Agualusa, José Eduardo «La Société des rêveurs involontaires » (2019) 280 pages

Agualusa, José Eduardo «La Société des rêveurs involontaires » (2019) 280 pages

Auteur: José Eduardo Agualusa, né en 1960 à Nova Lisboa (Afrique occidentale portugaise), est un journaliste, écrivain et éditeur angolais. Il est membre de l’Union des écrivains angolais.

Romans traduits en français:
La Saison des fous. 2003, Gallimard (« Estação das Chuvas »)
Le Marchand de passés. 2006, Métailié (« O Vendedor de Passados »)
La Guerre des anges. 2007, Métailié (« O Ano em que Zumbi tomou o Rio »)
Les Femmes de mon père. 2009, Métailié (« As Mulheres de Meu Pai »)
Barroco Tropical. 2011, Métaillé (« Barroco Tropical »).
Théorie générale de l’oubli. 2014, Métailié (« Teoria geral do esquecimento »)
La Reine Ginga, 2017, Métailié (« A Rainha Ginga »)
La Société des rêveurs involontaires, 2019, Métailié (« A Sociadade dos Sonhadores Involuntários »)
Les vivants et les autres, 2023, Métailié (« O Vivos e os Outros »)

Métailié – 21.02.2019 – 280 pages  (« A Sociadade dos Sonhadores Involuntários » 2017 – traduit du portugais – Angola – par Danielle Schramm)

Résumé

Le journaliste Daniel Benchimol rêve de gens qu’il ne connaît pas mais reconnaît dans la mémoire de l’appareil photo qu’il retrouve sur une plage. Moira Fernandez, une artiste mozambicaine habitant Le Cap, met en scène et photographie ses rêves. Hélio de Castro, un neuroscientifique, les filme. Hossi Kaley, le patron de l’hôtel Arco-Iris, ancien guérillero au passé obscur et violent, se promène dans les rêves des autres, vêtu d’un costume violet, ce qui va donner à un service secret l’idée de l’utiliser pour manipuler les rêves de la population lors des élections, mais ne l’empêchera pas malgré tout de connaître un grand amour.
Les rêves rassemblent ces quatre personnages dans un pays totalitaire au bord de la destruction, où se réveillent aussi les rêves de liberté de la jeunesse.
Écrite dans un style éblouissant, cette Société des rêveurs involontaires est une histoire d’amour, un récit fantastique, un polar onirique et une vraie satire politique pleine d’humour, qui questionne la nature de la réalité tout en réhabilitant le rêve comme instrument de transformation du monde.

« Agualusa est un traducteur de rêves. La Société des rêveurs involontaires est un roman fait des plus subtils matériaux poétiques. » Mia Couto

Mon avis:

Découverte magique que cet auteur angolais.
Un livre qui parle des rêves et de revos… , comprendre de Rêveurs et de Révolutionnaires …
Un livre qui nous parle de rêve, une petite merveille d’écriture poétique, qui nous fait passer du rêve à la réalité avec quatre personnages qui sont parfois d’un coté et parfois de l’autre… la frontière entre rêve et réalité est ténue…
Daniel, va se réfugier dans un hôtel avec 7 bungalows aux sept couleurs de l’arc-en-ciel, avec 7 tables sous 7 parasols couleurs de l’arc-en-ciel et en se mettant à l’eau pour nager, il repêche un appareil photo et lit sa carte-mémoire … et ce qu’il va y trouver va alimenter ses rêves: il y fait connaissance d’une femme qui a un rapport spécial avec les rêves : elle les fait exister. Cet hôtel qui a pour nom Arco-Iris (arc-en ciel) est tenu par un certain Hossi (Hossi signifie Lion en Umbundo – un des dialectes angolais), qui se promène dans les rêves des gens, et porte d’une veste violette. Et pour finir le tour des personnages, il y a le filmeur de rêves, Hélios.
Mais ce n’est pas que ça. C’est aussi une peinture colorée de l’histoire de son pays, l’Angola. Et sous la plume poétique de l’auteur, il y a les atrocités commises dans son pays. Les quatre personnages dépeignent la réalité à travers leurs rêveries. Et la fille de Daniel est une révolutionnaire qui veut faire plier le dictateur au pouvoir.
Un livre de rencontres, un livre onirique, politique, sensuel, dépaysant…
J’ai appris que la religion yoruba à Cuba est l’équivalent du vaudou haïtien.

