Enriquez, Mariana «Les dangers de fumer au lit» (RLH2023) 240 pages
Autrice : Née à Buenos Aires en 1973, elle a fait des études de journalisme à l’université de La Plata et dirige Radar, le supplément culturel du journal Página/12. Elle a passé son enfance à Corrientes. Elle a publié deux recueils de nouvelles, dont le très remarqué Ce que nous avons perdu dans le feu, publié aux Editions du sous-sol en 2017 (Points, 2021). Elle a reçu le prestigieux prix Heralde et le prix de la Critique pour son premier roman Notre part de nuit, succès de librairie en Espagne et en Amérique latine et en cours de traduction dans plus d’une vingtaine de langues. Succès de la rentrée étrangère de 2021, elle a reçu les prestigieux prix de l’Imaginaire, prix Imaginales, prix des Libraires du Québec, prix Payot du roman étranger pour Notre part de nuit. Les Dangers de fumer au lit a été finaliste de l’édition 2021 de l’International Booker Prize.
Romans : Bajar es lo peor (Espasa Calpe, 1995), Cómo desaparecer completamente (Emecé, 2004) et Notre part de nuit (Anagrama, 2019 / Editions du Sous-Sol 2021 ).
Nouvelles : « Les dangers de fumer au lit» (Los peligros de fumar en la cama (Emecé, 2009), « Ce que nous avons perdu dans le feu » – 2019 (Las cosas que perdimos en el fuego – Editorial Anagrama, 2016) et le roman court Chicos que vuelven (Eduvim, 2010).
Editions du Sous-Sol – 13.01.2023 – 240 pages – Traduit par Anne Plantagenet (Los peligros de fumar en la cama)
Les Dangers de fumer au lit a été finaliste de l’édition 2021 de l’International Booker Prize.
Résumé:
Peuplées d’adolescentes rebelles, d’étranges sorcières, de fantômes à la dérive et de femmes affamées, les douze histoires qui composent ce recueil manient avec brio les codes de l’horreur, tout en apportant au genre une voix radicalement moderne et poétique. Si elle fait preuve d’une grande tendresse envers ses personnages, souvent féminins, des êtres qui souffrent, qui ont peur, qui sont opprimés, Mariana Enriquez scrute les abîmes les plus profonds de l’âme humaine, explorant de son écriture à l’extraordinaire pouvoir évocateur les voies les plus souterraines de la sexualité, du fanatisme, des obsessions.
“Le monde magnifique et horrible de Mariana Enriquez, tel qu’on l’entrevoit dans Les Dangers de fumer au lit, avec ses adolescents détraqués, ses fantômes, les miséreux tristes et furieux de l’Argentine moderne, est la découverte la plus excitante que j’ai faite en littérature depuis longtemps.” Kazuo Ishiguro, Prix Nobel de littérature
Mon avis et extraits ( nouvelle par nouvelle) : J’ai retrouvé le monde si spéciale de l’autrice argentine que j’avais découverte avec son roman « Notre part de Nuit ». Bien que n’étant pas trop adepte des nouvelles, pas moyen de résister à l’envie de replonger… Horreur , humour, superstitions, revenants, fantômes, morts-vivants, disparitions et réapparitions, enfants perdus, mort d’enfants, amour, jalousie, malédictions, nécrophilie, cannibalisme, sexe, folie, drogue, deuil, obsessions, fantastique sont au rendez-vous, dans une atmosphère de vie quotidienne qui vire au surnaturel… le tout avec humour malgré la violence des récits.
Place aux fantômes et autres créatures et événements horrifiques.
C’est gothique et brillant, mais c’est dur ! Pourtant, moi qui n’aime pas l’horreur, je me laisse une fois encore fasciner par l’univers de cette autrice… Un recueil de nouvelles qui prend littéralement aux tripes, qui est à la fois politique et fantastique, gothique et réaliste…
Et maintenant plus qu’à lire son autre recueil « Ce que nous avons perdu dans le feu »
12 nouvelles :
1. L’exhumation d’Angelita: un fantôme qui n’apparait pas sous les traits d’un fantôme.. ce qui ajoute au réalisme de la nouvelle. Un bébé dont on retrouve les os et qui se reconstitue et suit sa soeur…
Ce n’est pas très cohérent d’essayer d’étrangler un mort, mais on ne peut pas être désespérée et raisonnable en même temps.
2. La Vierge des Tufières : c’est dangereux la jalousie ! C’est l’été, il fait chaud… Pour se baigner, l’idéal est de se rendre là ou il y a les tufières, des trous d’eau naturels mais ces lieux sont dangereux. L’idée vient de Sofia la plus âgée d’un groupe de filles. Une fille que les autres filles du groupe jalousent mais dont elles ont besoin: elle est plus âgée et plus libre. Quand en plus elle commence à intéresser le jeune Diego, rien ne va plus! Or, à l’autre bout de la Tufière (interdite d’accès par son propriétaire) il y a un autel dédié à la Vierge… Un jour le petit groupe et Diego va traverser le lac pour se rendre à l’emplacement où se trouve l’autel …
3. Le caddie : un homme pauvre avec toute possession un caddie. Il arrive dans une rue, et il va salir la rue en déféquant. Toute la méchanceté et le racisme latent des habitants va se déverser sur lui. Rien ne lui sera épargné: il sera humilié, chassé, dépouillé… Pourquoi ? Parce que les gens du avarier ont peur de se retrouver un jour à sa place, pauvre et sans abri…Il est le reflet de leurs peurs et il faut le chasser à tout prix…
4. Le puits : les malédictions ne s’éteignent pas avec la mort… et Josefina en fait l’expérience. Terrorisée, elle n’ose pas s’aventurer hors de chez elle. Parviendra-t-elle à conjurer le sort? Et pourquoi a-t-elle si peur de sortir? Une seule solution : affronter le passé..
