Sex and drug ! Sexe oui, drogue peu probable. S’il a consommé du hashish pour voir ce dont il s’agissait, il a démoli les hashishiens en disant que la consommation de drogue nuisait à la créativité. Il aimait le vin (à consommer avec modération : les frontières de l’ivresse ne doivent pas être franchies. L’euphorie oui, pas l’abrutissement !)

    1. il semblerait qu’il consommait quand même de la « confiture verte » et du laudanum lui ait été prescrit ( et qu’il ait forcé sur les doses) mais peut-être pas autant que ne le laisse entendre Teulé…

      1. Ce n’est pas ce qui ressort des biographies et des docs, sans compter ses propres écrits.
        Le laudanum pour son estomac. Il peut avoir surdosé pour soulager ses douleurs Entre autres choses, il avait la syphilis, héritée de Jeanne Duval.

        1. oui bien sûr la syphilis.
          On connait Teulé pour ses exagérations même si apparemment tout est vrai . Ne pas oublier que c’est publié comme bio romancée..

  2. Carrefour de l’Europe, mon plat petit pays semble souvent dénigré par les Français célèbres du XIXe siècle, et après aussi, qui y venaient volontairement ou non, en exil ou non…
    Maintenant, il suffit de relire les sketches d’humoristes français pour s’en rendre compte…
    Et vu tout ce qu’on s’est pris, les petits Belges ont une belle cuirasse alliée à un certain sens de l’auto-dérision
    Alors aucune rancune

    Concernant les assuétudes de Baudelaire, n’oublions pas que la « fée verte » lui a certainement joué des tours, surtout s’il l’a consommée abusivement, tout en prenant le laudanum prescrit pour lutter contre quelques symptômes provoqués par la syphilis (https://www.nouvelobs.com/rue89/rue89-rue89-culture/20110129.RUE0537/le-spleeff-de-paris-baudelaire-pas-si-drogue-qu-on-le-croit.html#).
    Quant à cette maladie, elle aussi peut provoquer des troubles occulaires, migraines persistantes, détérioration mentale, paralysie, ravager les neurones…
    Voyez Maupassant qui eut même des hallucinations…

    Contente que ce Teulé t’ait plu, Soeurette !
    Je pense que je lirai sur sa version d’Azincourt (l’Histroire me parle toujours plus que la poésie… ), dès que ma pile aura un peu diminué…

  3. L’absinthe possiblement, mais avec une propension plus avouée pour le vin, alcool du pauvre, « pour ne pas sentir l’horrible fardeau du Temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre ».
    Dans Le vin du chiffonnier, il donne une image moins glorieuse de l’ivresse, même si demeure l’idée du Spleen de Paris ci-dessus :
    « Au coeur d’un vieux faubourg, labyrinthe fangeux
    Où l’humanité grouille en ferments orageux,

    On voit un chiffonnier qui vient, hochant la tête
    Butant, et se cognant aux murs comme un poète, »

    Se cogner aux portes n’est pas glorieux et comment maîtriser son art si on va trop loin, à l’instar de Musset, Verlaine et Rimbaud ? Et je passe sur les peintres, car on ignorait alors les méfaits de l’absinthe.
    De Nerval allait prendre « un verre d’absinthe au café vachette » à 3h ½ de l’après-midi. Les soupirs de l’absinthe et l’écrit de la Fée ? (humour).
    Il a peut-être noyé son chagrin après la mort de sa bienaimée Jenny Collon en 1842…

    Baudelaire a été empêché de jouir de son héritage, tel un enfant mineur. Certes, à cause de ses dépenses excessives selon son général de beau-père. Cependant, il a ainsi raté une occasion d’importance pour lui :
    « Il y a quelques mois, j’ai découvert chez un marchand du passage des Panoramas un tableau de mon père (une figure nue, une femme couchée voyant deux figures nues en rêve). Je n’avais pas du tout d’argent, pas même pour donner des arrhes, et le torrent insupportable des futilités journalières m’a depuis fait négliger cela. » (Correspondance I, Paris, Gallimard, coll. « La Pléiade », 1993, p. 436).
    Cette angoisse permanente des créanciers a certainement joué sur la santé de son estomac, comme son humeur spleenétique.
    Mais Teulé semble brosser un portrait qui semble loin des biographies récentes et plus proches de l’imaginaire post 1968, où on peignait un reflet imaginaire des excès du hashish et du LSD afin de se créer de prestigieux prédécesseurs.

Répondre à Jean-Pierre Berthet Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *