Ellory, R.J. « Seul le silence » (2008) 601 pages
Auteur: R. J. Ellory, de son nom complet Roger Jon Ellory, né le 20 juin 1965 à Birmingham, est un écrivain britannique, auteur de romans policiers et de thrillers.
Romans : Papillon de nuit – Les Fantômes de Manhattan – Vendetta – Omerta – Seul le silence – Les Anonymes – Les Assassins – Les Anges de New-York – Mauvaise étoile – Un cœur sombre – Chicagoland – Les Neuf Cercles – Le Carnaval des ombres – Le Chant de l’assassin – Kings of America – Le Jour où Kennedy n’est pas mort
Sonatine – 28.08. 2008 – 504 pages / Livre de poche – 26.08.2009 – 601 pages (« A Quiet Belief in Angels, 2007 » traduit par Fabrice Pointeau)
– PrixBibliObs / Le Nouvel Observateur du roman noir 2009 – catégorie roman étranger
– Prix des lecteurs du Livre de Poche / le choix des libraires 2010
Résumé:
Joseph a douze ans lorsqu’il découvre dans son village de Géorgie le corps d’une fillette assassinée. Une des premières victimes d’une longue série de crimes.Des années plus tard, alors que l’affaire semble enfin élucidée, Joseph s’installe à New York. Mais, de nouveau, les meurtres d’enfants se multiplient…Pour exorciser ses démons, Joseph part à la recherche de ce tueur qui le hante.Avec ce récit crépusculaire à la noirceur absolue, R. J. Ellory évoque autant William Styron que Truman Capote, par la puissance de son écriture et la complexité des émotions qu’il met en jeu.
Mon avis:
Depuis le temps que je me disais Ellory ! « À lire absolument! » Mais comment j’ai attendu aussi longtemps. Mais le point positif est : j’ai toute son oeuvre à découvrir ! Et je ne vais pas m’en priver !
Un mega coup de coup de coeur pour ce roman qui est plus un roman noir , plus qu’un thriller.. qui a tout ce que j’aime, le tout accompagné par une écriture que j’ai beaucoup appréciée. Un roman psychologique, original, profond, qui va laisser un petit fantôme dans ma mémoire. Un livre sur le passé, sur la peur, sur les fantômes qui nous hantent, sur l’importance de la lecture et de l’écriture, une vie faite de drames et d’angoisses.
Tout commence dans une petite ville de Georgie avec le meurtre de plusieurs petites filles, sauvagement agressées. Les habitants sont sur les dents et les enfants ont peur. Parmi les jeunes, un groupe d’ados va conclure un pacte de sang pour protéger les petites filles … Mais le fait de se déclarer « anges gardiens » sera-t-il suffisant?
C’est un roman qui reprend le cours de l’existence d’un homme, à la fois narrateur et partie… Il va vivre sa vie et en faire un roman… C’est un roman mais c’est surtout une vie : la vie de Joseph Vaughan, qui va aller de drame en drame, la mort de son père, la maladie de sa mère, ses amours contrariées (c’est le moins qu’on puisse dire), les galères qu’il va devoir affronter. Ce qui va le sauver ? La lecture et l’écriture… Une fois encore la démonstration que l’enfance marque un être pour toute sa vie.
Joseph est un personnage émouvant, qui vit avec les fantômes du passé, le besoin de retrouver le meurtrier des petites filles, un être déraciné, un homme en fuite, mais un homme qui, en premier lieu , se fuit lui-même… Alors la Georgie ou New-York… au final il est bien difficile de savoir où il se sentira bien..
Le contexte historique est également un poids supplémentaire : la guerre mondiale en Europe, qui finit par rejoindre les Etats-Unis. La violence est partout…
L’enquête est bien présente mais ce n’est pas ce que je retiens du livre.
Un livre qui sonne, qui résonne. Des réflexions sur la vie qui font réfléchir, des descriptions qui font vibrer. L’arrivée à New-York de Joseph est vibrante, on a l’impression d’être l’infiniment petit qui rencontre l’infiniment grand.. on le vit, on le subit et en même temps on emmagasine une énergie folle. Brooklyn qui fait peur par sa bestialité, mais qui motive et enveloppe en même temps..
Un texte qui parle de la Mort, de la vie, de sentiments, de l’importance de la lecture, de l’intolérance, du racisme, de la défiance, de la manipulation, de la folie, de la maladie, des rapports humains, des sentiments, de la peur, de l’amour, de l’injustice, de la prison, de la trahison, de l’amitié, la solitude, la culpabilité, la trahison… et qui restera dans ma mémoire parmi les récits qui s’impriment.
