Taïa, Abdellah « Le bastion des larmes » (RLE2024) 224 pages
Auteur: né le 8 août 1973 à Salé au Maroc, est un écrivain et cinéaste marocain d’expression française.
Abdellah Taïa étudie la littérature française à l’université Mohamed-V de Rabat et à l’université de Genève. En juillet 1999, l’année de la mort du roi Hassan II, il arrive à Paris pour un doctorat en littérature française à la Sorbonne. Il soutient une thèse sur Jean-Honoré Fragonard et sur le roman libertin du XVIII ème siècle. Son séjour à Paris est matériellement difficile, mais fructueux sur le plan intellectuel ; il découvre un autre monde qui lui inspire le don de l’écriture, et découvre la peinture (notamment Fragonard) et le cinéma.
Œuvres : Nouvelles du Maroc (1999) – Mon Maroc (2000) – Maroc 1900-1960, un certain regard, avec Frédéric Mitterrand, (2007) – Lettres à un jeune marocain (2009) –
Romans: Le Rouge du tarbouche (2004) – L’armée du Salut (2006) – Une mélancolie arabe (2008) – Le jour du Roi (2010 – Prix de Flore ) – Infidèles (2012) – Un pays pour mourir (2015) – Celui qui est digne d’être aimé (2017) – La Vie lente (2019) – Vivre à ta lumière (2022) – Le Bastion des larmes (2024)
Julliard – 22.08.2024 – 224 pages (Sélections Prix Goncourt – Prix Médicis – Grand Prix du Roman de l’Académie Française 2024 ) –
Lauréat du Prix Décembre 2024 – Prix de la Langue française pour l’ensemble de son oeuvre (2024)
Résumé:
A la mort de sa mère, Youssef, un professeur marocain exilé en France depuis un quart de siècle, revient à Salé, sa ville natale, à la demande de ses soeurs, pour liquider l’héritage familial. En lui, c’est tout un passé qui ressurgit, où se mêlent inextricablement souffrances et bonheur de vivre. A travers lui, les voix du passé résonnent et l’interpellent, dont celle de Najib, son ami et amant de jeunesse au destin tragique, happé par le trafic de drogue et la corruption d’un colonel de l’armée du roi Hassan II.
A mesure que Youssef s’enfonce dans les ruelles de la ville actuelle, un monde perdu reprend forme, guetté par la misère et la violence, où la différence, sexuelle, sociale, se paie au prix fort. Frontière ultime de ce roman splendide, le Bastion des Larmes, nom donné aux remparts de la vieille ville, à l’ombre desquels Youssef a jadis fait une promesse à Najib. » Notre passé… notre grande fiction « , médite Youssef, tandis qu’il s’apprête à entrer pleinement dans son héritage, celui d’une enfance terrible, d’un amour absolu, aussi, pour ses soeurs magnifiques et sa mère disparue.
Mon avis:
C’est presque une auto-biographie que nous propose l’auteur. En tous cas, le parcours de Youssef ressemble bien à celui de l’écrivain. Parti de Salé, sa ville natale pour s’installer à Paris, fils d’une famille nombreuse (9 enfants), professeur…
Autant j’avais apprécié « Infidèles » autant je suis déçue par celui-ci. Trop de haine et pas d’empathie avec les personnages.
L’écriture est toujours magnifique, mais le livre ne m’a certes pas emportée, car je n’ai pas ressenti l’histoire. Certes il y a un discours, mais je n’ai pas ressenti de sentiments; c’est une explication trop à charge, juste du matraquage… même si je sais que cela reflète la situation des homosexuels au Maroc, des femmes, des familles, des soumis … Ce n’est pas un roman, c’est un règlement de comptes.
Alors certes la forme est superbe, j’ai noté de merveilleux extraits, mais il y a tant de rancoeur, de hargne, de haine que cela ne passe pas…
J’en suis désolée.
Extraits:
Au bout de la nuit, il n’y a pas la nuit. Nous, nous irons au Paradis. C’est sûr et certain. Nous avons assez souffert comme ça dans cet enfer, dans cette prison qu’ils appellent le monde. La société. La vie. Bientôt, il n’y aura plus ce tunnel interminable et ce silence éternel. Courage.
