McDaniel, Tiffany « Du côté sauvage » (RLH2024) 707 pages

McDaniel, Tiffany « Du côté sauvage » (RLH2024) 707 pages

Autrice : Tiffany McDaniel vit à Circleville dans l’Ohio, État où elle est née en 1985 et a grandi. Son écriture se nourrit des paysages de collines ondulantes et de forêts luxuriantes de la terre qu’elle connaît. Elle est également poète et plasticienne. En 2002, elle a dix-sept ans et la découverte de secrets de famille déclenche son envie d’écrire. En 2003, elle achève une première version de Betty, qu’elle envoie à des agents littéraires. Mais c’est seulement en 2017 que le prestigieux éditeur américain Knopf, maison littéraire du groupe Penguin, s’intéresse au roman. Les droits de publication à l’étranger sont cédés dans plusieurs pays, dont la France et l’Angleterre. Betty paraît en 2020. Le livre est un immense succès et remporte de nombreux prix littéraires : Prix du Roman Fnac 2020, Prix America du meilleur roman étranger 2020, Roman étranger préféré des libraires du Palmarès Livres Hebdo 2020, Prix des libraires du Québec 2021, Prix Libr’à Nous 2021 du meilleur roman étranger, Prix 2022 du club des irrésistibles des bibliothèques de Montréal.
L’été où tout a fondu, écrit quelques années après Betty, trouvera un éditeur en moins d’un mois : il s’agit donc du premier roman publié de Tiffany McDaniel, même si c’est le 5e ou 6e dans l’ordre d’écriture.
Tiffany McDaniel a obtenu le titre de Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres en juillet 2021. (Source Gallmeister)

Romans traduits en français :
L’été où tout a fondu (The Summer That Melted Everything 2016)
– Betty (Prix du roman Fnac 2020 – Prix America du meilleur roman – Roman étranger préféré des libraires
Du côté sauvage (On the Savage side 2023)

Editions Gallmeister – Parution 07.03.2024– 707 pages (On the Savage side traduit par François Happe) 

Résumé :

Arc et Daffy sont jumelles, nées à une minute d’intervalle. Unies par leur indomptable chevelure rousse, les récits de leur grand-mère et une imagination fertile, les deux soeurs sont inséparables. Ensemble, elles fuient un quotidien sordide en plongeant dans un monde imaginaire. Pourtant, irrémédiablement engluées dans les ténèbres familiales, elles ne peuvent échapper aux fantômes qui les hantent. 

Devenue adulte, Arc lutte toujours avec ses souvenirs lorsque l’on découvre le corps d’une femme noyée dans la rivière. Bientôt, les cadavres s’accumulent. Alors que ses amies disparaissent autour d’elle, Arc se rend peu à peu à l’évidence tenir la promesse qu’elle a faite à Daffy de les protéger des puissants remous du « côté sauvage » de l’existence s’avère impossible. Le nouveau chef-d’oeuvre élégiaque de Tiffany McDaniel est une ode à toutes celles qui ont disparu ou qui ont perdu un être cher, une ode transcendée par une plume virtuose et lumineuse.

Mon avis:
Le livre a été inspiré à l’autrice – native de l’Ohio –  par une série de disparitions et de meurtres dans cet Etat, à Chillicothe, très exactement.  Il leur est d’ailleurs dédié. Mais elle situe son roman dans la deuxième moitié du XXème siècle (entre 1970 et 1990) et non entre mai 2014 et mai 2015 comme c’est le cas dans la réalité.

Tout comme dans son roman précédent, « L’été ou tout a fondu » on retrouve une ambiance très dure, un coté extrêmement sombre mais autant je n’avais pas été extrêmement choquée par le précédent autant j’ai vraiment dû m’accrocher pour finir celui-ci  et je sais maintenant que je ne vais pas m’aventurer dans « Betty » (enfin je dis ça maintenant mais ses livres valent vraiment la peine d’être lus… alors…). Je sais que pour beaucoup de gens c’est un coup de coeur mais pas pour moi du fait de l’extrême noirceur du roman.

C’est un excellent roman, mais tellement dur et déprimant. Oui je sais, c’est la vraie vie, la réalité de certains. Des situations qu’il faut dénoncer et ne pas se voiler la face. 

