Kingsolver, Barbara « On m’appelle Demon Copperhead » (RLH2024) 624 pages

Kingsolver, Barbara « On m’appelle Demon Copperhead » (RLH2024) 624 pages

Autrice: née le 8 avril 1955 à Annapolis dans le Maryland, est une écrivaine américaine. Sous forme de romans, d’essais, de nouvelles ou encore de poèmes, ses écrits reflètent son intérêt pour la justice sociale et la biodiversité. 

Elle vit aujourd’hui dans les Appalaches. Elle vit en milieu rural et déplore le mépris des élites envers les habitants des campagnes. Barbara Kingsolver a deux filles : Camille, née en 1987 d’une première union avec Joseph Hoffmann, et Lily, née en 1996, de son union avec Steven Hopp, professeur en sciences de l’environnement (Source Wikipedia)

Romans:
L’Arbre aux haricots, 1996 ( The Bean Trees, 1988)
Une rivière sur la lune, 2002 ( Animal Dreams, 1990)
Les Cochons au paradis, 1996 (Pigs in Heaven, 1993)
Les Yeux dans les arbres, 1999 (The Poisonwood Bible, 1998)
Un été prodigue, 2002 (Prodigal Summer, 2000)
Un autre monde, 2010 (The Lacuna, 2009)Orange Prize for Fiction 2010
Dans la lumière, 2013 (Flight Behavior, 2012)
Des vies à découvert, 2020 (Unsheltered, 2018)
On m’appelle Demon Copperhead, 2024 (Demon Copperhead, 2022) Prix Pulitzer de la fiction 2023 –

Albin-Michel – 01.02.2024 – 624 pages  (traduit par Martine Aubert) Prix Pulitzer

Résumé:

« Déjà, je me suis mis au monde tout seul. Ils étaient trois ou quatre à assister à l’événement, et ils m’ont toujours accordé une chose : c’est moi qui ai dû me taper le plus dur, vu que ma mère était, disons, hors du coup. »

Né à même le sol d’un mobil-home au fin fond des Appalaches d’une jeune toxicomane et d’un père trop tôt disparu, Demon Copperhead est le digne héritier d’un célèbre personnage de Charles Dickens. De services sociaux défaillants en familles d’accueil véreuses, de tribunaux pour mineurs au cercle infernal de l’addiction, le garçon va être confronté aux pires épreuves et au mépris de la société à l’égard des plus démunis. Pourtant, à chacune des étapes de sa tragique épopée, c’est son instinct de survie qui triomphe. Demon saura-t-il devenir le héros de sa propre existence ?

Comment ne pas être attendri, secoué, bouleversé par la gouaille, lucide et désespérée, de ce David Copperfield des temps modernes ? S’il raconte sans fard une Amérique ravagée par les inégalités, l’ignorance, et les opioïdes – dont les premières victimes sont les enfants –, le roman de Barbara Kingsolver lui redonne toute son humanité. 

L’auteur de L’Arbre aux haricots et des Yeux dans les arbres signe là un de ses romans les plus forts, couronné par le prestigieux prix Pulitzer et le Women’s prize for fiction.

« C’est là une magnifique démonstration de l’art de la narration. La voix de Demon sonne juste et ses péripéties aussi. » Stephen King

« Un David Copperfield des Appalaches … Demon Copperhead réimagine le roman de Dickens dans une Amérique rurale moderne confrontée à la pauvreté et à la crise des opioïdes … Le roman de Kingsolver vous emporte avec autant de force que l’original. » The New York Times

Mon avis:

