Auci, Stefania « Les lions en hiver » (2022) 480 pages – La Saga des Florio – tome 3

Auci, Stefania « Les lions en hiver » (2022) 480 pages – La Saga des Florio – tome 3

Autrice :
Née à Trapani mais Palermitaine de cœur, Stefania Auci est enseignante. Elle écrit depuis des années et a publié un roman historique en 2015, Florence, avant d’entreprendre la saga des Florio. Les Lions de Sicile est son premier roman traduit en français.

La saga des Florio : Les Lions de Sicile  (tome 1) – Le triomphe des Lions (tome 2) – Les lions en hiver (tome 3)

Albin Michel – 02.11.2022 – 480 pages – traduit par Renaud Temperini

Résumé :

La gloire est éphémère et le destin parfois cruel. Après avoir régné en maîtres sur la Sicile et fait de Palerme l’un des phares commerciaux de l’Europe, la famille Florio se heurte aux coups du sort, dans un contexte politique et économique qui fragilise la toute jeune Italie, et en particulier le Sud. Mais surtout, c’est à l’absence d’un héritier que la dynastie des Florio se trouve tragiquement confrontée. 

En perdant la chair de sa chair, Ignazio, qui a succédé à son père sans en posséder la force ni la conviction, voit s’éteindre un empire que les siens avaient bâti à la sueur de leur front. Quel avenir désormais ? Que restera-t-il de leur grandeur ? Après le triomphe et l’éclat, les Lions de Sicile entrent dans l’hiver… De 1901 à 1950, entre splendeur et regrets, c’est une histoire bouleversante et passionnante que nous raconte Stefania Auci dans le dernier tome d’une saga au succès international.

Numéro 1 des ventes en Italie, véritable phénomène, la saga de Stefania Auci est la fresque tragique et intime de l’Italie du Sud.

Mon avis:

A la fin du tome 2, on se doutait bien que le règne des Florio était en voie de s’achever. Ce troisième tome nous raconte malheureusement la chute de cet empire.

Don Ignazio IVème génération n’est clairement pas à la hauteur de ses ancêtres et se révèle incompétent. Il a de bonnes idées, est de bonne volonté, mais non seulement le travail et la société Florio ne sont pas son principal intérêt, loin de là, mais en prime il manque de tempérament et de l’autorité naturelle de son grand-père et de son père. Il manque aussi d’empathie avec les personnes avec lesquelles il travaille et avec le peuple. Et surtout, bien qu’il agisse aussi pour le bien de son île,(parfait en tant que mécène)  il est avant tout flambeur et homme à femmes. De plus, les circonstances politiques et économiques ne l’aident pas. Son jeune frère, Vincenzo, a également de bonnes idées  (il va être l’initiateur de la course automobile « Targa Florio » mais comme son frère ainé, il aime briller, dépenser… mais il se rangera plus vite que sont frère, assumé par la mort de sa jeune femme.
Sans oublier l’ombre de la Mafia qui plane…

Ce tome est principalement centré sur le couple Ignazio/ Franca . Un mariage d’amour qui va aller de catastrophe en catastrophe… les malheurs s’acharnent sur eux… deuil après deuil… la dynastie s’éteint au fur et à mesure, à peine née ou au sortir de l’enfance… Franca est détruite et Ignazio fuit… et comme il a toujours aimé sortir et faire des conquêtes, il s’éloigne. Franca va rester digne mais cette famille qui était à la fin du XIXème siècle la plus riche d’Italie va prendre l’eau de tous cotés. Quand on se rappelle sa fortune précédente ( Caves – Vin de Marsala –  Fonderie, Compagnie de Navigation, Usine de poisson et conserverie, Courses automobile, Patron de Presse, Usine de soufre.. ) le naufrage est effarant. Et la chute vertigineuse.

J’ai beaucoup aimé cette saga qui nous retrace l’histoire de la famille Florio et à travers elle celle de la Sicile – et de l’Italie –  de la fin du XIXème siècle au milieu du XXème. C’est un roman mais c’est l’histoire de Palerme – qui est un vrai personnage dans la saga – et elle m’a semblé extrêmement bien documentée.
Je me suis attachée aux personnages, et particulièrement aux personnages de femmes, que se soient les personnages principaux ou pas. Et malgré leurs défauts, ils restent attachants, tous autant qu’ils sont… Ignazio voudrait se comporter bien vis à vis de sa femme, mais le démon l’emporte vers d’autres bras, même si il revient toujours à son port d’attache. Il aime Franca, mais pas de la bonne façon… Franca, fait de son mieux pour tenir son rang mais les malheurs qui s’abattent sur elle l’anéantissent; et malgré tout elle garde la tête haute… Perdre trois enfants en moins de deux ans et un mari volage… difficile de vivre heureuse et détendue dans ces conditions. Le sort s’acharne sur les descendants mâles de la famille, et ce n’est pas la première fois. Les parents, amis, et surtout les membres de la famille proche sont des pièces rapportées qui ont tout leur intérêt et toute leur importance.
Je quitte à regret tous les Florio…

Extraits:

Le cognac est une affaire de terroir, de bois, de patience et d’eau de mer. Comme le whisky. Comme le marsala.