Cela fait des années que je ne pense plus à toi, c’est vrai, je l’avoue. Mais non, je ne t’ai pas oublié. Quelque part, tout au fond de moi, tu vis encore. Parfois, je t’entends prier. Marcher dans la forêt. Je te vois chanter ta promesse au monde, au ciel, aux arbres : Je survivrai. Je serai heureux. Tes mains tendues vers moi, tes bras qui enveloppent mon corps. L’un contre l’autre. Unis dans le silence, dans l’espoir, dans la ferveur. Dans un amour interdit.
Pour être soi-même, il faut sortir de soi.
La mémoire de ce qui nous a liés depuis tant d’années. C’est nous qui faisons des efforts pour garder vivante cette mémoire.
Qui va vraiment nous aimer un jour ? Un cœur d’avance dans la tendresse éternelle pour nous. Il existe, ce cœur ?
La haine d’avant, Youssef, je ne l’avais pas oubliée. Celle envers ma famille et les gens de notre quartier. La soumission, les humiliations. Comment ils m’ont obligé à abdiquer, à m’exiler, d’abord tout au fond de mon cœur, puis loin au nord du Maroc.
Tes poèmes arabes et romantiques étaient le seul lieu où tu pouvais vivre loin d’eux et de leurs intentions malveillantes, loin de leurs stratégies pour te fracasser, te pulvériser.
L’énergie noire du désespoir. Quand on n’a plus rien à perdre, on se jette dans la mer déchaînée et on fait tout pour survivre. Survivre et vivre à fond. Vivre sans se soucier si on est bien considéré ou pas. Les deux à la fois. Noir et blanc. Et très jaune : comme le feu de la vengeance.
Il a juste continué à être ce qu’il était, comme il l’était depuis sa naissance. Sans se soucier des autres. Sans se préoccuper du danger qui grandissait chaque jour un peu plus autour de lui.
Je médite. Je me prépare. Je retourne à ma vie d’avant. Flash-back. Je passe et repasse les scènes du film de mon existence. Je m’arrête surtout sur les épisodes douloureux. Le mal qu’on m’a fait au tout début. Les insultes, les bassesses, les crachats, les viols. Je revois toutes ces scènes. Je les répertorie. Je fais même des listes. Des prénoms. Et encore des prénoms.
Allah est leur propriété, leur logo, le hashtag qui les rassemble et les protège. Allah est le chemin sur lequel ils peuvent continuer de nous tuer chaque jour et chaque nuit impunément.
Il était comme n’importe quel père de famille d’un certain âge qu’on croise quotidiennement dans les rues au Maroc. Ils ont beau avoir l’air dignes et respectables, nous savons tous qu’ils sont à la fois des diables coquins et des dictateurs assumés dans leur cœur. Des hommes qui n’ont pas besoin de montrer leur pouvoir. Ils sont le pouvoir. Et le reste du monde tourne autour d’eux.
Nous vivions au niveau du sol. Assis. Accroupis. Allongés. Endormis. Affamés. Enragés. Envoûtés. Possédés par les djinns. Malades. Sous le poids du mektoub. Puis révoltés, de plus en plus révoltés.
Elles font tout, absolument tout dans le foyer. Leur maison est comme une prison. Même si on n’est pas féministe par conviction, on le devient par la force des choses devant ce spectacle. L’avenir triste des femmes.
Et je m’accroche encore à ces souvenirs entre nous. Je les enjolive. Je me mens. Je vis au présent un passé qui n’a peut-être jamais existé.
Les rêves ne sont pas que des rêves. Ils existent. Ce n’est pas de la fiction. C’est un espace réel où parfois la vérité peut enfin sortir. On s’y réconcilie et on y guérit provisoirement.
One Reply to “Taïa, Abdellah « Le bastion des larmes » (RLE2024) 224 pages”
Même sentiment que toi . Malgré sa très belle écriture, je n’ai pas été emballée par ce roman qui aborde des thèmes comme l’homosexualité et l’hypocrisie, la vengeance et la rancœur, ainsi que la difficulté de pardonner et de demander pardon.
L’auteur y dénonce le fait qu’au Maroc, les personnes homosexuelles sont rejetées toute leur vie par leur famille et par la société. Cependant, le récit tourne en rond autour de ce thème tout au long du roman. Ce n’est pas que je sois insensible à cette problématique ; je me doute bien qu’il n’est pas facile d’être gay dans un pays musulman, mais ce que je reproche à ce roman, c’est son côté répétitif et l’absence quasi totale d’intrigue.