Márai, Sándor « Un chien de caractère » (1932 – en français 2003) 212 pages

Márai, Sándor « Un chien de caractère » (1932 – en français 2003) 212 pages

Auteur : Né en Hongrie en 1900, Sandor Marai connaît dès ses premiers romans un immense succès. Antifasciste déclaré dans une Hongrie alliée à l’Allemagne nazie, il est pourtant mis au ban par le gouvernement communiste de l’après-guerre. En 1948, il s’exile et finit par s’installer définitivement en 1980 aux Etats-Unis où il mettra fin à ses jours en 1989. Depuis une dizaine d’années, il est devenu un auteur culte de la jeunesse hongroise et jouit dans le monde entier d’une réputation égale à celle d’un Zweig, d’un Roth ou d’un Schnitzler.
Sándor Márai, un des plus grands écrivains hongrois du XXe siècle, analyse les moeurs de la bourgeoisie de son époque avec une ironie réjouissante. Drôle, subtil, élégant et incisif, ce roman aux allures de conte moral révèle une facette méconnue de l’auteur des Braises.
Romans : Le Premier Amour, Les Révoltés, Les Étrangers, Un chien de caractère, L’Étrangère, Les Confessions d’un bourgeois, Divorce à Buda, L’Héritage d’Esther, Dernier jour à Budapest, Les Braises, Les Mouettes, La Sœur, Paix à Ithaque !Le Miracle de San Gennaro, La Nuit du bûcher, Métamorphoses d’un mariageLibération

Albin Michel/Les grandes traductions  – 28.10.2003 – 212 pages  / Le Livre de poche biblio – 23.02.2005 – 224 pages – Csutora (1932) traduit par Zéno Bina et Georges Kassai)

Résumé :
C’est une petite boule de poils qui gambade et aboie. Il n’est pas beau mais semble avoir de l’esprit et bientôt, grâce à ses maîtres, de bonnes manières…
Tchoutora est le nom de ce chiot joyeux que Monsieur a décidé d’offrir à Madame en ce Noël 1928 assombri par la crise économique. Bien qu’attendrissant, le quadrupède se montre vite rétif aux règles que dicte la bonne société à un « être inférieur » de son espèce, et bouleverse de sa turbulente présence la vie du couple…

Mon avis:

Un Márai qui met le sourire aux lèvres ! Un Márai ironique, acerbe, plein d’humour, presque burlesque.. mais un Márai qui nous livre une critique de la société de l’entre deux guerres. Márai fait partie de la bourgeoisie intellectuelle de son pays – classe sociale qui sert de cadre à ce livre – et est antifasciste alors que son pays a fait alliance avec Mussolini. 

1928: un Noël blanc . Quelle galère! Malgré la promesse de ne pas se faire de cadeaux de Noël, chaque année le calvaire recommence… Qu’offrir à Noël? Surtout quand le porte-monnaie n’est pas à la fête… Bien sûr, nous savons tous qu’un animal n’est pas un objet.. et pourtant Monsieur va se rendre au zoo et mettre un petit chien, emballé dans du papier de soie, sous le sapin, un cadeau pour amuser Madame en ces temps difficiles… Il avait demandé un chien d’une race bien particulière mais il semble bien qu’il se soit fait refiler autre chose…Le petit chien, une boule de poils de 4 semaines, a un caractère… de chien… Alors ce cadeau ? paris réussi? A première vue, Madame semble ne pas le lâcher… 

Mais ce cadeau va se révéler bien envahissant ! C’est qu’en plus de semer le désordre, on s’y attache à ces petites bêtes qui sont synonymes de bêtises. En plus à cet âge là, ça fait pipi partout. Quand on ajoute à cela que la bestiole est moche comme un pou( lui qui croyait avoir acheté un chien de la race des Puli) , hargneuse et qu’elle mord ! Carton plein! 

Réflexion sur la liberté et l’asservissement : le chien pourrait être libre, fuir sa captivité et il revient pour sa pâtée. L’homme fait pareil… il ne fuit pas, reste pour la soupe…

La jeunesse du chien attire Monsieur : le chiot l’amuse, le fait fondre, et le pousse à l’intéresser à lui… Mais la relation chien/Monsieur va se détériorer… Et pourtant, ce chien ne s’est jamais vu reprocher le fait qu’il est de race inférieure… Coté politique, on verra la fracture sociale, qui se reflète dans la relation chien/Monsieur-Madame…

Extraits: 

À l’heure actuelle, il ne souhaite – ardemment – qu’une seule chose : que cette fête soit déjà derrière lui, et qu’il s’en tire, comme lors des Noëls précédents, sans trop de dégâts.