Demon nous raconte son histoire. D’ailleurs il s’adresse directement au lecteur par moments.
C’est un livre prenant, qui nous retrace la vie d’un jeune depuis sa naissance. Une vie au fin fond des Appalaches, qui commence avec une naissance pour le moins rocambolesque.
Une vie qui va nous entrainer dans le tréfonds de l’Amérique.
Faut dire que le pauvre Devon n’a pas toutes les cartes en main pour réussir à la naissance… Le jeune Demon va accumuler tous les problèmes : il vit seul avec sa mère dans la presque misère dans un mobil-home. Heureusement qu’il a pour voisins une tribu – les Peggot –  qui l’a intégré à la famille. Mais bien vite tout se dégrade avec le mariage de sa mère avec un homme qui le considère comme un bon à rien, une charge et qui a l’emprise sur sa mère. Cet homme est violent et passe son temps à le rabaisser. Rapidement sa mère va mourir et le jeune Demon va être baladé de famille d’accueil en famille d’accueil … Et il ne gagne pas au change… car il est en plus loin de la tribu.
Les galères se succèdent. Puis il va avoir la chance de retrouver un semblant de  foyer, une grand-mère et des personnes positives. L’avenir s’éclaircit grâce au sport, mais pour combien de temps.. Et les ravages des anti-douleurs qui vont lui faire courir des grands dangers… Un amour toxique, des amis qui n’en sont pas… Mais il y a aussi des amis qui sont présents, et toujours les membres de la tribu, et son don pour le dessin… Un reportage sur la société édifiant et terrifiant.
Ce qui est formidable c’est que malgré tout il s’accroche, il avance, il ne veut pas se laisser dominer,  et il croit en l’avenir. Parviendra-t-il à passer le cap ? L’avenir s’annoncera-t-il plus clair à la fin du roman? Arrivera-t-il à toucher son rêve, la mer… Trouvera-t-il son âme soeur ? 

C’est un livre qui n’est pas facile à lire et que j’ai mis longtemps à lire. 624 pages ce n’est pas si long, mais c’est tellement dense et prenant que j’ai été incapable de le lire d’une traite. Il m’a fallu faire des pauses et digérer avant de continuer. On passe de moment extrêmement captivants à des épisodes qui traînent en longueur : pour moi il aurait pu être un peu moins long. C’est dur d’encaisser le parcours de vie de ce jeune qui est plongé dans la violence, la misère, l’exploitation des enfants, le racisme, la drogue, le sordide, l’enfer des familles d’accueil…
 Dire que c’est un coup de coeur :non (juste pas). J’ai pris trop de coups dans le ventre en le lisant! Dire que j’ai été frappée au coeur, bouleversée, choquée et que j’ai trouvé ce roman extra-ordinaire : oui. Et il s’inscrit dans la liste des romans que je ne vais pas oublier! 

Un grand merci aux Editions Albin-Michel – Terres d’Amérique pour leur confiance et cette lecture qui restera marquée dans les mémoires. 

Extraits:

Alors qu’est-ce que j’en sais de l’océan, moi qui me suis encore jamais trouvé debout sur sa barbe de sable pour le regarder dans les yeux ? J’attends toujours de rencontrer la grande chose qui ne va pas m’avaler tout cru.

Cet endroit où on habitait était connu pour être infesté de copperheads, des vipères cuivrées. Les gens pensent qu’ils savent beaucoup de choses.

Je me rappelle que j’ai toujours préféré regarder les choses plutôt que d’en parler. Des questions, je m’en posais. Mon problème, c’étaient les gens. Ils pensent que les gamins sont pas encore assez humains pour leur donner des réponses claires. 

Quand on est petit, on accepte des mondes différents avec des règles différentes, même d’une maison à l’autre.

Y avait un tel silence qu’on pouvait entendre les gens dans les autres appartements, ou le son de leur télé. Chacun dans son coin. Une ville, c’est l’endroit le plus bizarrement solitaire du monde.

Je savais bien ce que les gens pensaient. Mais une pensée peut pas vraiment faire de mal tant que tu mets pas des mots dessus

Elle va jouer la comédie, laisser croire à cet homme qu’il est la réponse à ses prières. Mais cette nuit-là elle se rappelle cette autre chose qu’elle a été assez stupide pour oublier : la colère vaut mieux que les regrets.

Péquenaud c’est comme le mot qui commence par un n pour les Noirs.

On avait la lune à la fenêtre pour nous sourire un instant et nous dire que le monde nous appartenait. Parce que nos parents s’étaient tirés quelque part et avaient tout laissé entre nos mains.

Mais non, finalement il a dit que j’avais un don. « Les mecs, vous voyez ça ? », il a dit en tapant sur la page du dos de la main. « Ce truc, ça s’apprend pas. C’est du talent. » Et d’un seul coup la vie de merde que j’avais eue jusque-là est devenue digne d’être vécue. Alors je me suis donné à fond.

