Murata, Kiyoko « Le couvreur et les rêves » (2024) 272 pages
Autrice: Kiyoko Murata est née en 1945 à Yahata, au nord de l’île de Kyushu, En 1975, elle reçoit le prix du Festival des ans de Kyushu pour et décide alors de se consacrer exclusivement à l’écriture.
Romans: La Voix de l’eau suivi de Le Parc en haut de la Montagne (2005) – Le Chaudron (2008) a été adapté au cinéma par le célèbre réalisateur Akira Kurosawa sous le titre de Rhapsodie en août – Fille de joie (2017) – Le Couvreur et les Rêves. (2024)
Actes Sud – Lettres japonaises – 02. 10.2024 – 272 pages – traduit par Sophie Refle (titre original « Yaneya »
Résumé:
La pluie s’infiltre dans la maison, l’intervention d’un couvreur est nécessaire. Un professionnel se présente avec ponctualité. Dès ses premières heures passées sur le toit, cet artisan intrigue la propriétaire des lieux : le silence de ses pas sur les tuiles est surprenant, l’homme est d’une absolue discrétion. Touchée par cette forme de courtoisie préservant le calme des lieux, la dame lui propose un thé et la conversation s’engage poliment.
L’artisan parle de son métier, de son attachement à ce monde d’en haut, qu’il s’agisse des toits de simples habitations ou de ceux des grands temples bouddhiques. D’un thé à l’autre, il évoque non seulement le Japon et ses toits majestueux mais aussi ceux des cathédrales gothiques européennes. Fascinée, la dame pose des questions. Avec humilité le couvreur évoque alors une manière particulière, active de rêver qui, à force d’entraînement, permet d’atteindre pendant le sommeil des lieux aussi lointains qu’attirants.
D’une grande douceur, délibérément poétique dans son intention initiatique, ce roman aborde avec virtuosité la magie des rêves choisis, des rêves à épisodes, où chacun peut rejoindre un monde qui lui est cher. Vivre une autre vie. Voyager.
Le couvreur qui travaille sur le toit est d’une grande discrétion. La mère de famille, seule chez elle pendant la journée est impressionnée par la délicatesse de ses pas sur les tuiles. Peu à peu ces deux êtres silencieux font connaissance. Chaque jour, à l’heure du thé, le couvreur se livre davantage et partage sa passion pour les toits des temples bouddhiques comme pour ceux des cathédrales européennes. Puis il évoque la possibilité de partir les visiter en rêve. La dame commence le soir même son apprentissage.
Mon avis:
C’est mon mois des rêves… Après le magnifique livre de Carole Martinez « Dors ton sommeil de brute », je replonge dans la connexion entre individus par rêves interposés. Et c’est à nouveau une plongée dans l’onirisme et la beauté.
Il aura suffit d’une infiltration d’eau pour que la vie d’une mère de famille soit totalement chamboulée. Lorsque l’artisan tuilier vient réparer le toit, une conversation s’engage et va déboucher sur le travail des des maîtres tuiliers, des charpentiers de temples, des constructeurs des temples du Japon, des restaurateurs et sur l’envie de la jeune femme d’en apprendre plus sur les différents temples …
Le couvreur et la femme vont parler ensemble et évoquer le thème des rêves; en effet un médecin a donné comme conseil au couvreur atteint de dépression suite au décès de sa femme de tenir un journal de ses rêves pour le guérir de son trouble obsessionnel compulsif… et au travers des rêves et de leurs gouts communs, un lien qui va se tisser entre ces deux personnes dont les rêves vont se recouper, s’amarrer, puis se séparer…
Tous deux vont se rapprocher, voyager physiquement ou par transmission de pensée, se faire presque attaquer dans leurs périples rêveurs par leurs conjoints/ex-conjoints respectifs, visiter plusieurs temples du Japon, dans plusieurs endroits, que ce soit dans l’île de Shikoku, dans le département d’Iota, de Köchi, à Kyoto… Et elles vont traverser les océans, visiter ou évoquer plusieurs cathédrales en France, de style gothique ou baroque (Notre-Dame, Amiens, Chartres, Reims, Beauvais).. On va découvrir les statues, les gargouilles, les différences de conception d’un continent à l’autre… Les structures des bâtiments sont fonction de la météo, des pluies. Les pentes des toits sont pensées différemment. Et les toits, c’est tout un art.. il y a ceux à 4 pans, ceux à 2 pans… et des multitudes de façon de les recouvrir, avec de la tuiles plate et ronde, des bardeaux en bois, l’utilisation de la tuile-démon …
Les toits des temples japonais peuvent faire penser à des bateaux; on va parler temples, sanctuaires, pagodes, des plus vieilles constructions en bois du monde. On va comparer les édifices en Asie et ceux en Occident , partie du monde dans laquelle les toits des églises européennes sont conçus de manière totalement différente..