L’emploi du mot est attesté dès le XVIIe siècle, mais à partir du 1er mai 1909, en vertu d’un décret gouvernemental français, le reste du monde dut se résigner à produire une simple « eau-de-vie », l’appellation d’origine contrôlée étant désormais réservée à la Charente. On y trouve en effet un sol calcaire, riche en sédiments marins et recouvert de cépages comme l’ugni blanc – un clone du trebbiano introduit en France après les catastrophes causées par le phylloxéra à la fin du XIXe siècle –, le colombard aux grains jaunes délicats, et la folle-blanche aux grappes compactes. Pour devenir du cognac, le vin doit être composé d’au moins quatre-vingt-dix pour cent de ces trois raisins, seuls ou mélangés. Pour les dix pour cent restants, on peut en utiliser d’autres : le montils, le sémillon, le jurançon blanc, le blanc ramé, le select, le sauvignon.

Quand je me suis mariée, mon père m’a fait comprendre que personne, sous aucun prétexte, ne devait jamais se permettre de me marcher sur les pieds. Je devais être la première à me défendre, sans quoi la famille de mon mari m’étoufferait. 

Moi, je m’en moque éperdument. Et tu serais bien inspirée de m’imiter. Si tu commences à les écouter, tu leur donnes du pouvoir sur toi. N’oublie jamais que ce sont des crève-la-faim, des envieux. Nous, nous avons tout ce qu’ils n’ont pas, et c’est pour ça qu’ils ne cesseront jamais de dire du mal de nous.

« Écoute ta tête, pas ton cœur. » L’image qu’elle donne d’elle-même est celle d’une femme hautaine et distante, mais elle l’a construite de ses propres mains, pour se protéger.

Palerme a changé. Dans les souvenirs d’enfance d’Ignazio, elle était élégante, discrète. Elle est devenue irrévérencieuse, effrontée : jadis, elle vous espionnait à travers les volets des fenêtres et commentait vos faits et gestes en privé ; aujourd’hui, elle vous regarde droit dans les yeux, toujours prête à dénigrer vos tenues vestimentaires, votre voiture, votre entourage. Et tant d’insolence irrite profondément Ignazio.

La finance et la politique doivent travailler en harmonie.

Il m’a offert ces perles, et tu sais ce que cela signifie. » Franca prend un temps pour donner libre cours à son amertume. « Il paraît que les perles apportent des larmes. Je n’ai jamais voulu y croire ; pour moi, elles font partie des plus belles choses qui soient au monde. Pourtant, elles m’en ont causé, des sanglots. Et cette fois, je ne connais même pas le nom de… l’heureuse élue. » 

– Si paradoxal que cela puisse paraître, le théâtre, avec ses masques, révèle l’hypocrisie des relations humaines, renchérit Zacconi. À travers les mots d’un poète, on peut tout exprimer… tout… et le contraire de tout.

– Seules les personnes sans imagination ne changent jamais d’avis. Et les imbéciles, lui répond Franca avec un sourire.

Impossible de discuter avec ces politiciens du Nord, il y a des choses qu’ils ne veulent pas comprendre. Le seul moyen de les convaincre, c’est de leur faire peur. Et pour ça, il faut s’appuyer sur le peuple,

 la médisance est un animal toujours affamé qui, s’il ne trouve pas de nouvelles charognes à dépouiller de leur chair, rumine ce qu’il a déjà avalé. 

Et en Sicile, il est un péché auquel personne n’échappe : savoir et ne pas pouvoir parler.

« Tu y penseras toujours. À tout ce qu’elle aurait pu faire et qu’elle ne fera jamais. Tu regretteras de ne pas la voir grandir, de ne jamais savoir ce qu’elle serait devenue. Parfois, tu te demanderas ce qu’elle fait, et alors seulement, tu te souviendras qu’elle est morte. Tu verras des vêtements, des jouets… des choses que tu auras envie de lui offrir… et tu ne pourras pas. À chaque fois, ta mémoire te donnera un coup de poignard, et la blessure ne guérira pas, parce que, pour toi, ta fille sera toujours là, dans ton cœur, bien vivante.

– Alors, ça ne finira jamais ? » Franca a prononcé ces mots dans un souffle.

Giovanna lui répond d’une voix tout aussi basse : « Jamais, non. Moi, j’ai aussi perdu mon mari, et Dieu sait si je l’aimais… Mais la mort d’un enfant, c’est quelque chose d’incompréhensible. » Elle lève une main devant elle et serre le poing. « C’est comme si on t’arrachait le cœur. »

À quoi sa famille peut-elle se raccrocher, maintenant ? Un enfant, c’est une branche qui s’élève vers le ciel. Si elle se brise, aucune feuille ne peut plus naître d’elle.

Elle n’éprouve plus rien, pas même de l’agacement ou de la rancœur. Il y a, quelque part dans son âme, une vaste étendue de lave noire inerte, où la vie ne renaîtra jamais.

Le bonheur est un feu follet, un fantôme, une ombre sans consistance. Et la vie est une menteuse, voilà la vérité. Elle promet beaucoup, vous permet de goûter quelques joies… et puis elle vous les enlève, du jour au lendemain, avec une brutalité inouïe.

Pas un signe de faiblesse. Pas un mot de trop. Aucune trace de la douleur qui lui a brûlé les entrailles. Mais dans ses yeux il n’y a plus de sourire non plus, seulement un perpétuel regard distant.

Comme si plus rien ne pouvait l’atteindre. Comme si elle était vraiment morte.

Le passé est parfois une malédiction, une lourde pierre qui pèse sur l’âme et qu’on ne parvient pas à soulever, même au prix d’un immense effort de volonté.

Elle en a donné et reçu beaucoup ; mais au bout du compte, l’amour a creusé en elle un gouffre de ténèbres et de silence. Il paraît qu’aimer, c’est se livrer sans réserve ; mais si l’on fait cadeau de tout son être, on n’a plus rien pour vivre.

Photo: Villa Igiea 

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