Oui le couple des jumelles Arc/Daffy est fusionnel (c’est le moins qu’on puisse dire) – deux moitiés de la même – mais c’est tellement glauque, sombre, triste, déprimant. Le livre qui tire vers le bas; certes il dépeint une réalité mais j’ai l’impression que le récit t’enfonce plus qu’autre chose… C’est trop misérabiliste, trop de noir tuerait presque la poésie et la magie de son écriture…
Après moins de la moitié du livre, j’ai eu envie que cela finisse… je l’ai lu jusqu’au bout car il y a malgré tout des moments de grâce et de lumière, des scènes superbes mais une telle violence et une telle pauvreté… elle a presque même réussi à éteindre l’attachement que j’avais au début pour certains personnages…  Toutefois mon attachement est resté constant pour une personne qui traverse tout le livre, bien que disparue dès le début : la grand-mère, Mamie Milkweed .
Et la partie nature et connexion êtres/nature: la rivière, la terre. Le rapport à la nature est magnifiquement traité, en particulier à la terre et à l’eau, les deux moitiés des jumelles formant la symbiose terre/eau, roches/vagues… L’air aussi est bien présent sous forme de vent…
Il y a des moments qui parlent des origines, du passé, de l’Histoire ancienne, de poésie, de culture

Un roman sur la désespérance, la dépendance, les relations mère-fille, sur le statut de femme, sur  la pauvreté, la violence, la drogue, 

Si vous avez le coeur bien accroché, que les scènes dures de misère, de dépendance à la drogue, de violence envers les femmes, de déchirement, de quête d’un petit coin de ciel bleu ne vous tordent pas les tripes, n’hésitez pas à le lire car l’écriture est belle et les personnages poignants. Mais sachez que vous avez intérêt à avoir le moral car sinon vous allez finir cassés… 

Extraits: (oui il y en a beaucoup mais le livre fait plus de 700 pages…)

Il fut un temps où ces terres étaient appelées Chala-ka-tha par les tribus autochtones qui vivaient là depuis des milliers d’années, quand les colons européens vinrent s’en emparer et leur donner un nom que la langue des Blancs pouvait s’approprier. Chillicothe.

Sous ces nuages de l’Ohio, une rivière va continuer à couler, et une mère va pleurer toutes les larmes de son corps. Dans les courants, accélérés par la pluie et le brouillard, jusqu’à quelle distance de chez lui un corps peut-il dériver ?

Deux filles aux cheveux d’un roux flamboyant et aux yeux étranges. Mon œil droit était bleu. Le gauche était vert. C’était l’inverse pour Daffy. Nous sommes nées toutes les deux avec une heterochromia iridis. C’est ainsi que les docteurs ont appelé la différence de couleur de nos yeux. Mais pour nous, à l’ombre de la papeterie, c’étaient des billes de sorcières.

— Il y a quatre éléments dans l’univers, nous dit un jour mamie Milkweed, à Daffy et moi. La terre, l’air, le feu et l’eau. Vous avez le feu dans vos cheveux. Vous avez l’air dans vos poumons. Et vous avez la terre dans votre œil vert et l’eau dans votre œil bleu.

— Est-ce que vous savez ce qui arrive aux ombres des oiseaux quand ils volent ? Leurs ombres se prennent dans les branches des arbres et les sorcières s’en emparent. Et est-ce que vous savez ce qui arrive aux ombres des poissons quand ils nagent au-dessus des rochers ?

— Leurs ombres sont prises et emportées par les sorcières ? demandai-je.
— C’est cela, Arc. Ensuite, les bords des ombres sont lissés quand les sorcières les font rouler dans leurs mains. Et elles les font rouler jusqu’à ce qu’elles deviennent des billes. La plus sage des vieilles sorcières a pris quatre de ces billes et en a donné une de chaque à vous deux pour qu’elles soient vos yeux, et pour que chacune de vous soit toujours la moitié de l’autre. Un œil bleu pour la fille qui aime nager. (Elle tapota la tête de Daffy.) Un œil vert pour la fille qui aime creuser dans la terre. (Elle tapota ma tête.)

promettez-moi que vous m’enterrerez le visage tourné vers le bas, pour que la terre ne me remplisse pas les yeux, comme ça je serai la seule rêveuse morte qui ne sera pas à moitié aveugle.

— Comme tu l’as diluée avec de l’eau de la rivière, lui dit Sage Nell, on va avoir la rivière en nous. On va vivre pour l’éternité.
— Qu’est-ce qu’on en a à foutre de l’éternité ? (Thursday regardait le mélange bouillonner dans la cuiller.) Ce que je veux, c’est maintenant.

— La pluie est une femme en train d’expliquer le temps, nous racontait-elle. L’herbe en est une qui grandit au fil des années, et la rivière en est une autre qui n’a pas ri dans sa vie, et ce sont ses larmes qui creusent la terre.

Toutes les routes, par ici, ne sont pas couvertes de cailloux, les filles, mais des cicatrices de la femme, parce que seules les cicatrices d’une femme sont assez solides pour supporter qu’on leur roule dessus sans arrêt.

