Mytting, Lars « Les Seize Arbres de la Somme» (2017) 419 pages

Mytting, Lars « Les Seize Arbres de la Somme» (2017) 419 pages

Auteur: Né le 1 mars 1968 à Fåvang (Norvège) , Lars Mytting a entamé une carrière de journaliste et d’éditeur avant de se consacrer à l’écriture à plein temps. Il est l’auteur de quatre romans, tous salués par la critique, ainsi que de L’Homme et le Bois (Gaïa, 2016), qui a connu un succès international.

Chez Actes Sud a paru Les Seize Arbres de la Somme (2017), Les Cloches jumelles (2020) et L’Étoffe du temps (2022).

Actes Sud Lettres scandinaves – 01.11.2017 – 419 pages / Babel, 02.10.2019 – 480 pages – Traduit par Celine Romand-Monnier

Résumé
En 1971, un jeune couple franco-norvégien trouve la mort au fond d’un étang de la Somme dans d’étranges circonstances. Edvard, leur fils de trois ans, est porté disparu. Il n’est retrouvé que quatre jours plus tard, à une centaine de kilomètres du lieu du drame. Comment le petit garçon a-t-il échoué là ? Où était-il pendant tout ce temps ? Et pourquoi ses parents s’étaient-ils aventurés en pleine nuit dans cette forêt encore truffée d’obus et de grenades à gaz datant de la Première Guerre mondiale ? Elevé par son grand-père dans une ferme isolée en Norvège, Edvard n’a jamais su ce qui s’était réellement passé en France. 

Lors du décès de son aïeul, il apprend qu’un cercueil magnifique en bois précieux a été livré aux pompes funèbres quelques années auparavant, envoyé par son grand-oncle, un ébéniste d’exception. Celui-ci est pourtant mort depuis des décennies… Des îles Shetland aux champs de bataille de la Somme, le jeune homme part sur les traces de ce cercueil mystérieux, sans savoir encore qu’il va exhumer les secrets d’une histoire familiale étroitement liée aux conflits qui ont meurtri le siècle.

Mon avis:

Tout comme j’ai beaucoup aimé son roman « Les Cloches jumelles » j’ai beaucoup apprécié celui-ci. Même entame : un drame . Et comme dans l’autre roman, des personnages attachants, une partie artistique (ici l’ébénisterie, le travail et les essences du bois), la nature, le monde agricole, le pasteur, les rapports familiaux et sociaux, un roman qui parle de l’Histoire et une saga familiale. 

Le personnage principal est Edvard Hirifjell, un jeune homme qui a été élevé par son grand-père qui l’a recueilli après la mort tragique de ses parents, survenue alors qu’il avait 3-4 ans: tous trois étaient partis en vacance en France, dans la Somme et seul lui a survécu au voyage. A la mort de son grand-père, il va ressentir le besoin de découvrir ce qu’il s’est passé lors de ce voyage en France et va enquêter sur ses origines. Et la photographie va jouer un grand rôle dans ce roman. Son enquête va le mener aux Iles Shetland, en Ecosse, avant d’aller en France sur les lieux du drame et il va rencontrer des personnage liés de près ou de loin à sa propre histoire, comme il découvrira au fur et à mesure. Il va aussi en apprendre davantage sur le frère de son grand-père, Einar qui avait quitté la ferme de ses parents et envisageait de rejoindre la résistance et qui était finalement devenu un maître ébéniste; c’était l’ainé des frères et de ce fait l’héritier de la ferme mais il avait disparu, exécuté pendant la guerre. Son grand-père, Sverre, était donc devenu le propriétaire de la ferme ce qui tombait bien vu que c’est lui qui avait les compétences en matière d’agriculture. Edvard va découvrir la relation de haine qui liait les deux frères, leurs modes de vie et de pensée totalement opposés (entre la croix gammée et la résistance il y a un monde…) et petit à petit faire des découvertes sur ses origines. Le roman traverse les deux guerres mondiales, et mêle la grande Histoire et l’histoire de plusieurs familles.
 Edvard va se retrouver en porte-à-faux entre deux mondes, deux amours, deux classes sociales, deux mondes…
L’auteur va aussi nous parler nature : l’élevage des moutons en Norvège, l’amour du bois, la rudesse du climat des Shetlands, la neige, les tempêtes, et aussi les dégâts faits à la nature par les hommes, pendant la guerre.
Cet auteur est un merveilleux conteur, j’aime son écriture poétique par moments  et je vais continuer à le lire. 