Extraits: (difficile de ne pas recopier tout le livre…)

Bientôt le ciel se remplirait de lumière. Des vaguelettes brodaient, l’une après l’autre, de fines dentelles d’écume. 

J’essayai de lui expliquer que nous ne pouvions pas confondre le gouvernement avec le pays. Critiquer les erreurs du gouvernement n’était pas la même chose que déblatérer sur l’Angola et les Angolais. Au contraire, je critiquais les erreurs du gouvernement parce que je rêvais d’un pays meilleur. 

Dieu a fait les lions et Il a fait les gazelles pour que les lions les mangent. Dieu n’est pas démocratique.

Veiller à ce qu’on possède encore plus, ça épuise, ça corrompt l’âme. Ce qui est bon, c’est de jouir. Je ne veux pas le voilier, je veux le voyage, je ne veux pas le disque, je veux la chanson. Tu comprends ?

Je suis flemmard, mais je suis un flemmard avec de grandes ambitions. Si c’est de ne rien avoir, alors je veux ne rien avoir beaucoup. Si c’est de ne rien faire, je veux ne faire rien, beaucoup.

La passion est un moment de folie. Les gens qui se marient par amour devraient être considérés comme irresponsables, et ces mariages devraient être annulés. […] Seuls les gens lucides devraient être autorisés à se marier. Je ne comprends pas, alors qu’il est interdit de conduire en état d’ébriété, pourquoi il n’est pas interdit de se marier ivre ou amoureux fou, ce qui est la même chose. Le mariage n’est pas si différent d’une voiture. Mal conduit, il peut blesser beaucoup de gens, à commencer par les enfants. Si on était lucide, on ne se marierait que par intérêt, comme mes parents.

Tout passe, mon ami, le temps recouvre le monde de rouille. Tout ce qui brille, tout ce qui est feu, sera bientôt cendre et rien.
– Presque tout est déjà cendre, répondis-je. Ils ont incendié mon passé.

Les nuages étaient une sorte d’alphabet, et le ciel une page blanche.

un homme énormissime, qui, s’il était un véhicule à moteur, serait un camion, comme il me le disait lui-même en riant d’un rire si fort et si frais que c’était comme si des cascades d’eau et de lumière lui jaillissaient de la bouche.

– Comprenez-moi, je ne crois pas que la violence puisse être libératrice. Donc, je ne crois pas aux guerres de libération. Toutes les guerres nous emprisonnent. Ce que vous appelez la guerre de libération est à l’origine de la guerre civile.

– Perdre la mémoire ce n’est pas la même chose que perdre un bras, me dit-il. Quand on perd un bras, on sait qu’on a perdu un bras. Les gens nous regardent et savent qu’on a perdu un bras. Avec les souvenirs, non. On ne sait pas qu’on les a perdus, personne ne s’en rend compte, mais comme on les a perdus, quelque chose dans notre cerveau cesse de fonctionner.

Le figuier se tordait dans l’après-midi comme si le vent le chatouillait. Je l’ai tout de suite aimé. L’arbre riait aux éclats, penché au-dessus du mur.– 

Les rêves sont des artefacts délicats, murmura-t-il. La plupart s’effritent à la lumière comme la peau des vampires et tombent en cendres. Peu de gens savent rêver.

Les rêves et la divination sont liés. Les rêves sont depuis toujours une discipline de la magie. Mais tu ne crois pas à la magie, n’est-ce pas ? Moi, je suis psychologue. J’y crois un peu.

l’art se distingue de la carte postale touristique, car si la carte postale apaise, l’art inquiète.

– Revenons à vos photos. On dirait des paysages…
– J’entends souvent ça. Ce n’est pas une idée qui me plaît. Les paysages se traversent, se parcourent, nous ne les vivons pas. Quand les paysages nous heurtent ou nous émeuvent, ou nous indignent, ce ne sont plus des paysages, ce sont des événements. J’aimerais que mes photos, mes tableaux, soient des événements. Je veux que mon œuvre blesse, émeuve, qu’elle irrite celui qui la regarde.

