Pieri, Lorenza « Le Jardin des monstres» (2021) 374 pages

Pieri, Lorenza « Le Jardin des monstres» (2021) 374 pages

Autrice: Lorenza Pieri est née à Lugo di Romagna, près de Ravenne, et a grandi sur l’île du Giglio. Après des études à Sienne et Paris, elle a travaillé quinze ans dans le milieu de l’édition. Elle a contribué à diverses anthologies et revues littéraires. Aujourd’hui traductrice, elle vit aux Etats-Unis avec sa famille. Le jardin de monstres est son second roman.

Romans: J’avais une île (2019) – Le jardin des monstres (2021)

Editions Préludes – 08.09.2021 – 374 pages ( traduit par Anaïs Bouteille-Bokobza)

Résumé:

Toscane, fin des années 1980. Alors que des bouleversements dans le pays contrarient les croyances et les moeurs, Sauro Biagini, éleveur de chevaux, et Filippo Sanfilippi, politicien bon vivant, deviennent amis et décident de faire affaire, liant inexorablement leurs deux familles. Mais cette entente donne naissance à des conflits et à des trahisons. Annamaria, la fille de Sauro, âgée de quinze ans, peine à trouver sa place et à s’affirmer, surtout face à la fille de Filippo, si belle et si sûre d’elle. 

Jusqu’au jour où elle découvre le Jardin des Tarots, un endroit sublime peuplé des sculptures monumentales de Niki de Saint Phalle. C’est au sein de ce lieu magique, au gré de ses déambulations et de ses échanges avec l’artiste – qui vit là -, qu’Annamaria parviendra au fil du temps à trouver un sens à son existence. Dans cette histoire fascinante, Lorenza Pieri mêle avec brio épopée rurale, saga familiale et roman de formation. 

Elle dépeint merveilleusement le désenchantement adolescent à l’instar d’Elsa Morante, Italo Calvino ou d’Elena Ferrante. Traduit de l’italien par Anaïs Bouteille-Bokobza. « Un récit familial tissé à la perfection dans lequel les amours et les différends forment une mosaïque du coeur humain et de ses révolutions ». Corriere della Sera. « Une vraie réussite ». The Financial Times.

Mon avis :
Un hommage à une artiste féministe du milieu des années 60 que j’aime énormément , tant pour sa créativité que pour sa manière de mener sa vie. Elle sera un modèle pour l’adolescente qui se cherche, qui n’est pas encore devenue adulte, une innocente dans un monde corrompu. Et le roman soulignera l’importance salvatrice de l’art. Bienvenue dans le Jardin des Tarots ou Jardin des monstres: 22 Statues comme les 22 cartes du tarot. Des statues immenses, dans lesquelles on peut entrer, des statues immenses, colorées, magiques. L’idée de la création de ce jardin en Toscane est semble-t-il inspirée par le parc Güell de Gaudí à Barcelone. 

J’ai eu le coup de coeur pour ce roman.
Un roman qui nous parle de l’immense Niki de Saint Phalle, de sa vie, de son enfance, des raisons qui ont fait qu’elle a conçu ce qu’elle a  crée, de son mal-tête, de ses souffrances, de la raison pour laquelle ses Nanas sont si imposantes.
De sa rencontre avec la jeune Annamaria, une jeune fille de la campagne, pas jolie, complexée et démolie par celle qu’elle croit être son amie, une jolie jeune fille riche, venant de la ville.
Annamaria va tomber sous le charme de Niki qui va lui expliquer la vie, car même si elle est riche et belle, elle a connu son lot de souffrance et de trahisons.
C’est le choc des cultures, des classes sociales. Cela parle amitié, amour, envie, trahison, raison de vivre, enfance, drogue, rapports familiaux, sexe, éducation, et art bien sûr. C’est à la fois une biographie de l’artiste et un roman d’apprentissage de la vie. Trois mondes qui se télescopent : celui de l’art (Niki) , celui de l’argent (la famille Sanfilippi) et le monde rural (La famille de Sauro). C’est le mélange du monde des affaires et de l’amitié, avec inévitablement la suprématie du riche sur le pauvre. La jeune Annamaria se retrouve entre ces trois univers: exploitée, trahie, malheureuse, elle trouvera refuge dans un lieu magique, hors normes, où une artiste lui ouvrira les yeux sur la vie et sur ce qu’elle peut apporter si on croit en soi et qu’on ne se laisse pas piétiner par les autres.  C’est un roman qui parle de rencontres, bonnes et mauvaises, qui déterminent un chemin de vie et de l’importance de ne pas se laisser détruire ou influencer, mais de se connaitre soi-même et de se faire confiance.