Comme dit le proverbe : quand ils ont distribué l’intelligence, il a compris diligence, et il a raté la sienne.

Mais avec le temps, j’ai fini par n’avoir plus qu’une seule chose en tête, pour ce qui est de l’enfance. Dire à tous ceux qui ont la chance d’en avoir une : prends-la, cette merveilleuse enfance, et cours. Cache-toi. Aime-la de toutes tes forces. Parce qu’elle va te quitter pour plus jamais revenir.

Ça m’a pas mal sonné, de voir qu’aucune tristesse, quelle qu’elle soit, n’empêchera le monde de tourner. Chacun poursuit son petit chemin, et toi tu te démerdes.

on peut garder la tête haute et s’élever, même si on a pas eu de chance au départ. Durant toutes ces années où j’avais pas eu un seul adulte pour me défendre, il m’avait montré qu’il était possible de les battre à leur propre jeu.

Travailler dur ? Je vais vous dire ce que c’est : essayer de venir à bout d’une journée sans qu’on te montre du doigt, affreux jojo que tu es, sans qu’un prof te fasse honte, que les filles se moquent, ou que tu te prennes un coup en traître. Encore une fois, si vous avez vécu ça, vous connaissez.

j’ai dit que j’allais vers mes quinze ans. Encore une fois, pas vraiment un mensonge, tu vas vers cet âge jusqu’au jour où t’y arrives.

Je voulais rentrer à la maison. C’est-à-dire nulle part, mais c’est un réflexe qu’on garde, même quand y a plus aucun endroit où aller.

Mes tatouages c’étaient les sales marques de la vie : raclées, mensonges, journées à me défoncer avec de l’herbe, des mois à avoir faim. 

Pourquoi vouloir à ce point retourner à l’endroit où mon enfance avait été broyée ? Après y être allé, je l’ai su. La raison c’était le pouvoir. Regarder la Maison du Diable droit dans les yeux et hurler à tout ce qui grouillait à l’intérieur, prêt à l’attaque, « Fuck you. Fuck tes raclées, fuck pour nous avoir fait crever de faim et pour nous avoir tous mais surtout Tommy donné envie de mourir. Fuck pour m’avoir rendu heureux que ce soit lui et pas moi. » Vomir et cracher sur l’herbe gelée. Tourner le dos au mal et partir.

Tout le monde te met en garde contre les mauvaises influences, mais c’est ce que t’as à l’intérieur de toi qui finit par te démolir.

Un parent mort est un drôle de fantôme. Si t’arrives à en faire une sorte de poupée, que tu la mets dans la maison où il a vécu, avec ses vrais vêtements et tout le reste, ça t’aide à te le représenter comme une personne, pas juste un trou dans l’air en forme de personne. Ce qui t’aide à te sentir un peu moins comme un enfant invisible en forme de personne.

On n’est pas des riens du tout. Si j’avais tellement envie d’être un homme, alors fallait que j’arrête de penser comme un moins que rien.

Il parlait de discipline, moi j’emploierais d’autres mots. Survie. Tout donner, chaque jour que Dieu fait, et c’est comme ça depuis le début.

Ce que je veux dire, c’est que tu te réveilles mais tu restes le même, chaque matin. Je suis pas comme ça, je craque moi aussi. Je change juste de disque, pour m’adapter aux gens. »

Changer pour faire plaisir aux gens, c’était une bonne idée sur le papier.

Le plus extraordinaire, c’est que tu peux commencer ta vie avec rien, la finir avec rien, et perdre tant de choses entre-temps

Information
Melungeons : Les Melungeons sont une ancienne communauté métissée vivant initialement dans l’est du Tennessee, la Virginie-Occidentale, l’est du Kentucky et la Caroline du Nord depuis au moins 200 ans et peut-être depuis plus longtemps. On estime la population à 4 millions, mais beaucoup de personnes d’ascendance melungeon sont susceptibles d’ignorer leurs origines, ou de les cacher en raison du racisme hérité de la ségrégation raciale.

Image : Copperhead ou vipère cuivrée

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