Extraits:
La Mort vint ce jour-là. Appliquée, méthodique, indifférente aux us et aux coutumes ; ne respectant ni la Pâque, ni la Noël, ni aucune célébration ou tradition. La Mort vint, froide et insensible, pour prélever l’impôt de la vie, le prix à payer pour respirer.
Ma mère et mon père… mon père me disait que c’était l’une des choses les plus importantes. Il disait que même si vous passiez toute votre vie dans une petite cabane dans une ville minuscule, vous pouviez voir le monde entier en imagination si vous saviez lire.
Nous ne sommes plus à l’Âge des Ténèbres. Nous ne sommes pas des ignorants. Adolf Hitler est un Blanc, tout comme Genghis Khan était mongol et Caligula romain. Ce n’est pas une question de nationalité, ni de couleur, ni de religion… c’est à chaque fois juste une question d’homme.
Et les jours dont je me souviens sont partis. Ils se sont fondus en silence dans un passé indistinct. Pas seulement partis, mais oubliés.
Tu veux écrire, alors écris, mais rappelle-toi toujours d’écrire la vérité telle que tu la vois, et non comme les autres veulent qu’on la voie.
Ça s’appelle l’imagination, et l’imagination est un talent vital et nécessaire dans ce monde. Chaque grande invention est née parce que des gens étaient capables d’imaginer des choses. Vous devez entretenir et cultiver votre capacité à imaginer. Vous devez laisser votre tête s’emplir des images des choses auxquelles vous pensez et vous les décrire à vous-mêmes. Vous devez faire semblant… »
Une histoire est comme un message avec un sens différent pour chaque personne qui le reçoit.
Écrire peut servir à exorciser la peur et la haine ; ça peut être un moyen de surmonter les préjugés et la douleur.
Mais la vraie peur, c’était autre chose. Elle arrivait tout aussi vite, et s’installait comme si on l’avait invitée à rester. Il semblait parfois que la Mort nous emporterait tous, tous sans exception, et qu’elle avait simplement commencé par les enfants parce qu’ils n’avaient pas la force de lui résister.
« Les mots ne sont pas des actes. Les mots sont aussi vite oubliés qu’ils sont prononcés. »
Elle le pensait sincèrement, mais ce n’était pas vrai. Les mots n’étaient pas oubliés, et le temps ne semblait que les renforcer. Les soupçons semblaient mûrir et croître avec le temps, et plus ils étaient partagés, plus ils semblaient avoir d’influence et de validité.
Elle quitta ce monde pour s’installer dans un monde à elle. Le passage de l’un à l’autre fut progressif.
La solitude est une drogue, un narcotique ; elle se répand dans les veines, dans les nerfs et les muscles ; elle s’arroge le droit de posséder votre corps et votre esprit. L’isolement et la solitude sont des murs.
« Quand tu aimes quelqu’un, tu le prends en entier, avec toutes ses attaches, toutes ses obligations. Tu prends son histoire, son passé et son présent. Tu prends tout, ou rien du tout. C’est comme ça, Joseph, c’est juste comme ça. »
« Tout le monde a un livre en soi, continua-t-elle. Certaines personnes en ont deux ou vingt ou trente. La plupart des gens le savent mais ils ne peuvent pas y faire grand-chose. Toi, tu le peux, et donc tu devrais le faire. Si tu ne veux pas avoir de regrets, le genre de regrets qui te harcèleront jusqu’à la fin de ta vie. »
– Tout le monde a des fantômes, Joseph… des fantômes du passé, des fantômes du présent, des fantômes pour l’avenir.
Je me demandais si j’avais juste peur, peur de l’inconnu, peur de l’avenir. Je me demandais quel sens aurait ma vie si je restais là où j’étais, et je n’en voyais aucun.
Une femme âgée, son visage comme un parchemin dont le message aurait été effacé, les yeux tels des trous percés dans la lueur du jour pour trouver la paisible obscurité de l’autre côté.
c’était New York City, le cœur de l’Amérique du Nord, ses rues comme des veines, ses boulevards comme des artères, ses avenues comme des synapses électriques claquant, canalisant, s’étirant
Malédiction d’écrivain ?
– Nom d’une pipe, ils ont tous une malédiction. Je les vois aller et venir. Pareil pour les acteurs. À se trimballer une centaine de personnes dans leur tête. Ç’a quelque chose à voir avec le fait d’être créatif et tout ça.
Son visage racontait une histoire – ou peut-être pas tant une histoire qu’une saga de rêves noyés dans l’alcool avant d’avoir acquis suffisamment de force pour briser leurs chaînes et marcher seuls. Chaque aspiration avait été bridée par son pessimisme, elle n’avait jamais su saisir sa chance.