Extraits:

Je m’achetais un nouvel objectif tous les ans, pour un montant que la plupart des gens jugeaient excessif pour une télé. Chaque nouvelle focale m’apportait un nouveau monde. Le téléobjectif qui rapprochait le motif et plongeait l’insignifiant dans le brouillard. Le macro qui faisait abriter une planète entière à la corolle d’une fleur. Et à présent, un grand-angle qui déployait l’horizon, rendait le moyen petit, transformait les bagatelles en poussières dans l’œil. Il requérait d’autres motifs, de nouvelles idées sur le premier et l’arrière-plan.

Je ne voulais pas laisser mes pensées prendre forme devant moi. Ce que tu n’as pas eu ne peut pas te manquer, me disais-je à moi-même.

Tant qu’il y avait des gens que je connaissais dans le bourg, cinq heures du soir était une heure belle et creuse. Une heure qui ne faisait pas la distinction entre ceux qui travaillaient et ceux qui étudiaient, une heure où la seule différence entre nous était que lui fumait des Marlboro et moi des roulées.

Les bouleaux flammés ? C’est le plus beau matériau d’ébénisterie dont on dispose dans ce pays. Ça vient d’arbres blessés. La madrure se crée quand l’arbre s’autosoigne.

À travers le grand-angle, je voyais les troncs s’étirer jusqu’au ciel. Ç’allait être bien. Ce que je voyais était identique à ce que je souhaitais voir. Le feuillage, la couche nuageuse, les troncs et l’élément étranger, le fer, ce qui allait faire de cette image une photographie et pas un simple instantané.
L’obturateur émit ce bref chuchotement de Leica qui capture quelque chose qui est pour le transfor­­mer en quelque chose qui a été.

Un beau morceau de musique rapproche davantage de Dieu qu’un pasteur ne pourra jamais le faire. Nous sommes nombreux à parler des cieux, mais rares sont les gens qui peuvent comprendre l’éternité.

Il parlait de consolation, mais la tournure que prenaient les choses commençait à me déplaire. On aurait dit qu’il s’adressait au conseil pastoral et parlait de quelqu’un d’autre. Ce mélange de commérage et de prévenance qui a toujours donné aux croyants un prétexte pour fouiner dans les histoires des gens. 

quand il aurait pu dire combattant du front de l’Est, il disait toujours traître à la patrie, et pas simplement traître, il saupoudrait la haute trahison avec générosité et ne boudait pas son plaisir quand il pérorait sur les pays étrangers qui, après la guerre, s’étaient mis à employer quisling comme un nom commun.

(Vidkun Quisling, collaborateur norvégien pendant la Seconde Guerre mon­­diale. Il est devenu chef du gouvernement à la suite de l’invasion de la Norvège par l’Allemagne en 1940. Son nom est devenu synonyme de traître. – note du traducteur)

— Vous parlez vrai, là, non ?
— Je parle toujours vrai. Mais je ne parle pas toujours.

Une vague souvenance s’éveillait en moi, sans s’avancer. Comme si je me trouvais devant une porte verrouillée, que mon souvenir s’agitait de l’autre côté, et que nous cherchions tous deux la clef.

La chemise épousait mon corps, tout comme la veste. J’avais l’impression d’être un Leica, dont ces vêtements étaient l’étui.

la pellicule était capable de capturer le temps alors que j’étais moi-même quelqu’un qui avait un jour perdu le temps qui m’appartenait.

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