Ogawa, Yôko « Le Petit Joueur d’échecs» (2013) 320 pages
Autrice : née le 30 mars 1962 à Okayama, dans la préfecture d’Okayama, est une écrivaine japonaise, auteur de nombreux romans — courts jusqu’en 1994 — ainsi que de nouvelles et d’essais. Elle est diplômée de l’université Waseda et elle vit à Ashiya, Hyōgo, avec son mari et son fils.
Ses romans : Amours en marge – Hôtel Iris – Parfum de glace – Le Musée du silence – La Formule préférée du professeur – La bénédiction inattendue – La Marche de Mina –Cristallisation secrète – Les Tendres Plaintes – Manuscrit zéro – Le Petit Joueur d’échecs – Petits oiseaux – Instantanés d’Ambre – Petites boîtes –
Nouvelles: Les paupières -La mer – Jeune fille à l’ouvrage – Les lectures des otages –
Actes Sud – Littérature japonaise – 13.03.2013 – 320 pages/ Babel – 02.09.2015 – 329 pages
Résumé:
Un petit garçon né avec les lèvres scellées vit aujourd’hui avec un léger duvet sur la bouche, une hypersensibilité à tout déplacement d’air. Après la disparition de sa mère, il passe de longs moments sur la terrasse d’un grand magasin, là où serait morte l’éléphante Indira. On dit que ce bel animal, mascotte d’un lancement promotionnel, devint un jour trop gros pour quitter les lieux. Un matin, cet enfant solitaire découvre le corps d’un homme noyé dans le bleu d’une piscine.
Et c’est en cherchant à savoir qui était ce malheureux que le gamin rencontre un gardien d’usine, un être obèse installé dans un autobus immobile et magique. Dès lors se dessinent entre eux une confiance quasi filiale, une relation toute familiale, un désir de legs, une envie d’héritage. L’homme, passionné par les échecs, va faire du gamin son héritier de coeur, il va lui enseigner la stratégie du jeu, tout un art auquel le jeune garçon ajoute une spécificité : il joue tel un aveugle, sans voir son adversaire, sans voir les pions…
Retrouvant dans ce livre le motif du vieillard et de l’enfant, celui du lien issu d’une passion partagée, Yôko Ogawa poursuit l’exploration du sensible pour interroger, tel un écho silencieux, l’attachement à ceux qu’on aime, éternel.
Mon avis:
J’avais déjà lu « Instantanés d’Ambre » de cette autrice et j’ai pris plaisir à renouer avec la plume de l’autrice. J’y ai retrouvé délicatesse et sensibilité et aussi les mêmes thèmes que dans le précédent : la sensation d’enfermement, de séquestration – pas toujours volontaire mais pas loin.
Un roman qui parle de l’incapacité de bouger, de personnes condamnées à l’immobilisme; ces personnes ne sont pas rebelles, elles subissent leur sort en silence, elles vivent à l’abri des regards, fuient le monde et s’en protègent. Et aussi peut-être un roman sur l’autisme…
Un roman sur la communication, sur la difficulté de communiquer et bien sûr sur les échecs… mais je ne joue pas aux échecs et cela ne m’a pas perturbée; bien sûr c’est certainement un plus de pouvoir suivre les parties ou les déplacements… Les déplacements de ces êtres qui sont statiques, du fait de leur poids, de leur physique, de leur âge, de leur handicap.
Un roman sur la différence, sur le regard de l’autre, sur l’infiniment grand et l’infiniment petit et le lien entre eux: l’échiquier.
Un roman poétique qui nous parle aussi de gentillesse, de bienveillance, de fuite. Le petit joueur va se réfugier dans le monde des échecs, il fuit le monde extérieur pour l’obscurité, le secret, le monde du rêve, le monde intérieur, le temps qui passe, le silence, l’effacement de soi…
Des personnages pour le moins atypiques et touchants que je vous invite à découvrir: l’éléphante Indira, le chat Pion, la jeune fille Miira, le maître, la grand-mère, l’automate, la vieille demoiselle, l’infirmière…
Un très joli conte comme souvent les auteurs japonais en ont le secret, doux-amer, plein de poésie et de tendresse.
Extraits:
La trace d’une pièce laissée par quelqu’un qui est mort, c’est comme un objet lui ayant appartenu.
— Tu as raison. Les creux, les taches et les estafilades qui restent sur un meuble sont les souvenirs de ceux qui les ont utilisés. C’est pourquoi ton papi, quand il répare les meubles, il leur fait la conversation.
Grandir est un drame.
Cette phrase se grava profondément en lui. Ce fut une blessure inguérissable qui suppurait, en même temps qu’un filon au cœur de sa vie.
La taille du roi était de cinq millimètres, celle des pions, de deux. Une loupe était posée sur la vitrine. Ce serait impossible, même si on le voulait, de jouer avec, il est bien trop petit. Personne ne peut y déplacer une pièce correctement sans faire bouger les autres pièces. C’est pourquoi elles avaient l’air si tristes. Elles sont venues au monde chargées d’une destinée qui leur interdisait tout déplacement.
Sur l’échiquier apparaît tout du caractère de celui qui déplace les pièces, dit le maître du ton docte de celui qui lit un serment. Sa philosophie, ses émotions, son éducation, sa morale, son ego, ses désirs, sa mémoire, son avenir, tout. On ne peut rien dissimuler. Les échecs sont un miroir qui donne une idée de ce qu’est l’homme.
En restant longtemps au même endroit, on finit par s’embourber et se salir. C’est légitime de vouloir partir à la recherche d’un endroit différent.
La bouche est bien quelque chose qu’on a en trop…C’est bien pour ça que moi aussi je bavarde bêtement de cette façon…Ceux qui ont une bouche quand ils l’ouvrent ne parlent que d’eux mêmes. Moi, moi, moi. Le plus important c’est toujours moi. Mais aux échecs, on n’a pas besoin de soi, tu sais. Ce qui apparaît sur un échiquier est impossible à expliquer avec des mots humains. Se raconter avec sa bouche stupide, c’est comme si on gribouillait dessus.