La lumière rehausse les couleurs de tout ce qui vit et décolore ce qui est inanimé. Le soleil allume les vivants et éteint les morts. 

Tous les rêves sont inquiétants, parce qu’ils sont intimes. Ils sont ce qu’on a de plus intimes. L’intimité est inquiétante.

– Les chamans, comme nos quimbandeiros, s’entraînent à rêver. Ils se servent des rêves pour comprendre le monde. Le mot “chaman” vient d’une langue de l’est de la Sibérie, qui veut dire “celui qui voit dans le noir”.

Vous me parliez dans un jardin, et vous me disiez ça, qu’avec vos photos, vos toiles, vous ne prétendiez pas chercher du sens, mais voir le dessous des choses, ce qu’il y a derrière, à l’envers, que vous vouliez déconstruire le sens commun des choses.

 Je suis en paix avec mon indolence. La paresse est la mère de tous les arts.

– C’est bon, le silence, pendant un moment. Quand cela dure trop, ce n’est plus le silence mais la surdité.

Cette nuit-là, j’allai nager. Je nageai pendant plus d’une heure, sous l’œil unique d’une lune immense. Je nageai jusqu’à ce que les lumières, sur la plage, se mêlent au torrent confus des étoiles. Alors, je m’allongeai sur le dos, flottant, tiré vers le haut par la force de la lune. Si elle avait été un peu plus près, sans doute m’aurait-elle arraché de l’eau. Et je léviterais, mon corps libre, entre les étoiles et la mer.

On n’a pas un chat comme compagnie. Partager une maison avec un chat n’est qu’une forme élégante de solitude.

– On peut changer de passeport. On ne peut pas changer d’identité.
– Pourquoi pas ?
– Parce qu’un caméléon est toujours un caméléon même s’il change de couleur.
– Non, camarade, un caméléon devient plusieurs caméléons. Nous, nous devenons des personnes différentes tout au long de la vie. Une personne peut être ukrainienne jusqu’à un certain point et puis devenir brésilienne.

Les Grecs de l’Antiquité, comme les Chinois ou les Hébreux, n’avaient pas de mot pour désigner la couleur bleue. Pour eux la mer était verte, brunâtre ou lie de vin. Éventuellement, noire. Dans la peinture occidentale, la mer ne commence à être représentée en bleu qu’au XVe siècle. Le ciel non plus n’était pas bleu. Les poètes le décrivaient rose à l’aube ; couleur de feu au coucher du soleil ; laiteux les mélancoliques matins d’hiver.

En général, nous, les femmes, mentons beaucoup. Nous mentons bien plus que les hommes. Mais nous parlons plus aussi. Nous utilisons en moyenne vingt mille mots par jour. Vous tournez autour de sept mille. Dont mille sont des gros mots…

En démocratie il n’existe pas une vérité unique : il existe des versions. Dans les dictatures, oui, il y a une seule vérité : la version officielle ! 

Le temps est une dimension comme la longueur, la largeur ou la hauteur. Ainsi, il n’y a aucun sens à dire que le temps passe. Il ne passe pas. Il est. Nous ne pouvons voyager avec lui que dans une direction unique – la direction de l’entropie, de la destruction –, mais cela ne signifie pas qu’il s’étiole. Cela signifie seulement que nous avançons. Une route ne disparaît pas au fur et à mesure que nous la parcourons.

Le pacifisme, mon frère, c’est comme les sirènes: hors de la mer de l’imagination il ne respire pas, il a du mal avec la réalité. Encore moins avec la nôtre, cette réalité si cruelle.

La peur détruit les gens. Elle corrompt plus que l’argent.
La peur n’est pas un choix. Il est impossible d’éviter d’avoir peur. Mais on peut choisir de ne pas y céder. Mes compagnons et moi avons choisis de lutter contre la peur.

Image : Baobab (imbondeiro) – Photo perso prise en Tanzanie

 

3 Replies to “Agualusa, José Eduardo «La Société des rêveurs involontaires » (2019) 280 pages”

  1. Un auteur qui mérite assurément d’être connu parce qu’il possède non seulement un talent d’écrivain rare mais qu’en plus sa prose poétique apporte une autre lumière sur le monde.
    Merci pour cette découverte !

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