Larrea, Maria « Les gens de Bilbao naissent où ils veulent » (RL2022) 224 pages

Larrea, Maria « Les gens de Bilbao naissent où ils veulent » (RL2022) 224 pages

Autrice: née en novembre 1979 à Bilbao (Pays Basque – Espagne), scénariste, réalisatrice et écrivaine française. Elle grandit à Paris où elle suit des études de cinéma à La Fémis. Son premier roman, « Les gens de Bilbao naissent où ils veulent« , obtient en 2022 le prix du premier roman ainsi que le prix Les Inrockuptibles catégorie premier roman.

Grasset – 17.08.2022 . 224 pages

Résumé:

Tout commence en Espagne. En juin 1943, une prostituée obèse de Bilbao donne vie à un garçon qu’elle confie aux jésuites. Plus tard, en Galice, une femme accouche d’une fille qu’elle abandonne aux soeurs d’un couvent. Les deux orphelins connaissent la misère et Franco mais se rencontrent, se marient, partent à Paris. La Galicienne devient femme de ménage, le Basque gardien du théâtre de la Michodière.
Ils auront un enfant, Maria. C’est notre narratrice. A vingt-sept ans, celle-ci croyait s’être arrachée à ses origines : la loge de ses parents, la violence de Julian et les silences de Victoria. Mais un tirage de tarot va renverser son existence et l’obliger à replonger dans le passé des siens. Pour comprendre de qui elle est la fille, elle devra enquêter et revenir là où tout a débuté, à Bilbao, où naissent les secrets.
Etourdissant de style, d’énergie et de vie, ce premier roman mené tambour battant nous embarque instantanément. Avec maestria, Maria Larrea y recompose pièce à pièce le visage de sa famille et le puzzle de sa mémoire. On court et rit et pleure ensemble. Une écrivaine est née.

Mon avis: 

En règle générale, je me méfie toujours des premiers romans autobiographiques; en fait, des romans autobiographiques tout court. Mais là! Un vrai coup de coeur ! Mais quelle vie! Quel parcours! Jusqu’à la dernière page ! Et on ne s’ennuie pas un seul instant.

On  commence par des scènes fortes : une femme accouche d’une fille, Victoria, alors qu’elle veut un garçon : elle va l’abandonner…
Une prostituée va accoucher d’un garçon, Julian,  et va le confier à une institution (le Julian est farouchement basque et fan de l’ETA)
Ces deux là vont se rencontrer et avoir une petite fille, Maria, qui est à la fois le personnage du roman, l’autrice et la narratrice. Ils vont s’installer en France et bosser dur. Le trio va connaitre l’alcool, la drogue, la misère, la douleur…mais ce n’est jamais triste ou misérabiliste.

La jeune Maria veut être « comme une petite française » et non une fille de concierge immigrée; elle veut étudier et changer de classe sociale; comme elle se sent mal dans sa peau, elle va voir  une tarologue qui lui fait une révélation qui va bouleverser sa vie : elle a 27 ans et toute sa vie est remise en question.
Elle va enquêter pour retrouver ses origines : elle enquête elle-même, elle engage un détective privé, la police va enquêter aussi… On part de l’origine des trois protagonistes principaux et on détricote la vie de 3 destins. Les personnages sont de vrais personnes mais ce sont également de vrais personnages de romans. Les prénoms sont importants : Dolores( douleur) , Victoria (victoire)  et Julian (Étymologiquement, le prénom Julien désigne les descendants d’Enée et de Lule, les fondateurs de la famille) et ce sont les vrais prénoms des protagonistes … pas anodin… signe du destin???

Ce livre raconte des vies, des trajectoires.
Il parle d’abandon de bébés à la naissance, mais pas que.
Il parle de l’envie d’avoir un bébé;
il parle d’amour.
Il parle de la basquitude (de la fierté d’être né basque et non espagnol…)
Il parle de l’Histoire ( celle de l’Espagne, de Franco, du Pays Basque, de L’ETA, de la dictature)
il parle d’exil, de classes sociales, de la volonté de sortir de la classe sociale dans laquelle on vit; il parle de l’envie de s’en sortir, de l’importance de faire des études, de se réaliser.
Il parle de cinéma, de littérature, de musique..
Il parle de l’importance des origines, des racines.
Il parle de l’acceptation de soi, du statut de parents, de l’importance de l’amour, du statut de mère et de celui de génitrice.

Il parle d’abandon d’enfants, d’adoption, d’immigration, d’intégration, de classes sociales.
Il y a de l’amour, de l’émotion, les personnages sont attachants, il y a de l’action, de la réflexion, et de la grandeur. Et un vrai hommage à l’amour vrai.