Et après ils se demanderaient pourquoi le monde est un endroit aussi sombre et décevant. Moi ? Je me contrefous de ce que les gens pensent de moi. Je vis ma vie, je la vis comme ça me plaît, et si ça ne se voit pas, qu’est-ce que ça peut faire ? La vie, c’est pas du théâtre, Vaughan. C’est la vérité, tu sais ? »
Je parlai de New York : Une grande enveloppe de bruit à l’intérieur de laquelle se déverse un torrent de gens. On dirait qu’il n’y a pas assez de place sur les trottoirs ou dans les rues, pas assez de maisons ni d’appartements pour une telle multitude, et pourtant ils se côtoient, indifférents aux sentiments et au destin les uns des autres. J’ai du mal à comprendre comment tant de gens peuvent être si proches, et pourtant demeurer si éloignés.
J’essayais d’exorciser ces choses, voulant croire que ma fuite à New York était une catharsis de l’âme, alors qu’elle n’était jamais que ça : une fuite.
Même si j’avais voyagé jusqu’à l’autre bout de la terre la Géorgie m’aurait rattrapé, car elle n’était pas tant une chose du monde extérieur que quelque chose en moi.
Peut-être est-il des cicatrices – sur l’esprit, le cœur – qui ne se referment jamais.
Peut-être est-il des ombres qui vous hantent à jamais, qui viennent se serrer contre vous dans ces moments d’intime obscurité, et vous seul pouvez reconnaître les visages qu’elles revêtent, car ce sont des ombres, les ombres de vos péchés, et nul exorcisme terrestre ne peut les chasser. Peut-être ne sommes-nous pas si forts que ça en fin de compte. Peut-être mentons-nous au monde, et en mentant au monde nous mentons à nous-mêmes.
Je ne pleurais pas la femme qui était morte ; je pleurais la femme dont je me souvenais.
Il te faut juste une première phrase, dit-il. Chaque grand livre commence par une grande première phrase, tu sais ?
New York me battait de ses poings. Mon cœur battait en retour. Dans cette ville serrée comme un poing j’étais aussi un poing serré. Dans ce tonnerre d’humanité, j’étais enfin, irrévocablement, devenu l’homme que j’avais tant voulu être.
Dans mes rêves les murs ne peuvent pas plus me retenir que la brume ou la fumée, je les traverse sans effort ni contrainte, et la terre s’élève, les arbres se dressent à gauche et à droite vers l’horizon […]
La peur en moi était comme un nœud gordien. De quelque côté que je me tourne, de quelque façon que j’essaie de m’en dégager, elle se resserrait et devenait plus complexe.
2 Replies to “Ellory, R.J. « Seul le silence » (2008) 601 pages”
Oh ouiiiiiii !!! Mais que je suis contente que tu découvres cet auteur qui est mon chouchou, voilà c’est dit. Il a l’art de me faire vibrer tout au long de ses livres, c’est hypnotique, ce sont des livres qui restent en moi, il sait me parler, me toucher, bref… Alors je te copie colle l’avis que j’avais écrit sur Seul le silence que j’ai lu en Mars 2016 :
– Cet auteur est le diable ou l’ange ou les deux à la fois. C’est un roman d’une noirceur mélancolique où le personnage est poursuivi par l’obsession de meurtres qu’il n’a pas commis. Il se serait fait ange pour pouvoir protéger ces fillettes assassinées, violées, mutilées.
Au-delà d’une histoire qui tient en haleine du seul fait de vouloir découvrir qui commet ces horribles crimes c’est surtout l’écriture d’Ellory qui subjugue et vous tient par les tripes.
Car il y a les mots qui décrivent les faits, qui racontent une histoire et puis il y a ceux d’Ellory qui sont un tout à la fois, qui ne se contentent plus d’être des mots, ils deviennent vibrants, vivants en vous, installant insidieusement un climat presque oppressant à l’intérieur de vous car les mots d’Ellory vont bien au-delà du récit, de la trame de l’histoire, ils sont l’âme de l’homme. Une âme profonde et noire, d’une beauté poétique ensorcelante qui vous révèle les 1000 et 1 facettes de l’âme humaine. Monsieur Ellory en est le chef d’orchestre, virtuose, c’est millimétré, ça sonne juste pas une dièse en dessous ou au dessus. Il traite bien évidemment de sujets forts communs à « papillon de nuit » et à celui-ci, ceux de l’injustice qui fait basculer toute une vie. Un personnage accusé, bafoué dans ses droits, n’ayant que pour seul liberté, celle de revenir sur ses pas, rejouant sa propre vie avec ce recul qui lui a manqué et qui le frappe comme une détonation hurlante de vérité, de rêves morts et d’espoirs lointains.
Ah oui coup de coeur ! celui qui sort cette semaine est semble-t-il dans la même veine que « Seul le silence ». Je ne vais pas tarder à me le procurer .