St. John Mandel, Emily « L’Hôtel de verre » (2021) 397 pages

St. John Mandel, Emily « L’Hôtel de verre » (2021) 397 pages

Autrice: Née en 1979 à Merville en Colombie-Britannique, romancière canadienne anglophone, spécialisée dans le roman policier. En 2014, elle aborde la science-fiction avec son roman Station Eleven qui est finaliste du National Book Award et qui remporte le prix Arthur-C.-Clarke.

Romans: Dernière nuit à Montréal (2012) – On ne joue pas avec la mort (2013) – Les Variations Sebastian (2015) – Station Eleven (2016) – L’Hôtel de verre (2021) – La Mer de la tranquillité (2023) 

Rivages/ Noir – 03.03.2021 – 397 pages/ Rivages Poche 23.08.2023 – 448 pages ( traduit par Gérard de Chergé)  The Glass Hotel (2020)

« L’Hôtel de verre » figure sur la liste des 17 livres préférés de Barack Obama en 2020.

Résumé:
« Et si vous avaliez du verre brisé ? ». Comment cet étrange graffiti est-il apparu sur l’immense paroi transparente de la réception de l’hôtel Caiette, havre de grand luxe perdu au nord de l’île de Vancouver ? Et pourquoi précisément le soir où on attend le propriétaire du lieu, le milliardaire américain Jonathan Alkaitis ? Ce message menaçant semble lui être destiné. Ce soir-là, une jeune femme prénommée Vincent officie au bar ; le milliardaire lui fait une proposition qui va bouleverser sa vie.
D’autres gens, comme Leon Prevant, cadre d’une compagnie maritime, ont eux aussi écouté les paroles d’Alkaitis dans ce même hôtel. Ils n’auraient pas dû…

Mon avis:

Tout commence par une inscription à l’acide « Et si vous avaliez du verre brisé? »  Intriguant n’est-ce pas? « Que peut signifier Et si vous avaliez du verre brisé ? à part J’espère vous voir mort ? » Qui a bien pu graver cette phrase, et pourquoi ?

Tout d’abord, bienvenue dans le monde de l’argent. Dans un hôtel de conte de fées, tout en verre, dans un lieu isolé et paradisiaque. Un hôtel qui ressemble aux milliardaires de ce monde : inaccessible – ou presque – étincellent de mille feux et écrasant les ombres qui gravitent autour de lui. Un univers de paraître, de paillettes, un monde de lumière.
Mais la lumière va décroitre  … et on va finir par passer de l’autre coté du miroir… dans l’ombre.. Vous souvenez-vous de l’Affaire Madoff? Ce scandale financier qui a produit une onde de choc, ruiné un nombre incalculable de personnes, engendré des drames, des suicides…
Nul doute que l’affaire Madoff a inspiré le roman. Tout comme ce magnat de la finance, Jonathan Alkaitis, le personnage autour duquel gravite le roman incarne la puissance et l’argent, la réussite et le glamour, jusqu’au jour où il se voit condamné à « cent soixante-dix ans  de prison assortis d’une période de liberté surveillée à l’issue de la peine.»… Là aussi on semble transporté dans un autre monde… une dimension qui nous dépasse…c’est juste surréaliste…  tout comme un monde où les fantômes du passé se promènent, les personnes se matérialisent et disparaissent, un monde dans lequel l’illusion est reine, un monde dans lequel les gens veulent croire à ce qu’ils savent impossible au fond d’eux…
Au programme : l’argent, la disparition d’une femme, une crise financière, la chute d’un homme, d’un système…
Tous les personnages sont pour ainsi dire des solitaires, des gens qui n’ont pas d’attaches, pas d’amis… des connaissances oui, mais pas – ou plus – de stabilité dans la vie.
Les personnages sont hors-norme aussi… Il y a la barmaid, Vincent – cette fille au prénom d’homme et son demi-frère, un musicien à la poursuite du succès. Personnage intéressant que cette Vincent qui traverse la vie en se coulant dans la peau des personnages qu’elle interprète, comme une actrice se coule dans le rôle de ses personnages et mue au fil des rôles et gardant un point fixe : faire des petites vidéos de 5 minutes et regarder/garder ainsi le monde à distance, grâce à l’objectif de la caméra. Il y a aussi une artiste peintre qui a connu le frère du magnat de la finance, il y a des investisseurs qui vont confier leur argent à Alkaitis. Toutes ces vies vont s’entremêler, se croiser, se faire et se défaire…