L’objet, précisons-le, doit être à la fois utile et superflu, de luxe et d’usage courant ; il faut qu’il tienne chaud, qu’il soit en cuir, qu’il soit « drôle » ou tout au moins « pratique », et pourtant spectaculaire. Bref, une « schnorrka ». Quelque chose qui lui fasse plaisir, ce qui, après tout, est l’essentiel. Quelque chose qui puisse l’amuser ou qu’elle puisse porter. 

le chien est à la fois utile et superflu, objet de luxe et objet d’usage, et qu’il constitue, en outre, un article pour femmes, car c’est un cadeau original qui tient chaud, suscite de fortes émotions et ne coûte pas cher.

Chaude, la touffe de poils cache un cœur qui bat. Il bat violemment, comme si la touffe dissimulait quelque mystérieux moteur à deux temps, celui qui anime toute matière, y compris cette espèce de brosse jappante. L’homme sent les pulsations de la grande artère et tâte un certain nombre d’organes dont la consistance poreuse lui paraît suspecte

Que sont la religion et la culture, pense-t-il, maussade, tout en grattant un bout de cire tombé sur son smoking lustré, sinon un paquet mal ficelé de rites et de souvenirs, un ensemble de refoulements et de règles culinaires, vestimentaires et comportementales ? Dans les vraies familles, cela s’entend, s’empresse-t-il d’ajouter. 

Comme toujours, il est angoissé : il faut se presser, et non seulement à cette heure précise, mais d’une façon générale, car tout – et, surtout, les us et coutumes de la bourgeoisie – tout peut s’achever d’un moment à l’autre, oui, il faut se dépêcher de célébrer cette fête, dont la fin – ou, tout au moins, la suspension – peut être annoncée à tout instant par un coup de téléphone ou un coup de sonnette.

L’un des paquets se détache, roule sur le tapis. Stupéfaites, les cousines ont à peine le temps de crier que Madame, à genoux, défait nerveusement le colis, débarrasse de sa gangue de papiers et de chiffons le symbole, qui, terrorisé, queue basse et poils hérissés, glapit plaintivement.

Monsieur estime qu’elle vient de donner là une exacte définition des rapports entre êtres vivants. Oui, il faut se supporter mutuellement, approuve-t-il en hochant la tête.

la lampe, ce soleil qui se lève et se couche de façon imprévisible

Mais que serait la passion sans la discipline ? Ne sais-tu pas que les animaux sont toujours tristes après… ? Regarde, tu as la liberté, tu as l’espace devant toi, qu’attends-tu pour en profiter ? Aucune laisse ne te retient et je ne courrai pas après toi ! Le monde t’appartient, voici ses montagnes, ses forêts, son gibier !… Pourquoi ne t’échappes-tu pas ? Pourquoi reviens-tu en rampant ? Pourquoi attends-tu que j’attache cette laisse à ton cou ?

Mais quelle est donc cette force qui, soutenue par l’ « instinct », ramène le chien chez lui, malgré sa nature, malgré ses aspirations profondes, lui faisant préférer à la liberté sa niche où l’attendent laisse, muselière et principes éducatifs ineptes ? Même si on ne lui demande pas de danser sur une corde, en tenant une ombrelle rouge, il est tout de même contraint de cohabiter avec des monstres puissants d’une espèce étrangère. 

Monsieur commence pourtant à trouver indécentes et pour le moins excessives la curiosité et l’attention qu’il accorde à cette frénésie : après tout, il ne s’agit que d’un jeune chien, de rang inférieur, qui cherche naïvement à engloutir le monde.

Un jour, il grandira et finira par comprendre qu’il a eu une sorte d’indigestion… Pour l’instant, ayant perdu le sens de la mesure, rien de ce que lui présente le monde ne lui paraît assez insignifiant pour ne pas l’accueillir aussitôt avec cette sensibilité maladive…

Tchoutora est travaillé par des désirs que l’éducation a refoulés. Il a sans doute aussi un complexe de castration, puisqu’on lui a coupé la queue, comme on le fait maintenant à presque tous les chiens. Non, pas à celui-là ? Dommage. La plupart des chiens, savez-vous, souffrent de ce complexe. Mais quelle est donc la nature exacte des désirs que l’éducation aurait refoulés chez ce chien ?…

On dit que le chien imite son maître et adopte souvent son caractère. Nous récusons entièrement cette affirmation superficielle. Comme toutes les espèces supérieures – au-delà du rat –, le chien a sa personnalité que l’on peut certes influencer, mais qu’il est impossible d’éradiquer ou même de changer. Il existe des chiens braves et des chiens méchants, des chiens sages et des chiens ignobles, des chiens ambitieux et des chiens paresseux.

il comprend de mieux en mieux que nous préférons l’imperfection et l’insoumission à la perfection et à la docilité et qu’en définitive, les défauts d’un être nous sont plus chers que ses qualités. Il en est ainsi, lecteur, dans la vie comme dans les arts et, malgré son apparente banalité, cette leçon vaut bien une morsure de chien.

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