— Toutes les femmes disparaissent de temps en temps, ma chérie. L’important, ce n’est pas de disparaître, c’est comment se trouver soi-même.

Mamie Milkweed a de la dentelle dans les coins de sa maison.
— Ce sont des toiles d’araignée, ma chérie.

Dans la vie, il y a le côté sauvage et il y a le beau côté.

Tu te souviens que mamie Milkweed nous racontait qu’on avait des océans dans les yeux ? Et que chaque larme qu’on perdait emportait avec elle une sirène ou un poisson ? Tu ne veux tout de même pas laisser partir des sirènes ou des baleines ou des poissons remarquables, n’est-ce pas ?

— Parce qu’une brise est un murmure et qu’un vent est un cri. Et une fois que tu as attrapé un cri, il faut aller le noyer dans la rivière.

Elle disait toujours que la rivière chantait pour les femmes et pour ses filles, et qu’elle soufflait dans sa trompette en direction du ciel, expulsant tout le chagrin en même temps. 

— Je me souviens du jour où Nell et moi, on a fait un gâteau au chocolat ensemble, chez moi, dit Violet. Elle voulait laisser le gâteau dans le four plus longtemps que nécessaire. Je lui ai dit qu’il allait être brûlé. Elle m’a répondu que ce n’était pas grave. Qu’elle voulait que la cuisine sente comme celle de sa mère.

— Tu savais que dans l’Antiquité, les Égyptiens fabriquaient de l’eye-liner en mélangeant de la malachite et de la galène pilées à de la graisse animale ? Ils croyaient que l’eye-liner empêchait les mauvais esprits de pénétrer dans l’œil et de corrompre l’âme.

Le Tartare. C’est le nom que les Grecs de l’Antiquité avaient donné aux ténèbres sous la terre. On disait que si on laissait tomber une pierre, il lui faudrait neuf jours pour atteindre le Tartare. 

La dépendance est une voleuse. Elle vous vole les minutes du jour. La couleur du ciel. Elle vole le héros de l’histoire, les feuilles sur les arbres, la réponse à la question Qui suis-je ? La voleuse ne disparaît pas complètement parce que vous avez cessé de vous planter une aiguille dans le bras. L’abstinence est juste une meilleure cachette pour les minutes du jour, la couleur du ciel, la réponse à la question Qui suis-je ?

… il nous arriva de mentionner comment elle nous mettait au lit avec un bulbe de fleur sous notre oreiller.
— Pour qu’elle prenne racine dans vos rêves, nous avait-elle dit. Quand il vous faudra quitter votre rêve, il vous suffira de trouver la fleur, lui enlever ses pétales, et vous vous réveillerez.

Maintenant, j’ai déjà tout foutu en l’air. Je n’ai plus peur que ça arrive. Alors je vais rester ici et continuer à tout foutre en l’air, parce que de toute façon, c’était couru d’avance.

Une fille sans sa mère est une femme perdue en mer. C’est sa mère qui la sauve. Mais si la mère n’est pas là, la fille sera toujours perdue.

— ÊTRE une femme, c’est venir de l’aube des temps, disait mamie Milkweed en se regardant dans le miroir. C’est le plus grand défi que nous lance Dieu. Si nous échouons, nous ne sommes promises à rien d’autre que cet échec pour l’éternité, perdues dans la brume, aux limites du comté. Si nous trouvons notre chemin pour sortir de là, remercions les femmes qui nous ont précédées d’avoir laissé la lumière allumée pour lutter contre l’obscurité.

C’est ce que tu es pour moi, tu l’as toujours été. Toujours là pour me sauver quand les eaux montaient. Mais le problème, quand tu veux sauver quelqu’un d’une inondation, c’est que tu dois te mettre à l’eau, toi aussi. Et parfois, tu n’en ressors pas.

Je ne peux pas dire qu’aujourd’hui je ne vais pas m’effilocher.
Il est dans ma nature de partir – partir, et en même temps rester.

Je ne veux pas me trouver d’excuse. J’ai choisi de prendre la seringue, mais je veux dire qu’une droguée a aussi été une enfant. Nous avions l’espoir et nous faisions le rêve de devenir autre chose. Notre rêve n’était pas de nous supprimer. 

Information : Fait divers
Le FBI enquête sur la disparition de six femmes, toutes habitants de Chillicothe, dans l’Ohio. En 13 mois, quatre d’entre elles ont été retrouvées mortes. Les habitants craignent un tueur en série mais rien n’a été prouvé.
Les six avaient des points communs : problèmes de drogue, plusieurs se connaissaient, les corps retrouvés près de points d’eau, certaines se prostituaient

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