Un roman noir social, psychologique, mélancolique aussi, qui nous parle de la perte, du manque, de la culpabilité, des disparitions, des fantômes de ceux qui nous ont quitté et qui hantent notre vie. C’est aussi un roman sur l’invisibilité… les gens qui se fondent dans le décor, qu’on ne remarque pas et ceux qui explosent à la vue de tous, des gens qui deviennent invisibles, en disparaissant de la lumière.
Le roman parle aussi des personnes qui se voilent la face, aiment vivre dans l’illusion, en occultant dans leur esprit la réalité qui leur crève les yeux mais à laquelle ils ne veulent pas croire pour se persuader que l’illusion est la réalité. C’est confortable de s’installer dans le mirage et de fermer les yeux sur ce qui dérange… mais le réveil est brutal…
Le roman parle aussi des difficultés de la société, de cette société des gens de l’ombre, qui vivotent en marge, dans la peur du lendemain : ces personnes que l’on refuse de voir car elles nous angoissent… cette frange invisible de la société qui existe pourtant et dont on pourrait bien faire partie un jour si le sort s’acharnait sur nous: des survivants à la dérive, qui sortent à peine la tête hors de l’eau . Et de la chute des géants… 

J’ai beaucoup aimé le concept de la contrevie, dans laquelle se réfugie Alkaitis ; après avoir vécu dans le monde hors réalité des milliardaires, il plonge dans la vie derrière les murs de la prison, qui n’est pas non plus la vraie vie. Il passe de la lumière à l’ombre, d’une cage dorée à une cage tout court:  coupé de la réalité, dans une sorte d’univers parallèle, un refuge, une contrevie qui n’est pas faite de souvenirs mais qui est un monde inventé, imaginé, où se meuvent des fantômes qui sont en quelque sorte les manifestations de sa conscience qui ne le laisse pas en paix et fait revivre les personnes qui ont disparu, victimes de ses actes ou pas et qui ont quitté ce monde, son monde et se rappellent à lui.
Je vous invite à suivre la vie de ces hommes et ces femmes et je remercie une fois encore Barack Obama pour avoir pointé du doigt un livre passionnant qui sort des sentiers battus et qui est très bien écrit . 

Extraits:

Mais une personne ne peut-elle être qu’admirable ou épouvantable, l’un ou l’autre ? Faut-il que la vie soit tellement binaire ? Deux choses peuvent être vraies en même temps, se dit-il. 

Elle n’avait jamais eu une vision nette de ce qu’elle voulait faire de sa vie, jamais eu de direction ; en revanche, elle avait toujours su qu’elle voulait être « envolée », cueillie dans la foule

Vous savez ce que j’ai appris au sujet de l’argent ? Quand j’ai essayé de comprendre pourquoi ma vie à Singapour me semblait plus ou moins identique à celle que j’avais à Londres, c’est là que j’ai réalisé que l’argent est un pays en soi.

Il comprend qu’il passera le restant de sa vie en prison, mais il éprouve la même confusion que celle qu’il avait ressentie en ce moment de délire dans sa vingtaine : le restant de sa vie et prison sont deux notions qui ne vont pas ensemble, la serrure et la clef, une équation incompréhensible.

Il aime s’abandonner à des rêveries d’une version alternative des événements – une contrevie, si vous préférez –

Mais non, il s’agit là d’un souvenir, pas de la contrevie. Vincent ne figure pas dans la contrevie. Il juge important de bien séparer les deux choses, la mémoire et la contrevie, mais il trouve le processus de plus en plus difficile. La frontière est poreuse.

le silence devenait une présence, comme une tierce personne qui, jouant des coudes, se serait glissée entre eux et occupait tout l’espace

La sentence, lorsqu’elle fut prononcée, lui parut digne d’un conte de fées : il était une fois un homme emprisonné dans un château pendant cent soixante-dix ans.

elle vérifie le sens du mot. Secrétaire : une personne à qui on confie ses secrets.

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