– Puisque tout ce qu’elle voulait, c’était voir si l’eau reflétait son visage, comme cela arrivait toujours dans les puits des contes de fées, son visage comme une lune avec des cheveux blonds dans l’eau noire.
– Il faisait nuit et la peinture blanche brillait comme les os de San La Muerte ; c’était la première fois qu’elle avait eu peur.
– “Quand vient la peur”, lui avait-il dit, “prêtez attention à autre chose. N’importe quoi. Observez ce que lit la personne qui est à côté de vous. Regardez les panneaux publicitaires ou comptez les voitures rouges qui passent dans la rue”
5. Rambla triste : Barcelone. Une description du quartier du Raval qui plonge dans une atmosphère de terreur. Sofia retourne à Barcelone et la ville a terriblement changé… Il y a une odeur infecte, ce qui lui paraissait romantique la terrorise maintenant. La peur règne sur la ville, peuplée de fous et de dégénérés; la police est présente partout et exerce une sorte de dictature. Et par dessus tout, la ville est hantée par des spectres d’enfants triste qui empêchent les habitants de quitter le quartier…
6. Le Mirador : Un vieil hôtel à Ostende… un fantôme… une jeune femme triste, le poids de la solitude.. la peur…
7. Où est tu mon coeur : Une jeune fille fascinée par les malades et les maladies, surtout les maladies pulmonaires et cardiaques, celles qui représentent un danger de mort imminente mais ne se voient pas. Les battements du coeur et les rythmes cardiaques la font fantasmer…
– Je suppose que les femmes et les hommes normaux éprouvent du plaisir en écoutant jouir des personnes du sexe qui leur plaît ; moi, c’était en entendant le pouls de ces cœurs détruits. Il y avait tellement de variétés ! Tellement de battements différents, tous avec des significations distinctes, tous beaux ! Les autres maladies ne s’écoutaient pas.
8. Viande : C’est le titre du dernier album de la star du Rock, Santiago Espina dont le corps est retrouvé tailladé, charcuté – sauf le visage – dans une chambre d’hôtel suite à son suicide. Jusqu’où le désespoir et la folie des fans va-t-il aller.. Je vous laisse en compagnie de Julieta et martela, deux filles totalement givrées
– Julieta et Mariela vivaient à dix blocs de distance à peine, et le suicide d’Espina les rapprocha tellement qu’elles commencèrent à se ressembler physiquement, comme les couples qui vivent ensemble pendant des décennies ou les solitaires qui adoptent l’expression de leur animal de compagnie.
9. Ni anniversaires ni baptêmes: Une petite fille victimes djahhucinations se fait filmer par un vidéaste ; petite elle avait des amis imaginaires. Maintenant elle est possédée et cela se traduit par des mutilations…
10. les Petits Revenants ( la plus longue et aussi ma préférée – comme par hasard)
Mechi classe les informations sur les enfants perdus et disparus de Buenos Aires; des ados pour la plupart et elle a un ami journaliste : Pedro.. Elle compile tout ce qu’elle trouve sur toutes sortes de disparitions : fugues, enlèvements, séquestrations, assassinats, réseaux de prostitution…
Dans la multitude des dossiers, elle s’étonne de voir que les portraits des disparus sont toujours très moches. Une seule exception : la photo d’une jeune fille, Vanadis, dérivé du nom de la déesse nordique Freyja, déesse de la beauté, jeunesse, amour et accessoirement la reine des morts.
Soudain cette jeune femme va réapparaitre.. et elle n’est pas la seule. Les jeunes disparus vont refaire surface, ressurgir de partout, qu’ils soient enfant ou plus âgés, touts en même temps… mais malgré les années passées, ils n’auront pas grandi…
Et au final une question … le retour des morts-vivants? Une intense angoisse… Que vont-il devenir? Vont-ils s’évaporer à nouveau? Les revenants sont-ils bien les enfants qui avaient disparu?
– Je ne m’en souviens pas très bien, mais plus ou moins les Japonais croient qu’après la mort les âmes migrent dans un lieu où le nombre de places est limité, disons. Et quand cette limite est atteinte, quand il n’y a plus de place pour les âmes, elles reviennent dans ce monde. Ce retour annonce la fin du monde, en réalité.
11. Les dangers de fumer au lit : Traite de la fascination de la mort… Ue vielle femme meurt brulée vive dans son lit. Cela parle de ce qui s’enflamme et est réduit en cendre… les papillons de nuit…
– les papillons de nuit se désagrégeaient entre les doigts, comme s’ils n’avaient pas d’organes ni de sang, un peu comme la cendre froide d’une cigarette dans un cendrier dès qu’on la touche.
12. Quand on parlait avec les morts: Reflète nettement les disparitions lors de la dictature argentine et le scandale des disparitions massives. Des jeunes filles tentent de parler aux esprits en utilisant une planche « ouija »
– elle s’était procuré une planche ouija démente, offerte avec des numéros spéciaux sur la magie, la sorcellerie et les faits inexplicables intitulés Le monde de l’occulte,
La couverture : Crâne de squelette fumant une cigarette est une peinture à l’huile de l’artiste peintre néerlandais Vincent van Gogh réalisée en 1885-1886. Elle représente, comme son titre l’indique, un crâne qui fume une cigarette.