L’autrice est scénariste et réalisatrice et cela se sent dans son roman. Il y a un souffle puissant, on voit et on vit son récit, la vie est comme une enquête et c’est formidable, passionnant, rythmé, interessant, vivant.

Je recommande vivement ce livre qui est juste magnifique à mes yeux. 

Le titre vient d’une expression : « Los de Bilbao nacen donde quieren. » 

Extraits:

Josefa craignait le ciel, les anges, les curés et le demonio. Elle savait qu’elle n’était qu’un péché sur pattes, que faire dix fois le signe de croix ou même boire de l’eau bénite ne la nettoierait pas de son vil travail ou de ses infâmes pensées. Mais elle priait.

Jusque-là, au couvent, Victoria n’avait parlé que le castillan avec les sœurs. Le galicien était interdit. Elle s’était sentie doublement étrangère en retournant dans la horde familiale, au milieu d’inconnus qui aboyaient cet idiome inconnu et antiespagnol.

Il n’avait qu’une religion, l’ETA. C’est en cela qu’il croyait, l’indépendance de son pays de naissance, d’une victoire prise par les armes, les bombes et les prises d’otages. Tous les étés, il achetait un t-shirt de propagande à chaque membre de notre gang de pacotille. L, M et XS, drapeau vert blanc et rouge. Euskadi Ta Askatasuna. La liberté pour le Pays basque. Handicapé du verbe originel, enfant bafoué du franquisme, il ne parlait pas l’euskara mais il aimait la violence et la rébellion. Il me répétait ses noms de famille dont il était si fier, la seule preuve de son origine. […] Le Pays basque pour les Basques était son mantra, lui l’immigré qui habitait Paris et buvait du bordeaux dans un restaurant grec tenu par des Égyptiens. Il voulait incruster dans ma cervelle cette fierté de l’appartenance, tu es basque, tu n’es pas espagnole.

En me liant à elle, je tournais le dos aux autres comme moi, les filles du rez-de-chaussée, espagnoles, portugaises et yougos. Je devenais un peu française. […]Je jouais au singe savant. Oh, qu’elle est cultivée pour une fille de femme de ménage ! Musées, expositions, cinéma, théâtre. J’étais l’éternelle invitée. Je faisais mon effet sur les parents des autres, un mélange de pitié et d’épate quant à mes origines. 

Julian travaille comme menuisier, Victoria fait ce qu’elle sait faire, elle nettoie, ils ne se plaignent pas. Pourtant, malgré leurs beaux sourires, le vin rouge gangrène le cœur de Julian et une tristesse originelle macère au fond de lui avec les tannins.

Pour l’Espagnol modeste en temps de dictature, l’enfantement est la seule valeur, le produit intérieur brut. Mais Victoria et Julian restent pauvres.

Pour mes débuts de metteur en scène, je décidai de travailler sur mes souvenirs d’enfance, réalisatrice en herbe filmant platement son nombril. Je cherchais une explication à ma première partie de vie chaotique et violente et me servait de ma caméra pour tenter de fixer le cannage de ma chaise généalogique. Comprendre la migration de mes parents espagnols, décortiquer la violence de l’existence de notre trio. Chercheuse d’or en 35 millimètres, je tamisais ma mémoire, je ne trouvais rien d’autre que ce que je savais mais je réalisai mon premier court-métrage.

J’espérais tout de même que ce type était basque, je m’étais attachée à cette appellation d’origine contrôlée. Le Basque est craint, célébré, mystérieux, folklorique. Le Basque est aimé d’Ernest Hemingway et d’Orson Welles.

Avoir un enfant ce n’est pas seulement le porter neuf mois dans son ventre. Ce n’est pas ça être parent !Avoir un enfant c’est l’élever, lui donner tout ce dont il a besoin.

Quelque chose n’allait pas. On le savait, elle était fragile, la vie lui avait roulé dessus, marche avant puis arrière.

J’avais des excuses et des choses à faire à Bilbao, ville austère, ce Sud qui est un Nord.

Grâce à la perspective que m’offre ce retour à l’origine, je viens d’apprendre la profondeur de champ. Je vois ma famille se dessiner. Une famille déréglée, d’abandonnés et de bâtards, mais la mienne, notre minuscule clan avec mes parents, Victoria et Julian.

3 Replies to “Larrea, Maria « Les gens de Bilbao naissent où ils veulent » (RL2022) 224 pages”

  1. Beaucoup de sujets abordés, en effet, dans ce premier roman autobiographique d’une jeune femme à la recherches de ses origines. On est emporté par le récit, très visuel et rythmé…
    Seul bémol, le début qui m’a semblé un peu brouillon, sans doute parce que je n’étais pas au taquet dès les premiers mots !

    PS : je viens d’étrenner mon nouveau (et tout beau) carnet de lecture 😉

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