Uu livre à la fois instructif et onirique, sur les relations humaines, tendre et humain, que j’ai beaucoup aimé. Comme les livres japonais, des rapports humains pudiques et tout en profondeur.
Extraits: ( j’ai dû faire un choix pour ne pas déflorer le sujet mais j’ai noté beaucoup de belles phrases)
La pluie rongeait peu à peu notre maison. Comme si elle nourrissait des centaines de souris invisibles. Des souris de pluie, qui grignotaient la maison, crac-crac crac-crac.
Quand je l’ai vu, j’ai compris que le goûter de quinze heures d’autrefois n’était pas destiné aux enfants mais aux gens qui effectuent un travail physique, à qui il apporte un complément alimentaire. Il n’y a pas de pause goûter dans l’entreprise de mon mari. Son travail ne le nécessite pas.
Les toits et les bateaux ont quelque chose en commun. Les seconds sont sur la mer, les premiers au-dessus de la terre ; tous deux sont éloignés du monde des hommes.
Le problème avec les rêves, c’est qu’on les fait en dormant, et donc on ne s’en rend pas compte. Si on essaie de s’en souvenir au réveil, on a du mal, sauf cas exceptionnel. Ils s’évanouissent en quelques minutes, ou plutôt quelques secondes, aussi éphémères qu’une fine couche de neige sous le soleil printanier.
— Chaque matin quand je me réveille, je me remémore mes rêves de la nuit. Et je les note immédiatement dans un cahier pour ne pas les oublier.
Pour entrer dans le rêve de quelqu’un d’autre, il fallait descendre plus profondément que l’inconscient, jusqu’à l’inconscient collectif. Une descente délicate, qui nécessitait de démobiliser les sentiments, sans être libéré de la contrainte de la conscience.
— Les rêves n’ont pas de cohérence. Chercher à leur attribuer un sens, c’est comme se quereller avec un passant. L’important n’est pas d’analyser ce qu’on a vu, mais de faire des rêves qui vous font vous sentir bien.
— On dit que les morts reviennent à cheval, parce qu’ils sont pressés de retrouver les vivants, ai-je dit. Et pour le retour, c’est un bœuf en aubergine, parce qu’ils n’ont aucune envie de quitter le monde des vivants et que le bœuf va lentement.
“au début comme une vierge, à la fin comme un lièvre détalant”, en ajoutant que c’était un proverbe.
Je ne le connaissais pas.
C’est la manière de faire la guerre préconisée par Sun Tzu, dans L’Art de la guerre. Enfin, ça n’a pas de rapport direct, mais quand on entre dans le rêve, il faut aller lentement pour ne pas se réveiller. Et une fois le rêve terminé, pour en sortir, il faut s’en échapper à la vitesse maximale, et surtout ne pas traîner.
— Tout en rêve est illusion, et rien n’est impossible.
One Reply to “Murata, Kiyoko « Le couvreur et les rêves » (2024) 272 pages”
Un thème intéressant que le voyage en rêve. Le sujet est poétique et j’avoue que les japonais ont une mythologie qui se prête à ce genre de récit.