Philippon, Benoît « Papi Mariole » (2024) 368 pages
Auteur : Né en 1976, Benoît Philippon grandit en Côte d’Ivoire, aux Antilles, puis entre la France et le Canada. Il devient scénariste puis réalisateur pour le cinéma. Après « Cabossé » (2016) publié dans la Série Noir et Mamie Luger (2018), il publie « Joueuse » (2020), « Petiote » (2022), « Papi Mariole » (2024)
Albin-Michel – 01.03.2024 – 368 pages
Résumé:
« Accrochez-vous à vos bretelles, ça va valser. »
« Bon sang de bon soir, mais qu’est-ce que je fous là ? »
À l’entrée du périph, un vieux monsieur, peignoir en velours et chaussons en peluche effilochés, se répète inlassablement cette question. Échappé de son Ehpad, Mariole, tueur à gages, ne se souvient plus de rien, sauf d’une chose : il lui reste une mission à accomplir. Seul problème, il ne sait plus laquelle.
Mathilde, elle, se bourre d’anxiolytiques pour oublier. Victime de revenge porn, jetée en pâture sur les réseaux sociaux, elle se dit que le plus simple est peut-être d’en finir… à moins de faire équipe avec le vieil amnésique venu à sa rescousse: en l’aidant à retrouver la mémoire, Mathilde pourrait se payer une revanche en or.
Après le succès de Mamie Luger, Benoît Philippon nous embarque dans un trip fantasque, drôle et bouillonnant.
Mon avis:
Une fois de plus Benoît Philippon traite de sujets de sociétés graves, dramatiques, en alliant humour, tendresse, humanité, drôlerie. Et pourtant il dénonce! Et pas qu’un peu ! Encore un coup de coeur pour cet auteur. Et pourtant , pendant les quelques premières pages, j’ai eu un peu peur que le nombre de bons mots et de trouvailles par paragraphe n’occulte l’histoire, car pour ma part je commençais à trouver qu’il y avait surenchère. Heureusement par la suite les trouvailles sont toujours là mais elle saupoudrent savoureusement le déroulement des événements. Il y a des scènes qui pointent une société machiste intolérable et les dégâts que peuvent générer les réseaux sociaux, de réflexions poignantes sur la maladie d’Alzheimer qui grignote peu à peu la vie.
Des personnages attachants : Mariole et Mathilde et surtout il ne faut pas oublier Madame Chonchon… une rencontre improbable et un lien indéfectible va se nouer entre ces deux personnages à la ramasse et à la dérive.
Deux motivations, deux enquêtes: pour Mathilde retrouver son envie de vivre, se relever, se venger et pour Mariole retrouver une personne qu’il recherche, honorer son « dernier contrat » . Oui mais Mariole avec sa mémoire en gruyère – et il lui reste surtout les trous a un léger souci … il ne sait plus quel était ce contrat… Alzheimer gagne du terrain et le temps presse…
Quand à Mathilde, après ce qu’elle a subit et la destruction de sa vie amoureuse, intime, sociale et l’acte odieux qui l’a précipitée dans la dépression… elle est au fond du trou…
La fine équipe va-t-elle réussir à atteindre les deux objectifs ? Mariole et Mathilde vont s’épauler, s’aider, unir leurs compétences et affronter leurs pires peurs, en compagnie de Madame Chonchon. Et ils vont en vivre des aventures, tantôt dramatiques, tantôt rocambolesques mais toujours main dans la main. Et je vous laisse vous indigner, être révoltés, être anxieux, rire, enquêter, être émus en leur compagnie.
Extraits:
Mathilde s’était sentie comme un bout de gras laissé sur le bord d’une assiette. Elle s’était rhabillée en regardant le reflet que lui renvoyait le miroir de la chambre.
Il ne lui reste plus beaucoup de temps. À vivre, il ne sait pas, à réfléchir droit, il en a la certitude.
L’étroitesse d’esprit de ses interlocuteurs et les refus cumulés ont étouffé son enthousiasme. À trop l’empêcher de briller, son étincelle s’est éteinte. Le quotidien a repris ses droits. En douceur, sournois.
La chronologie hachée de sa vieillesse lui déglingue sa temporalité. C’est démoralisant de ne jamais savoir s’il erre dans le passé ou au présent entamé, s’il vient de manger ou si ça n’a pas été fait, s’il sort d’une nuit d’insomnie ou si la sieste n’a pas commencé.
Proust avait raison, avec sa meringue. Ou était-ce un quatre-quarts ? Mariole ne sait plus. Il y avait une histoire de gâteau et de nostalgie.
Vous avez dit que vous alliez vous « émietter ».
En pointillé de son errance, Mariole dessine les contours d’un tableau qui commence à faire sens. Plus il avance, plus il accumule les pense-bêtes qui lui permettent de savoir d’où il vient, et, progressivement, où il va.
– Quand on n’a plus rien à perdre, c’est le moment où on se sent le plus vulnérable… Paradoxalement, c’est là qu’on devient invincible…
La vendeuse s’étire sur la pointe des pieds – elle n’est pas plus haute que trois bouquets de lilas – et cueille un ravissant flacon aux teintes roses et contours bleutés qui ne sont pas sans rappeler les mèches colorées de sa destinataire.
– Dory ?
– Bah oui, Le Monde de Némo, vous l’avez pas vu ? Dory, la poisson amnésique.
Mathilde s’interrompt pour une question existentielle de la plus haute importance :
On dit poissonne au féminin ?
C’est bien tout le problème avec le harcèlement, s’emporte Mathilde, on pose pas le bon vocabulaire sur les dérapages, du coup, c’est la fête à l’impunité. Chez les mecs, comme chez les flics, on s’en ballek, et qui c’est qui trinque ? Bah, c’est les filles, comme d’hab’, et y en a marre parce que…
La violence masculine a commencé à la maison. La première dégradation de l’image de soi a débuté dans le regard du père. Toujours à la rabaisser. À l’humilier. Pas besoin de violence sexuelle pour déglinguer une gosse.
Elle appuie sur le bouton rouge. L’arme la plus destructrice de ce monde dématérialisé. La puissance virale. Internet, la machine à broyer.
Choisir est le luxe des élites. Quand on n’a rien ou que le sort s’acharne à vous écraser la tronche dans la boue, on s’accrocherait à n’importe quoi pour s’en sortir. Et si la corde tendue ressemble à du barbelé rouillé, on ne pense pas au tétanos, on s’y agrippe en serrant les dents. Un mal à la fois, on désinfectera plus tard.
On croit toujours qu’on a le temps. La seule certitude qu’il nous reste, ce sont les regrets