J’en profite pour vous signaler un autre ouvrage parlant de Niki de Saint Phalle commenté sur mon blog : « Trencardis » de Caroline Denys (RL2020 )

Extraits:  

Il ressortit un récit de son enfance narré par son père Settimio, un alcoolique, en des temps et lieux où boire trop n’était pas considéré comme un problème mais comme la normalité, voire comme l’occasion de se vanter d’une certaine résistance physique, quand la boisson était combinée aux travaux des champs. 

l’arthrite – « un drôle de mot, hein ? Une maladie qui contient l’art », disait-elle –, qui l’empêchait de dormir et lui arrachait des larmes de douleur, n’était rien comparée à l’angoisse qui lui tenaillait la poitrine sans trêve, un cri continu venant de l’intérieur qui la tourmentait jour et nuit. 

Personne ne lira jamais ce que j’écris dans ce journal. Je ne sais même pas pourquoi je l’écris, peut-être parce que mettre mes pensées noir sur blanc m’a toujours aidée à les clarifier, et puis ça coûte moins cher que la psychanalyse. 

elle avait toujours entendu des récits délirants de cette fête qu’ils appelaient woudstoque on de bitche et qui ressemblait à une rave avec du vin blanc de Pitigliano à la place des acides.

Alors, elle lui avait demandé pourquoi, étant donné que souvent les yeux des femmes qu’elle dessinait coulaient : les larmes étaient des perles qui descendaient de leurs yeux et les entouraient, formant des colliers.

Les quatre femmes passèrent sous l’arche du Soleil, sur laquelle était perché un énorme oiseau peint à l’acrylique, les ailes déployées et la tête ornée d’une couronne de rayons jaunes.
– C’est le symbole du soleil, je lui ai donné la forme de l’oiseau parce que c’est la créature qui s’en approche le plus. Et j’ai également utilisé les divinités des Indiens d’Amérique et les légendes mexicaines. C’est la force de vie.

La créativité de Niki, poursuivit-elle pour donner une tournure morale à son récit, naît d’une forte pulsion destructrice. Je le sais, elle me l’a raconté, elle a toujours eu des pulsions de mort, des envies de suicide. 

elle utilise l’art comme une soupape de sécurité, elle tue ses obsessions. Elle blesse ses toiles à mort pour ne pas tirer sur elle-même ou sur les gens – les hommes, son père. Elle tire et ensuite elle va mieux, elle se sent vengée, réalisée. Elle achève quelque chose, au lieu de détruire quelqu’un. C’est très intéressant.
– Des gestes cathartiques. Aristote pensait qu’en mettant en scène les tragédies, le théâtre pouvait aider les spectateurs à se purifier. Quelque chose dans le genre.

Cet homme était à peu près analphabète en grammaire émotionnelle, or elle était dans une phase de la vie où les règles du cœur changeaient en permanence.

En décrivant la forêt des suicides de l’enfer, Dante voulait rendre l’idée d’un lieu tellement inhospitalier et sauvage qu’il était encore pire que la Maremme.

On n’efface pas un traumatisme. Si on est fort, on peut le cacher derrière un masque. Un masque sous lequel on suffoque peu à peu.

Mes Nanas, qui rétablissent un pouvoir féminin dans une dimension où elles ne peuvent être écrasées…

Nana* veut dire « fille » en argot, j’ai toujours aimé que ce mot ressemble à Inanna, la déesse fille de la lune, qui a mille et un visages et qui peut jouer tous les rôles féminins. J’avais envie que mes Nanas soient grandes, plus grandes que les hommes, et colorées. La première fois que je les ai exposées, je les ai entourées de plastique et fourrées dans ma 2 CV décapotable pour les emmener boulevard Saint-Germain. L’exposition s’intitulait Nana Power. C’était il y a plus de trente ans, et pour moi elles représentent toujours le présage d’un nouveau matriarcat, la seule réponse possible. J’avais remplacé les épouses tristes et la mater dolorosa par ces femmes gaies, exubérantes, libérées, mères généreuses, épanouies dans leur rondeur et prêtes à danser.

Que c’est bête de penser protéger les autres avec des mensonges. Quand la vérité éclate, c’est mille fois pire à supporter, parce qu’en plus il y a la trahison.

« Si la vie est un jeu de cartes, nous sommes nés sans connaître les règles. Et nous devons quand même jouer notre mise. »

Photo : L’intérieur de la statue « L’Impératrice » dans le Jardin des Tarots. [Manuel Cohen – AFP] – la photo originale est en couleurs.

( Voir article « Le Jardin des Tarots de Niki de Saint Phalle a rouvert ses portes ») : https://www.rts.ch/info/culture/arts-visuels/13042705-le-jardin-des-tarots-de-niki-de-saint-phalle-a-rouvert-ses-portes.html 

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