de Cazotte, Marie-Laure « Le gardien de l’inoubliable » (2023) 288 pages
Autrice: née le 19 octobre 1959 à Boulogne-Billancourt, est une écrivaine française. Licenciée en histoire de l’art.
Romans: Un temps égaré (2014) – À l’ombre des vainqueurs – Le grand roman de l’Alsace déchirée (2014 – Prix du roman historique de Blois) – Mon nom est Otto Gross ( 2018) – Ceux du fleuve (2020) – Le gardien de l’inoubliable (2023)
Albin-Michel – 03.05.2023 – 288 pages
Résumé :
Doté d’une imagination débordante, menteur invétéré, enfant révolté et fugueur, Tristan vit avec Monsieur Kurosawa, son ami intérieur, et porte à son cou « le gardien de l’inoubliable », un galet prodigieux découvert sur une plage. Devenu étudiant, chargé de faire des recherches dans les archives d’un artiste disparu depuis un siècle, il se lance imprudemment sur les traces d’un étrange faussaire.
Afin d’échapper à son milieu, Tristan entreprend des études d’Histoire de l’art. Il découvre un artiste fascinant, Lorme, sculpteur de génie, disparu en 1913, sans laisser de traces… Il se fait alors engager chez le galeriste le représentant pour tenter de se rapprocher de son oeuvre, mystérieuse.
Après, notamment, Un temps égaré, prix du premier roman de Chambéry, et A l’ombre des vainqueurs, quatre fois primé, ce nouveau roman de Marie-Laure de Cazotte nous embarque dans une enquête palpitante empreinte de poésie et interroge les liens entre vérité et imaginaire.
Mon avis: Coup de foudre !
Merci à l’ami qui me l’a recommandé, mieux qui me l’a passé … il se reconnaîtra.
Le personnage principal de ce roman, Tristan, est un enfant qui est toujours repoussé par ses parents. Heureusement qu’il a un grand frère qui prend toujours fait et cause pour lui et le protège. A l’école, il n’a qu’un seul ami, un nouvel élève, Marc, un petit japonais qui va malheureusement quitter le village dans lequel ils habitent en lui laissant en cadeau de départ un livre. Il a aussi un autre ami, Jacob le marin: un homme qui va rejoindre ses enfants en Australie et lui lègue son voilier, ce que les parents vont très mal interpréter. Enfin il a un chien, Sultan. Il peut aussi compter sur la compréhension du psychiatre que ses parents le font rencontrer car ils ne le trouvent pas normal.
Et surtout il a un ami imaginaire, qui émerge du livre que lui a offert son ami japonais : Monsieur Kurosawa et un galet qui a des propriétés magiques que Tristan a trouvé sur la plage…
Dès que possible, il va quitter ses parents pour s’inscrire en Histoire de l’Art à la Sorbonne. Il va faire connaissance de sa grand-mère – que ses parents ne fréquentent pas – , s’intéresser à un sculpteur méconnu, Charles Félix Lorme, qui a pour obsession trois figures de la mythologie grecque : Narcisse, le Minotaure et Orphée, travailler dans une galerie d’art et … se retrouver à enquêter sur des irrégularités qui lui feront affronter bien des dangers. Mais qui est donc ce sculpteur méconnu? A vous de découvrir…
C’est un livre magnifiquement bien écrit, qui allie poésie et imagination, mythologie et psychologie. On navigue entre réel et imaginaire, la maitrise de l’art de l’autrice et le fait de mêler la mythologie à l’imaginaire est excellente et s’intègre parfaitement à l’ambiance créée. Je suis tombée sous le charme de ce gamin malaimé, maltraité, menteur et perdu dans son imaginaire, qui va évoluer au contact d’une grand-mère qui lui ressemble par bien des aspects. Une fois encore, les ravages de l’enfance laissent des traces indélébiles.
Parfois tout se mélange un peu, mais c’est comme ça dans la tête de Tristan… alors on se laisse voguer, emporter, entraîner…C’est un livre que ne ressemble à aucun autre, que j’ai adoré tant pour le fond que pour la forme.
Extraits: ( j’ai fait une petite sélection… mais difficile de choisir)
J’ignorais où peut mener le manque d’un ami et, l’aurais-je su, que peut-être n’aurais-je pas cru en ce personnage en kimono qui surgit, s’installa sur mon lit et avec lequel je me mis à bavarder en l’appelant « monsieur Kurosawa ». Sa présence qui devint une habitude m’éloignait de la villa Ulysse, de l’irascibilité de ma mère, de la dureté de mon père, des absences de mon frère, de l’odeur des lessives, de l’école.
Nous étions frères de solitude et de songes.
Enfant, régulièrement, ça n’allait pas en moi. Un cauchemar me réveillait et la crise surgissait. Je ne l’appelais pas crise, bien qu’ayant conscience d’avoir été propulsé dans un chaudron de panique. L’angoisse me tétanisait, me tambourinait le cœur, me martelait le ventre
Je pense que nos mémoires sont des cieux dans lesquels nos immenses bonheurs et nos grands cataclysmes sont des étoiles, des repères de navigation, et lorsque je songe à Jacob, je le vois comme une constellation et un cheval ailé rescapé de l’abattoir parental.
– Je suis devenu psychiatre pour ne pas mourir de mon enfance.
– Il en va de même pour les choses mal raccommodées de nos passés : elles nous hantent, nous collent à la peau, nous font chuter.
Pour moi, la vie devait se dérouler ainsi, offrir des situations pleines de coïncidences, comme dans les livres. Je prenais la vie pour un stylo-plume sans me préoccuper s’il y avait de l’encre dedans.
Imiter une voix, c’est entendre de trop près l’absence.
À vingt ans j’ignorais que l’enfance marche ad vitam aeternam à nos côtés, qu’elle ne cesse de s’écrire en nous.
Les trois thèmes, Orphée, le Minotaure, Narcisse s’y déclinaient, comme sur les sculptures, en de multiples variations. Lorme tournait en toupie autour de ces sujets illustrant trois tragédies de l’Homme. Narcisse : l’impossibilité de savoir qui nous sommes, la hantise de l’autre, de l’étranger en soi ; le Minotaure : le combat entre l’esprit et l’instinct ; Orphée : le deuil éternel.
Tout ce que nous taisions se tenait entre nous comme une valse que nous nous refusions de danser. Sa vie d’autrefois, la mienne, mes parents, auraient dérangé notre présent, et seul le présent nous était nécessaire.
En cherchant l’origine de l’expression œil de lynx, j’ai découvert que, par un glissement de langage, lynx a remplacé Lyncée, qui est le nom du pilote du navire Argo, celui sur lequel s’était embarqué Jason pour conquérir la Toison d’or. Le regard infaillible de Lyncée était tellement perçant qu’il pouvait voir à travers les nuages et les murs, ce qui n’est pas du tout le cas du lynx, animal assez myope.
on n’est jamais à l’abri des crevasses de son passé, n’est-ce pas ? –, et puis, comme on dit, l’âme a ses fragilités.
« La vérité ? Qu’est-ce que c’est la vérité, quand on sait qu’elle ne s’apprend ni dans les livres, ni dans la vie, et qu’elle n’est que l’addition impossible des faits et des intentions ? »