Mehran, Marsha « Une soupe à la grenade » (2006 traduit en 2021) – 358 pages

Autrice
Marsha Mehran est née à Téhéran le 11 novembre 1977, à la veille de la révolution iranienne, qu’elle a fuie avec sa famille qui s’installe en Argentine, puis aux Etats-Unis et en Australie. Emigrée en Irlande avec son mari, elle a 27 ans lorsque paraît Une soupe à la grenade, qui connaît un succès immédiat. Le roman est traduit en 15 langues et publié dans 20 pays. En 2014 l’écrivaine est retrouvée morte dans des circonstances mystérieuses.
Romans: « Une soupe à la grenade » – « Eau de rose & Soda bread »
Editions Picquier – 19.08.2021 – 293 pages / poche 14.06.2024 358 pages ( Pomegranate Soup – 2006 – traduit de l’anglais par Santiago Artozqui )
Résumé:
Trois jeunes sœurs ayant fui l’Iran au moment de la révolution trouvent refuge dans un petit village d’Irlande pluvieux et replié sur lui-même. Elles y ouvrent le Babylon Café et bientôt les effluves ensorcelants de la cardamome et de la nigelle, des amandes grillées et du miel chaud bouleversent la tranquillité de Ballinacroagh. Les habitants ne les accueillent pas à bras ouverts, loin s’en faut. Mais la cuisine persane des trois sœurs, délicate et parfumée, fait germer d’étranges graines chez ceux qui la goûtent. Les délicieux rouleaux de dolmas à l’aneth et les baklavas fondant sur la langue, arrosés d’un thé doré infusant dans son samovar en cuivre, font fleurir leurs rêves et leur donnent envie de transformer leur vie.
Marsha Mehran s’est inspirée de sa propre histoire familiale pour composer ce roman chaleureux et sensuel où la cuisine joue le plus beau rôle. S’y mêlent le garm et le sard, le chaud et le froid, tristesse et gaieté, en une alchimie à l’arôme envoûtant d’eau de rose et de cannelle.
Et pour que chacun puisse expérimenter la magie de la cuisine persane, une recette accompagne chaque chapitre du livre.
Mon avis: ❤️❤️❤️❤️❤️
Marjan, Bahar et Layla, trois soeurs déracinées et en quête d’un endroit pour se poser et se (re)-construire vont s’établir dans un petit village d’Irlande. Et y ouvrir un restaurant/pâtisserie : le Babylon Café.
L’ainée, Marjan, va faire d’une ancienne pâtisserie à l’abandon depuis la mort de son propriétaire un petit paradis, un endroit tout doux et accueillant, un lieu où l’on se sent bien aux couleurs et décors chauds et orientaux. Cette amoureuse des plantes et de la cuisine va redonner le gout et le parfum du bonheur à ce lieu abandonné depuis quelques années. Cela va révolutionner la vie du village et ne pas plaire à tout le monde! En particulier cela va beaucoup déranger Thomas McGuire, tenancier de bistrot qui terrorise un peu tout le village.
Un village qui compte des personnalités bien diverses :la vieille commère qui passe sa vie à espionner derrière sa fenêtre, l’épicier, passionné des légendes et coutumes irlandaises et qui pense être l’élu du peuple des lutins, le prêtre « par accident », le vieux philosophe,
Et puis il y a le lourd passé des trois soeurs, la douleur des souvenirs, les traumatismes de ce qu’elles ont vécu en Iran – la guerre civile, les mollahs, les opposants, la violence – et les difficultés rencontrées après leur fuite, la difficulté à s’intégrer, le racisme…
Est-ce que le Babylon Café, le pouvoir des plantes et des épices, parviendront-ils à leur faire croire à l’avenir, à leur redonner espoir, sérénité et foi en les gens?
La grenade ne symbolise-t-elle pas l’espoir dans les croyances persanes ? (contrairement à la Mythologie grecque où elle est associée aux Enfers)
J’ai énormément aimé ce roman extrêmement poétique et humain, qui allie des événement historiques (la révolution Iranienne) et la vie dans un petit village au fin fond de l’Irlande.
Ce roman fait la part belle à la sororité, aux émotions, aux sensations, aux odeurs, aux saveurs, à l’amitié, à l’amour, à la résilience, à la magie « d’y croire » …
Extraits:
Cuisiner, c’est une façon parfaite d’exprimer son amour, dit-elle. Quand vous préparez un plat, vous n’êtes pas seulement en train de combler une faim physique, mais aussi un désir plus profond, le désir d’un foyer, d’un endroit sûr où l’on peut se reposer.
Et ces odeurs avaient beau être enivrantes, ce réveil des sens avait un prix : la résurgence de souvenirs auxquels aucune d’elles ne voulait penser. Du moins pas encore.
Le cumin ajoutait au mélange le parfum d’un après-midi passé à faire l’amour, mais c’en était une autre qui produisait l’effet tantrique le plus spectaculaire sur l’innocent consommateur de ce velouté : le siah daneh – l’amour en action – ou les graines de nigelle. Cette modeste petite gousse, quand on l’écrase dans un mortier avec un pilon, ou lorsqu’on la glisse dans des plats comme cette soupe de lentilles, dégage une énergie poivrée qui hiberne dans la rate des hommes. Libérée, elle brûle à jamais d’un désir sans limites et non partagé pour un amant. La nigelle est une épice à la chaleur si puissante qu’elle ne doit pas être consommée par une femme enceinte, de peur qu’elle ne déclenche un accouchement précoce.
Vous savez, chaque région a ses propres motifs. Chaque famille tribale tisse son histoire dans ses tapis et transmet ainsi ses secrets d’une génération à la suivante. D’une certaine façon, on pourrait dire que ce sont des tapis magiques.
L’été touchait à sa fin, mais dehors, les arbres anorexiques avaient déjà perdu toutes leurs illusions en éparpillant leurs feuilles sur le trottoir.
L’astronomie et le jardinage ne sont pas si différents que ça, quand on y pense. Du point de vue des mythes.
Si elle voulait survivre, si elle voulait avancer, il fallait qu’elle apprenne à ne pas s’attendre systématiquement au pire, que ce soit avec les événements ou avec les gens, d’ailleurs.
Le jeune astronome savait qu’à l’époque aristotélicienne, le mot comète désignait « une longue chevelure lumineuse », mais qu’aujourd’hui, il en était venu à désigner le sillage de lumière qui parfois, simplement parfois, suit une orbite un peu trop proche du soleil.